Le Bal des Remakes (épisode 5/15) :  La Mouche, Hantise, Démons

Le Bal des Remakes (épisode 5/15) : La Mouche, Hantise, Démons

Chaque jour du 28 août au 18 septembre (sauf les week-ends), un rédacteur du Daily Mars revient rapido sur un remake qu’il a particulièrement apprécié et un autre remake de sinistre mémoire. En bonus : le remake qu’on aimerait voir produit, parce que l’original était fort sympathique mais pas forcément irréprochable. Précision : en gros escrocs que nous sommes, nous avons toléré une petite dose de flou artistique par rapport à la notion même de remake, tout en tâchant de garder une cohérence générale. Au programme du jour : La Mouche, Hantise, Démons

 

LE REMAKE DU BIEN : La Mouche, de David Cronenberg (1986)

En 1985, après le succès critique et économique de The Dead Zone, son adaptation du roman de Stephen King, David Cronenberg, alors en odeur de sainteté à Hollywood, s’apprête à tourner Total Recall produit par Dino De Laurentiis. Après des mois d’écriture, des centaines de concept arts et des repérages aux quatre coins de l’Europe, les désaccords sur le scénario ont finalement raison de cette noble entreprise. Le producteur italien veut un « Indiana Jones sur Mars » alors que Cronenberg, plus cérébral, envisage un film labyrinthique s’intéressant avant tout à la mémoire, l’identité et la folie.

C’est alors que Brooksfilms, société de production fondée par Mel Brooks, approche le réalisateur Canadien pour lui proposer le remake d’un classique du cinéma d’horreur à succès des années 50 : La Mouche noire. Enthousiasmé par la réinterprétation radicale de la nouvelle originale de George Langelaan et le ton nihiliste du scénario de Charles Edward Pogue, Cronenberg accepte, à condition de pouvoir apporter quelques modifications au script. Ce sera son premier film réalisé pour le compte d’un studio hollywoodien, la 20th Century Fox.

Le film original, réalisé par Kurt Neumann en 1958, se présente comme une variation sur le thème de Frankenstein teintée de science-fiction dans laquelle le docteur est à la fois créateur et créature. Une enquête policière en flashback retraçant les mésaventures d’un savant piégé par sa propre invention. Plus ambitieux, le remake propose une réflexion complexe sur la nature de notre humanité, l’orgueil, la maladie, la décrépitude. La révision Cronenberg est une chronique détaillée d’une lente et douloureuse mutation, un film s’intéressant avant tout à la guerre interne mené par un homme luttant pour conserver son intégrité, sa propre identité. Le réalisateur orchestre ainsi une transition plutôt brutale entre film d’horreur à l’ancienne de type creature-feature et body-horror moderne à tendance franchement crado, grandement aidé par les superbes effets latex de Chris Walas, qui remportera d’ailleurs un oscar pour son travail sur ce film.

Mais au delà de ces considérations de “genre”, La Mouche est également un film profondément humain au coeur duquel se déroule une histoire d’amour tragique interprétée par deux acteurs (Jeff Goldblum et Geena Davis) en couple à la ville et de ce fait naturellement liés par une belle alchimie perceptible à l’écran. On pense d’ailleurs souvent à une relecture moderne de La Belle et la Bête devant cette fable sombre et pessimiste. Car au-delà d’une direction artistique du meilleur goût, d’une mise en scène irréprochable et d’une bande originale sublime signée Howard Shore, La Mouche est avant tout porté par ses deux acteurs principaux en état de grâce, capables d’ancrer cette histoire excessive 100% “Pulp” dans le réel. Un véritable tour de force au vu du fort potentiel grotesque du calvaire de notre pauvre Brundle-Mouche.

L’atout majeur de cette version Cronenberg est avant tout de transcender sa source pour pousser le concept du film de 1958 dans ses derniers retranchements afin de livrer une vision entièrement nouvelle et dépoussiérée. La seule et unique façon d’aborder sainement un remake, en conservant uniquement l’ossature de l’original, les fondations, pour reconstruire une architecture narrative totalement inédite afin d’explorer des territoires inconnues. En ce sens, on peut dire que ce remake n’est pas un simple film revisité, actualisé, mais une totale réintérpretation radicale d’un univers à travers le prysme d’un nouvel auteur.

Ce magnifique film montre donc avec force qu’un remake peut aussi permettre à un créateur de tirer profit des années séparant l’original de la réitération pour radicaliser l’univers de base. Il peut ainsi exploiter les avancées artistiques et techniques de son temps pour affiner son film esthétiquement et s’appuyer sur l’évolution des mentalités pour le faire évoluer thématiquement. La mouche, ce remake idéal, serait donc au départ un simple exercice de style cinématographique dont le nouveau contenu est si audacieux, si ambitieux qu’il opère une déformation, une mutation du contenant original afin de proposer un objet d’une forme nouvelle.

 

LE REMAKE DU MAL : Hantise, de Jan de Bont (1999)

A l’exact opposé du travail de Cronenberg sur la Mouche, Jan de Bont passe complètement à coté de la substantifique moelle du film réalisé en 1963 par le grand Robert Wise. Ainsi, alors que La maison du diable s’intéressait principalement aux troubles psychologiques de son héroïne pour livrer un film d’atmosphères appliqué et sophistiqué, Hantise enchaîne sans relâche les boursouflures digitales infâmes pour souligner lourdement son propos à grands coups d’effets spéciaux rococos, noyant par la même ses personnages de carton pâte dans une mêlasse pixélisée du plus mauvais goût.

Pire, les deux productions empruntent même deux trajectoires diamétralement opposées dans leur conception, rendant dés le départ l’aberration de 1999 totalement obsolète. Car si Wise doit en 1963 composer avec un budget très restreint alloué par la MGM pour réaliser cette adaptation qui lui tient à coeur et ainsi travailler la sophistication de sa mise en scène à l’extrême pour palier au manque de moyens, Jan de Bont dispose de l’artillerie lourde estampillée Dreamworks et d’une armée composée des meilleurs artistes (Industrial Light & Magic , K.N.B. Effects Group, Tippett Studio). Les deux projets sont donc naturellement opposés. L’un est un travail d’orfèvre quasiment artisanal tandis que l’autre est un produit manufacturé destiné à la consommation de masse.

Le résultat de cette surcharge de moyen plombe totalement ce tromblon indigne des pires trains fantômes de la fête à noeud-noeud. Car si le film de Wise séduit par ses cadres soignés, ses mouvements de caméra virtuoses et son utilisation avant-gardiste des lentilles anamorphiques pour créer le malaise chez le spectateur, la chose improbable de Jan de Bont ne fait qu’empiler les couches de fantômes synthétiques les unes sur les autres, comme un mille-feuille industriel trop gras et sans saveur. La peur est absente, les acteurs plus transparents que les spectres censés les hanter, les décors disproportionnés et mal éclairés, l’indigestion inévitable.

 

LE REMAKE DU POURQUOI PAS : Démons, de Lamberto Bava (1985)

Dans l’histoire du cinéma, il existe des films datés, des films très datés et puis nous avons Démons du fils Bava. Dés les premiers plans de ce bon film d’horreur bien dégueulasse de 1985 écrit et produit par Dario Argento pour son pote Lamberto, le ton est donné. Coupes de cheveux asymétriques non homologuées par la guilde des coiffeurs, accoutrements approximatifs en simili croûte de cuir, expressions ayant connu leur heure de gloire entre mai et Juin 1984, bande-son au synthé d’un Claudio Simonetti (le papa du mythique groupe Goblin) en petite forme. Démons sent bon la VHS trop louée dont la jaquette commence à tomber en charpie. Une madeleine de Proust pour les vétérans dont je fais partie, un repoussoir pour la plupart des jeunes amateurs de cinéma d’horreur en devenir.

Bien entendu, le jeu poussif des acteurs et la direction artistique parfois douteuse de l’affaire (tout le budget est manifestement parti dans les excellents maquillages et effets latex) n’aident pas non plus. Et c’est pour le moins regrettable, car le concept de base de ce film, cette invasion de démons se déroulant dans une salle de cinéma damnée, est des plus séduisants. Malheureusement, oscillant constamment entre premier degré lourdingue et scènes bien perchées totalement ahurissantes (la motocross et le katana !), le film de Bava fils peine à véritablement trouver sa voix.

Entant qu’amateur de Démons ayant loué la VHS de nombreuses fois par le passé, puis acheté les dvd du film et de sa calamiteuse suite, je ne peux donc qu’espérer voir un jour un jeune réalisateur disposant de plus de moyens et n’ayant pas peur d’assumer l’aspect débridé de ce concept, se réapproprier l’univers cinglé de ce film. Bien entendu le spectateur peu regardant pourrait se satisfaire d’Une nuit en enfer de Robert Rodriguez, ce recyclage de Démons transposant une partie de l’intrigue du film d’une salle de cinéma à un bar perdu au fin fond du Nouveau Méxique, mais ce serait mésestimer l’énorme potentiel du scénario d’Argento et Dardano Sacchetti, dont la qualité vaut bien plus qu’une simple régurgitation tex-mex du sieur Tarantino.

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