Le grand Bond en avant (critique de SKYFALL, de Sam Mendes)

Le grand Bond en avant (critique de SKYFALL, de Sam Mendes)

Premier James Bond à planter ses caméras en Chine, Skyfall est aussi le premier à repousser aussi loin la déconstruction/reconstruction du célèbre agent. Bilan de la psychanalyse ? Une somptueuse révolution de velours et tout simplement le meilleur film de toute la série.

Synopsis dossier de presse :

Lorsque la dernière mission de Bond tourne mal, plusieurs agents infiltrés se retrouvent exposés dans le monde entier. Le MI6 est attaqué, et M (Judi Dench) est obligée de relocaliser l’Agence. Ces événements ébranlent son autorité, remise en cause par Mallory (Ralph Fiennes), le nouveau président de l’ISC, le comité chargé du renseignement et de la sécurité. Le MI6 est à présent sous le coup d’une double menace, intérieure et extérieure. Il ne reste à M qu’un seul allié de confiance vers qui se tourner : Bond. Plus que jamais, 007 va devoir agir dans l’ombre. Avec l’aide d’Eve (Naomie Harris), un agent de terrain, il se lance sur la piste du mystérieux Silva (Javier Bardem), dont il doit identifier coûte que coûte l’objectif secret et mortel.

 

Les anniversaires de Bond se suivent et, heureusement, ne se ressemblent guère. Voici dix ans, en guise de gâteau pour ses 40 bougies au cinéma, le tueur assermenté s’était vu infliger Meurs un autre jour, l’un des pires volets de la très inégale saga. Exit Pierce Brosnan suite à ce fiasco et bon débarras. En 2012, Eon Productions corrige l’affront et son réalisateur commis Sam Mendes nous offre rien moins que la plus épique, passionnante, poignante et gonflée des aventures de 007. Sur les bases déjà bien audacieuses de l’excellent Casino Royale, Skyfall se permet d’emmener le héros vers des territoires jamais foulés jusque-là dans l’introspection et l’exploration de Bond en tant que personne. Pas de panique : Daniel Craig ne passe pas le film à sangloter sur son triste sort et Sam Mendes assure généreusement le quota de spectaculaire.

On saluera à ce titre le retour d’une action lisible et clairement cadrée après le foutoir démago que fut Quantum of Solace : une bonne nouvelle due certainement autant au savoir faire de Mendes qu’au vétéran Stuart Baird, rappelé sur le banc de montage après une brillante prestation sur Casino Royale (et une cruelle absence sur Quantum…). Et parmi les scènes de grabuge dispensées par Skyfall, on n’est ainsi pas près d’oublier ce mano à mano nocturne d’anthologie entre 007 et un sniper dans les bureaux déserts d’un gratte-ciel à Shanghai : nappées d’un velouté d’ombres et d’hologrammes composés par le chef op’ cinq étoiles Roger Deakins, les deux silhouettes se castagnent en ombre chinoise devant nos mirettes éblouies qui n’en perdent pas une miette. On notera aussi la proverbiale séquence pré-générique située à Istanbul (clin d’oeil à Bon baisers de Russie ?), où Bond/Craig s’époumone à courser le même tueur, à pied, en voiture, puis sur un train en mouvement.

Mais à côté du cahier des charges pyrotechnique, c’est bien le fond et son écriture qui emmènent Skyfall vers une puissance thématique inexplorée par ses prédécesseurs. Plus que jamais poussés dans leurs derniers retranchements, Bond et M se révèlent de véritables êtres incarnés, vulnérables, pris au dépourvu. Victime d’un tir ami mal ajusté au début du film, Bond disparait au fond d’un fleuve, laissé pour mort par sa hiérarchie. On découvre qu’il a (évidemment) survécu, disparu et noie son sentiment de trahison dans l’alcool au fin fond d’un bouge exotique. Lorsqu’un attentat pulvérise le MI6, il refait surface, affaibli et limite poivrot, sur la corde raide au-dessus du néant si on ne le réintègre pas au plus vite. Après sa mort supposée, son appartement de fonction a été vendu, ses affaires rangées dans un box, un simple rapport officiel a tenu lieu d’épitaphe. Revenir aux affaires est vital pour 007 : sans son permis de tuer au service de sa Majesté, il n’est rien. M, de son côté, se voit pressée de raccrocher suite au fiasco de la mission turque. Comme Bond, elle doit endurer plusieurs remarques dégradantes sur son âge et la pression du temps qui passe, miroir sans doute des propres vieillissements de Daniel Craig (meilleur que jamais, tel un bon vin) et Judi Dench.

Thérapie de choc

Pour M comme pour Bond, il est grand temps de regarder en face de vieux démons et Silva, le salopard de service, sera le catalyseur de cet examen de conscience. Dans un premier temps conforme au traditionnel vilain bondien extravagant, d’ailleurs un tantinet foiré dans son look, son allure et ses dialogues de grande folle, Silva se mue heureusement, dans l’étourdissant dernier quart du film, en somme de toutes les peurs pour 007 et sa supérieure. Une créature de Frankenstein renvoyant l’un comme l’autre à leur passé et leurs propres échecs, notamment au détour de la scène probablement la plus glaçante de toute la série. Visiblement peu intéressés par la menace terroriste que fait peser Silva sur la planète, les scénaristes resserrent les enjeux sur le trio dans un ultime virage trépidant, recyclant deux éléments clé du magnifique générique d’ouverture. Filmé dans la pénombre et la bouleversante beauté sauvage de la lande écossaise, un gunfight final aux allures de Chiens de paille balaie sans pitié en intensité les Bond précédents (excepté Casino Royale), retournés comme de vulgaires crêpinettes avec leur éternel saccage du repère du méchant. Vous avez certainement déjà lu que Skyfall plaque un traitement à la Nolan au mythe bondien et de fait, la greffe évoque incontestablement Batman Begins sous bien des aspects. Opportuniste ou pas, la démarche s’avère payante au centuple. Je ne peux aller plus loin sans risquer de déflorer la surprise d’une dramaturgie réellement prenante, en espérant sincèrement vous voir autant touché que je l’ai été par cette thérapie de choc. Avec une telle richesse dans ses degrés de lecture, on pardonnera sans mal à Skyfall quelques défauts véniels, comme certaines invraisemblances, une rixe un peu vite interrompue (par un varan, si, si) et une James Bond Girl sous exploitée (la frenchie Bérénice Marlohe). Pour le reste, c’est la claque.

J’entends ici et là de tristes sires se plaindre de ne pas retrouver dans Skyfall ce qu’ils étaient en droit d’attendre d’un Bond. Incompréhensible. D’abord, Mendes et les scénaristes n’ont pas oublié les fans. De la plus réjouissante et subtile des manières, ils réintroduisent certains doudous de la franchise jusqu’à la toute dernière scène littéralement jubilatoire dans sa façon de boucler la boucle. Mais surtout, après le grand pas amorcé déjà par Casino Royale, Skyfall (titre au sens révélé sur le tard), vient de faire accomplir un bond de géant à 007. Accessoirement, il délivre un suspense tel que l’on n’a sans doute jamais eu les mains aussi moites en regardant un James Bond. Mais surtout, Skyfall, volet le plus long de la franchise (2h25, aériennes) avec Au Service secret de sa majesté (2h22), partage avec ce dernier la qualité, rarissime dans la saga, de livrer un final réellement poignant, aux résonances psychanalytiques voisines de celles des Sentiers de la perdition (où Mendes dirigeait déjà Craig en flingueur psychopathe mal aimé). Le réal’ et son trio de scénaristes (dont John « Gladiator » Logan) ont déconstruit définitivement l’espion d’opérette plus ou moins désincarné depuis 1962. Ils ont fait de James Bond un être avec un passé, un héritage, une âme. Bref, un homme. « This is the end… » sussure Adele dans la très belle et mélancolique chanson titre. Oui, mais certainement pour un Bond meilleur.

 

Skyfall, de Sam Mendes (2h25). Sortie le vendredi 26 octobre 2012.

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