
Le Bibliomancien : rien dans les mains, rien dans les pages
La magie n’irrigue guère ce Bibliomancien paru voici quelques mois chez L’Atalante. Malgré une idée de départ plus qu’alléchante, le résultat final manque de style et de personnalité. D’un véritable auteur, en somme.
L’histoire : Isaac Vainio est un « Gardien » option « bibliomancien ». Autrement dit, il peut utiliser la magie pour plonger la main dans un livre et en sortir un objet fictionnel aux effets bien réels. Placé sur une voie de garage suite à une opération de sauvetage partie en sucette, il ronge son frein dans une petite bibliothèque en compagnie de Titache, son araignée-flamme. Jusqu’à ce que déboulent trois vampires, une nymphe guerrière et la possibilité d’un retour dans ses anciennes fonctions.
Mon avis : un Neuromancien version bibliophilie ? Allier l’action intelligente du roman de William Gibson à une forme d’érudition totale ? Les promesses du titre étaient nombreuses. Trop, sans doute. Peut-être le problème réside-t-il dans les attentes du lecteur, emballé par une telle promesse de lecture. Mais il est difficile de ne pas être déçu, tant Le Bibliomancien s’avère tiède à tous points de vue.
Le style de Jim C. Hines est anodin. Son choix d’une narration à la première personne est assez étrange à cet égard, car les pensées d’Isaac Vainio n’ont rien de remarquable. Aucun relief, pas d’envolée (dans quelque direction que ce soit), pas de sentiment tranché à se mettre sous la dent, guère de point de vue particulier sur l’histoire en cours. Les métaphores et comparaisons n’affichent pas une once d’originalité. Outre l’extrait ci-dessous, on peut citer cet exemple : « Les syllabes ne signifiaient rien, mais je me suis tendu instinctivement vers elles comme un nourrisson cherchant le sein de sa mère. » Waouh.
Le reste est à l’avenant. Quand on annonce une narration mêlant érudition et action, on promet un équilibre complexe à obtenir et encore plus malaisé à tenir sur la longueur. Ici, l’auteur évacue cet exploit d’emblée : le lecteur n’aura droit ni à l’une ni vraiment à l’autre. Certes, la bibliographie recense 36 ouvrages évoqués au fil des pages (dont huit inventés pour l’occasion), mais en définitive, très peu sont réellement exploités. Isaac Vainio, en fan indécrottable de SF, revient toujours aux mêmes armes – du moins est-ce l’impression qu’il s’en dégage : au bout d’un moment, on s’en désintéresse – pour produire les mêmes effets.
Quant à l’action, elle s’en tient au strict minimum. Infiltration dans un nid de vampires, rétrécissement (par ingestion de produits tirés du « Pays des merveilles ») et galop à dos d’araignée, voyage jusqu’à la Lune et retour… Tout ceci paraît alléchant sur le papier (pun intended) mais reste bien plat dans le roman de Hines. Les personnages, il faut le dire, ne facilitent pas l’attachement du lecteur, et encore moins son identification. L’histoire avance « parce qu’il faut bien qu’elle avance » ; elle traîne souvent en longueur, et parfois accomplit des bonds étonnants. Le personnage de la nymphe, dépendante sentimentalement et sexuellement d’autrui, est intéressant, mais ce débat sur « sa personnalité propre versus la façon dont elle a été écrite » revient (trop) fréquemment sans jamais réellement évoluer. Au bout du compte, voici le personnage au plus fort potentiel mais qui n’est jamais exploité comme il l’aurait mérité.
Un tel postulat de base aurait permis tant de développements ambitieux, tant de confrontations riches (le méchant est un conglomérat de Moriarty, du Dr Lecter et de Norman Bates, notamment : une bonne idée si peu approfondie !), tant de surprises de lecture, tant de jusqu’au-boutisme stylistique, narratif et culturel. Tristement, on ne trouve rien de tout ceci dans ce premier tome de la série Magie Ex Libris. De fait, on y trouve bien peu de magie. Le seul atout de ce livre est la sincérité que l’on devine dans le chef de son auteur – d’où la note de 1 sur 5 – mais celle-ci ne change rien au fait qu’aucun lapin blanc ne sort de son chapeau haut-de-forme.
Si vous aimez : une idée très proche mais incomparablement mieux exploitée est à trouver dans le comics The Unwritten (Vertigo). On pourrait aussi citer Alan Moore, toujours là quand il s’agit de mêler érudition et « pop culture », avec, pourquoi pas, sa série Promethea et son jeu d’allers et retours entre monde « réel » et univers de la fiction, ou encore la Ligue des gentlemen extraordinaires et ses héros littéralement littéraires. On ne peut d’ailleurs s’empêcher d’imaginer ce qu’un Moore aurait fait d’une telle idée de départ. Et puis, les fans de Macaulay Culkin se souviendront sans doute du film de 1994 The Pagemaster (Richard au pays des livres magiques en VF).
Autour du livre : Jim C. Hines est docteur en psychologie et vit dans le Michigan – il travaille pour le gouvernement américain. Il est notamment l’auteur de la série Le Gobelin (publiée également chez L’Atalante).
Extrait : « J’ai pris la fuite, cherchant la magie de l’histoire. Si j’avais suivi le courant magique du tueur pour parvenir jusqu’à lui, j’arriverais à remonter la piste que j’avais laissée en plongeant dans le livre. Cependant, avant que je ne la retrouve, une autre présence m’a percuté par en dessous.
J’ai hurlé, mais on a dévoré ma peur pour me la recracher au visage multipliée par mille. Je ne pouvais plus bouger. Ni penser. Je me suis accroché à moi-même, tandis que cette marée balayait tout ce que j’étais. Souvenirs, rêves, tout s’écroulait comme un château de sable sur la plage. »
Sortie : mai 2016, éditions L’Atalante, 352 pages, 21 euros.
Vincent Degrez