Le flegme selon Thomas Cromwell (critique de Wolf Hall)

Le flegme selon Thomas Cromwell (critique de Wolf Hall)

Note de l'auteur

L’exercice de la série historique continue, plus que jamais, d’avoir les faveurs des diffuseurs. À titre d’exemples, PBS lançait Mercy Street le week-end dernier (sa première série maison depuis une dizaine d’années) et même Netflix va s’essayer au récit biographique avec The Crown.
Les amateurs du genre ont déjà eu l’occasion de découvrir un point de vue haut en couleur sur la famille des Tudors et plus particulièrement le deuxième roi de la dynastie (Henry VIII). Avec
c’est une toute autre approche à laquelle vous convie Arte (les 21 et 28 janvier), plus indirecte aussi mais ô combien importante. Décryptage.

Qui est Thomas Cromwell ?

Fils d’un forgeron qui le molestait violemment, Cromwell va gravir tous les échelons et devenir le bras droit de son monarque. De simple avocat, il atteint la position de ministre en chef (Chancelier de l’Echiquier) d’Henri VIII, ce conseiller dont les puissants ne peuvent plus se passer. S’il ne cache pas ici son ambition (les querelles de clôture ne l’intéressent guère), Cromwell n’est toutefois pas cette créature avide de pouvoir. Sa conscience profonde de la société et de fortes convictions guident ses pas. C’est d’ailleurs parce qu’il veut intercéder en faveur de son premier bienfaiteur qu’il se rapproche d’Henri VIII au début de ce récit.

Damian Lewis (Henri VIII)

Damian Lewis (Henri VIII)

Quel est le matériau original de Wolf Hall ?

Wolf Hall est une adaptation des deux premiers romans d’une trilogie* écrite par Hilary Mantel. Ces deux livres ont été distingués du prestigieux Booker Prize, Mantel devenant ainsi la première femme doublement couronnée de ce prix.
Avec Wolf Hall, il faut bien sûr parler de fiction mais la romancière s’est appuyée sur de vastes recherches (notamment à travers les correspondances des personnages conservées aux archives nationales).
Au-delà de l’importance historique du personnage de Cromwell, la démarche de Mantel est singulière en ce sens qu’elle s’intéresse à un personnage de classe moyenne et porte ainsi un regard plus distant sur les Tudors.

Qui a éteint la lumière ?

C’est Peter Kosminsky (Warriors, Le Serment) qui signe la mise en scène des six volets de Wolf Hall. Son approche naturaliste étonne dès les premières séquences. A contrario du faste et d’une luminosité perpétuelle éclairant habituellement les costumes et décors de formats historiques, Kosminsky n’hésite pas à filmer ses protagonistes sous les seules lueurs d’une bougie et d’un feu dans l’âtre. Le rendu, accentué par la teneur très sombre des vêtements d’époque, renforce un fort contraste au niveau des visages et se rapproche en cela de la peinture flamande.

Claire Foy (Anne Boleyn)

Claire Foy (Anne Boleyn)

Qui sont Mark Rylance et ses acolytes à la distribution ?

Difficile de résister devant la débauche de calme et de mélancolie affichée par Mark Rylance. L’acteur anglais séduit par une sincérité hypnotisante et désarmante. Celui qui a longtemps égrené la scène des théâtres d’outre-Manche (il détient tout de même 3 Tony) s’apprête d’ailleurs à basculer vers un nouveau statut comme en témoigne son rôle dans le récent Bridge of Spies.
À ses côtés, on retrouve Damian Lewis (Homeland, Billions) dans un rôle (Henri VIII) moins ambivalent que ceux auxquels il nous avait habitués mais c’est surtout Claire Foy qui impressionne avec son personnage d’Anne Boleyn. Il y a quelque chose de surnaturel dans ses regards aux teintes glaciales tour à tour rieurs et inquisiteurs.

Wolf Hall, la guerre des Thomas ?

Thomas Cromwell d’un côté et Thomas More de l’autre. L’œuvre d’Hilary Mantel avait notamment pour objectif de réhabiliter le premier, souvent injustement décrit comme cruel et impitoyable. Le second, quant à lui, est révéré au plus haut point par les catholiques anglais. Ferme opposant à la doctrine protestante, il a été canonisé comme Martyr et Jean-Paul II l’a même élevé au rang de “saint patron des hommes d’état et politiciens”.
La position pour le moins antagoniste – voire sectaire – de More dans Wolf Hall (après tout, le point de vue est celui de Cromwell) a valu de nombreuses critiques à la série lors de sa diffusion (essentiellement émises par une opinion catholique). On s’aperçoit pourtant, au fil des épisodes, que Cromwell s’oppose à Thomas More plus par pragmatisme que par conviction. Bien qu’il n’hésite pas à fustiger la gestion trop dépensière des hommes d’Église, Cromwell ne cache pas non plus une certaine admiration pour le savoir et les principes de celui que l’on pourrait qualifier comme son “meilleur ennemi”.

Des enjeux passéistes ou modernes ?

Wolf Hall est une série qui ne se livre pas facilement. À moins d’être féru d’histoire anglaise, il faut un temps d’adaptation pour bien fixer un éventail de personnalités ainsi que leurs motivations. Pourtant celles et ceux qui auront eu la patience de s’imprégner du regard curieux et éveillé de Cromwell seront récompensés par la subtilité d’intrigues soigneusement construites ou d’anodins détails prennent une ampleur inattendue au détour d’un rebondissement.
Mais au fond, le parcours de Cromwell leur offrira surtout une réflexion sur la responsabilité des hommes de pouvoir. Passée à la loupe de Wolf Hall, elle signale la fragilité des statuts au regard d’un jeu politique intemporel. La diplomatie et le discernement du modeste Cromwell nous éclaire sur la compréhension d’une époque tout en nous rappelant la nécessité de ne pas ignorer les motivations de nos propres décideurs.

WOLF HALL SAISON 1 (BBC) 6×60 minutes
Diffusée par Arte les 21 et 28 janvier (3 éps/soirée)
Adaptée des livres d’Hilary Mantel (Série Le Conseiller : Dans l’ombre des Tudors et Le Pouvoir)
Adaptée par : Peter Straughan
Réalisée par : Peter Kosminsky
Chef opérateur : Gavin Finney
Avec : Mark Rylance, Damian Lewis, Claire Foy, Bernard Hill, Anton Lesser, Mark Gatiss, Mathieu Amalric, Joanne Whalley, Jonathan Pryce, Thomas Brodie-Sangster, Tom Holland, Harry Lloyd, Jessica Raine, Saskia Reeves et Charity Wakefield.
Musique originale par : Debbie Wiseman et Claire Van Kampen.

*: le troisième roman, The Mirror and the Light n’est pas encore paru. Les deux premiers volumes sont traduits en français aux éditions Sonatine.

Visuels : © Company Pictures/Playground Entertainment for BBC 2015

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