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Le drame et sa vérité sociale (Présentation d’American Crime saison 2)

Le drame et sa vérité sociale (Présentation d’American Crime saison 2)

Note de l'auteur
Attention, vous trouverez dans cet article des révélations mineures sur le point de départ de la saison 2 d’American Crime.

American Crime fût l’une des sensations de l’année passée. Hormis l’Emmy qui distingua Regina King, il est toutefois plutôt regrettable qu’elle ait été trop souvent oubliée lors des classements de fin d’année. Heureusement, et non sans une certaine surprise – compte tenu de la teneur inhabituelle de son propos –, ABC a cru en la série.
Anthologie oblige, c’est un tout autre récit que nous concocte John Ridley en saison 2 (il vous sera donc tout à fait possible de la voir sans connaître la première) et déjà, l’auteur s’impose comme l’architecte d’une série sociale essentielle. Présentation de ce second acte avant sa diffusion sur Canal+ Séries dès le 31 janvier.

Changement complet d’environnement. On quitte l’atmosphère brûlante et le soleil de Modesto en Californie pour découvrir une banlieue ordinaire du Midwest à Indianapolis. Le changement de contexte est d’autant plus spectaculaire lorsque l’on sait que les tournages ont, à nouveau, eu lieu à Austin, Texas.
L’action tourne autour de deux écoles, l’une privée et l’autre publique. Dans la première, un élève devient le centre de toutes les attentions lorsque des photos le montrant en fâcheuse posture surgissent sur les réseaux sociaux. Que s’est-il passé lors de cette soirée en l’honneur des membres de la très populaire équipe de basket ? La victime des photos n’a-t-il pas subi plus qu’une cuite carabinée ? Comment cet événement est-il à même de bouleverser un système éducatif local séparé entre deux entités sociales que tout oppose ?

American School Story. En matière d’anthologie, on en revient constamment à American Horror Story (AHS)*. En plus de faire table rase en proposant un nouveau récit pour cette saison 2, American Crime conserve une bonne partie de son casting pour personnifier de tous nouveaux protagonistes. À la manière de la série horrifique de Ryan Murphy, John Ridley constitue également l’équivalent d’une troupe de théâtre, évoluant par petites touches au gré des saisons. Mais si pour AHS, c’est surtout le genre qui génère une continuité, American Crime impose son style justement grâce à cette distribution saturée de talents, un ensemble à la diversité aussi parfaite que sa constante virtuosité.

Seconds couteaux. Cette année encore, on pourrait se contenter d’évoquer les “grands noms” de la série : Felicity Huffman, Timothy Hutton et dans une moindre mesure Regina King ainsi que Lili Taylor. Si leurs performances sont effectivement impeccables, le téléspectateur vibrera surtout au son des voix d’une ribambelle d’actrices et d’acteurs au second plan, tous plus remarquables les uns que les autres.
Pour cette saison 2, la découverte est incontestablement Connor Jessup. L’acteur canadien – déjà aperçu dans Falling Skies – est bouleversant dans le rôle de l’adolescent tourmenté et renfermé. À ses côtés, on retrouve le brillant Elvis Nolasco qui, du prévenu l’an dernier, se transforme en directeur d’école strict et hésitant à la fois. Enfin, on nous promet le retour de Richard Cabral, cet acteur d’origine mexicaine au regard glaçant, auteur l’an passé d’une prestation – qu’on ne peut qualifier que de – magistrale !

Felicity Huffman (Leslie Graham) et Timothy Hutton (Dan Sullivan)

Felicity Huffman (Leslie Graham) et Timothy Hutton (Dan Sullivan)

Un retour adouci. Outre les lentilles de coloration sombre utilisées par Felicity Huffman, la première saison avait marqué les esprits par son approche formelle cinglante. Plutôt que de filmer ses dialogues avec le traditionnel champ/contrechamp, Ridley optait régulièrement pour un personnage et s’y tenait. L’autre intervenant n’était alors que suggéré (parfois simplement par l’entremise d’une faible parcelle de silhouette effleurant le cadre). Le procédé accentuait de facto les sentiments des personnages, parfois à la limite de l’insoutenable.
Cette saison, certaines séquences rappellent ces mises en place mais la réalisation est globalement bien plus classique, comme si on avait voulu adoucir le geste formel. American Crime conserve ces gros plans implacables, mais Ridley et les réalisateurs qui se succèdent après lui se plient à une sobriété finalement très compréhensible. À titre d’exemple, le troisième volet (2.03) est signé Gregg Araki, mais le cinéaste indépendant s’efface lui aussi pour permettre à la série de se concentrer sur son propos.

Boys don’t get raped”. Et le propos justement est d’une puissance rare ! Avec cette saison 2, American Crime opère une inflexion vers la jeunesse avec une acuité sévère mais nuancée. L’emballement qui s’initie en ce début de saison soulève la question du prisme des réseaux sociaux. Mais les enjeux déployés trouvent leurs causes bien plus loin et les responsabilités, que ce soit celles des lycéens ou de leurs parents, ne sont jamais escamotées.
Initialement le personnage de Jessup (Taylor Blaine) devait être une fille et non un garçon. Son prénom, épicène, est sans doute resté le même à dessein. Le choix de ne pas impliquer une jeune femme dans la problématique du viol peut surprendre. Il sert pourtant à surligner encore un peu plus l’absurdité de l’agression en tant que telle. Lorsque Terri (Regina King) nie la possibilité de l’événement, elle se justifie par un désarmant : ”Les garçons ne se font pas violer”. La démonstration ne pouvait être plus éloquente. John Ridley et ses scénaristes trouvent, de surcroît, la distance nécessaire pour évoquer le sujet au-delà du seul cas masculin.

De la disparité du système éducatif. Mais tout comme la saison 1 ne s’arrêtait pas à un simple constat dramatique, cette saison 2 s’empare également d’une question sociale majeure. Après l’inconsistance transversale du système judiciaire américain, il est désormais question de l’éducation. C’est un sujet cher à John Ridley. Sa femme est au conseil d’administration d’une école d’une part, sa mère, sa belle-mère ainsi que sa belle-sœur sont enseignantes d’autre part.
Au cœur de ce récit, on retrouve donc deux établissements scolaires très différents. Le premier filmé – une école privée renommée – n’a vraiment pas les mêmes problèmes que le deuxième – une école publique plus populaire. Pourtant, American Crime ne stigmatise pas les aberrations de l’écart financier qui les sépare mais s’intéresse essentiellement aux décisions directement prises par les deux directions. Cette confrontation nous accompagne au plus près d’un examen complet de la réalité sociale de l’appareil éducatif américain.

Avec un sujet peut-être moins virulent qu’en saison 1, American Crime n’en reste pas moins un objet sériel inédit par sa capacité à faire émerger les bonnes questions. L’anthologie et le jeu des chaises musicales pratiqué par le casting instillent, dans ce contexte, une universalité décidément singulière pour le petit écran.

AMERICAN CRIME SAISON 2 (ABC) en 10 épisodes
Diffusée sur : Canal+ Séries dès le 31 janvier et chaque dimanche à 20h55 (2 ép/soirée puis 1ép/soirée)
Créée par : John Ridley
Scénaristes (entre autres) : John Ridley, Ernie Pandish, Sonay Hoffman, Kirk A. Moore et Davy Perez.
Réalisée par (entre autres) : John Ridley, Clement Virgo, Gregg Araki, Julie Hébert et Rachel Morrison.
Chef Opératrice : Lisa Wiegand.
Avec : Felicity Huffman, Timothy Hutton, Lili Taylor, Elvis Nolasco, Trevor Jackson, Connor Jessup, Joey Pollari, Angelique Rivera, Regina King, Hope Davis, André Benjamin, Richard Cabral et Christopher Stanley.
Musique originale de : Mark Isham
Supervision musicale de : Madonna Wade-Reed

*: Il faut rappeler que l’anthologie est une pratique aussi vieille que la télévision. Même s’il est vrai que son extension à l’échelle d’une saison est relativement récente, les premiers formats dramatiques américains fonctionnaient sur ce registre dès l’après-guerre.

Crédits Photos : ABC / Ryan Green / Bill Matlock © 2015 American Broadcasting Companies, Inc. All rights reserved.

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