Le démon et la putain : la sexualité ambivalente de Penny Dreadful

Le démon et la putain : la sexualité ambivalente de Penny Dreadful

brona

© Showtime Networks Inc.

Il y a du sexe cru dans une série télé pour de nombreuses raisons : le voyeurisme à la Game of Thrones ou True Blood, le transgressif à la The L word, le « psychologie du personnage » à la Nip/Tuck… Mais dans Penny Dreadful le sexe n’est ni joyeux ou décomplexé. Il est noir, sombre et surtout mortifère.

(Attention, le texte contient des spoilers)

Les scènes sont crues, les corps se jettent brutalement les uns sur les autres. L’une des premières scènes intimes donne le ton : Brona (Billie Piper), une prostituée tuberculeuse, couche avec Dorian Gray (Reeve Carney), alors qu’un homme les prend en photo. En plein milieu du coït, elle éternue du sang sur le visage de son partenaire… qui a l’air d’y prendre plaisir. Le ton est donné.

La sorcière….

Le sexe est central dans la série. Il est au cœur de l’intrigue. C’est parce que Vanessa Ives (Eva Green) couche avec le fiancé de Mina, son amie d’enfance, qu’elle décide d’aider Sir Malcolm Murray (Timothy Dalton), le père de Mina, à lutter contre les vampires. Mina, devenue Madame Harker, est en effet prisonnière de ces créatures.

Or depuis sa trahison, Vanessa est possédée par le démon. Ce dernier prend en premier l’image de Sir Malcolm et scelle son emprise sur elle par un coït. Une scène où on la voit, les yeux révulsés, nue et seule sur son lit, sous le regard de sa mère. Qui s’évanouit et meurt. Le démon prendra plus tard l’aspect d’un autre protagoniste masculin, Ethan Chandler (Josh Hartnett).

Vanessa est le personnage féminin central de cette « Ligue des Gentlemen extraordinaires ». Elle est aussi celle dont la sexualité est au cœur de ses pouvoirs, ce qui correspond d’ailleurs à l’image des sorcières d’autrefois (qui elles tiraient du plaisir de leurs actes). À son propos, Sir Malcolm mettra en garde l’américain Ethan Chandler : « Son pouvoir la rend vulnérable. Il la rend aussi désirable. » De fait, suite à une séance de spiritisme qui tourne mal, Vanessa sort dans la rue et couche avec le premier passant venu. Est-un mal ? Est-ce un bien ? Le problème est : cela la fait souffrir. Elle n’est pas alors une « sorcière » conventionnelle.

…et l’hystérie féminine

Ainsi nous suivons Vanessa Ives dans la couche de Dorian Gray. La séance de sexe sado-masochiste, à base de blessures infligées par un couteau semble fort agréable pour les deux participants. Jusqu’au moment où Vanessa panique et fuit sous le regard éberlué et choqué de son partenaire. La jeune femme perd alors l’esprit et se retrouve enfermée dans sa chambre, à hurler sur ceux qui veulent l’aider et à s’automutiler, sous l’emprise d’un démon qu’elle est la seule à voir.

vanessa ives 1

© Showtime Networks Inc.

Et c’est bien là qu’est le message plus qu’ambivalent de la série, message qui m’a fortement mis mal à l’aise. Lors de cette crise, le docteur Victor Frankenstein (Harry Treadaway) pose un diagnostic sur le mal qui ronge Vanessa : elle se sent coupable. Une culpabilité « psycho-sexuelle». Une hystérie en somme. Vanessa Ives a pourtant chèrement payé à sa trahison envers Mina : dépression, lobotomie… Mais elle ne souffrira jamais assez.

Est-elle sous l’emprise d’un démon ? Souffre-t-elle d’un dédoublement de personnalité ou d’hallucination ? Même si la piste du démon semble être celle privilégiée par la série, il est intéressant de remarquer qu’il n’existe que dans l’esprit de ceux qui veulent bien y croire. Les pouvoirs de Vanessa pourraient bien être les siens.

Et les hommes dans tout ça ?

À l’inverse, aucun des personnages masculins ne souffre de ses désirs. Sir Malcolm couche avec la mère de Vanessa. C’est cette dernière qui meurt. Lui n’en pâtira jamais directement. Autre exemple, lors d’une soirée bien arrosée, Ethan se jette sur Dorian et l’embrasse. S’ils s’envoient en l’air, ce ne sera révélé par le « démon » que quelques épisodes plus tard, dans une attaque volontairement culpabilisatrice. Il n’y aura pourtant aucune autre conséquence pour Ethan, si ce n’est le choc que quelqu’un d’autre puisse être au courant. Aucune conséquence non plus pour le couple qu’il forme avec Brona.

dorian et ethan

© Showtime Networks Inc.

Dans la « Ligue », deux hommes sont décrits comme des vierges : Frankenstein, qui préfère la compagnie des morts à celle des vivants et Sembene (Danny Sapani), le majordome noir de Sir Malcolm. Ce dernier le suit dans toutes ses aventures, mais reste fidèle à l’image du compagnon de couleur représenté à l’ère victorienne : passé inconnu, dialogues quasi-nuls, sexualité inexistante. C’est d’ailleurs bien dommage, mais là est un autre débat.

Seul reste Dorian Gray et ses orgies. Dorian a toujours été le serpent du jardin d’Eden, le beau jeune homme qui ne vieillira jamais. La tentation, ni bonne, ni mauvaise, l’attrait pour la douleur et la mort. Dorian Gray est égal à lui-même dans cette série : être sexué, bisexuel, il ne supporte aucune forme de rejet. Sans pour autant être dans la lutte contre un ordre établi ou contre le groupe de « héros ». Il est à part. Il est l’ennui de l’immortel. Il est le désir.

les orgies de dorian gray

© Showtime Networks Inc.

« Penny Dreadful » n’est pas une mauvaise série. Son image est léchée, l’histoire distrayante, sans pour autant révolutionner le genre. Mais le discours sur le sexe doit être pris avec des pincettes. Sir Malcolm affirme bien qu’il ne pose aucun jugement sur les pratiques sexuelles de Vanessa, sa véritable fille adoptive. Ce à quoi lui répond Frankenstein : « Je me moque de vos jugements ».

Alors pivot central de la série, ou regard froid et condescendant sur le plaisir féminin à l’ère victorienne ? Pour s’envoyer en l’air, faut-il être une prostituée mourante ou une sorcière hystérique? J’espère sincèrement voir le discours changer dans les épisodes à suivre. En tout cas, être bien moins catégorique. Ce n’est pas parce qu’on fait une série au XIXème siècle en Angleterre que l’on soit être si noir dans les rapports humains et la sexualité des femmes.

 

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