
Le polar à la télé par Nicolas Tackian
« Donner la parole à ceux qui font ou ont fait le polar à la télévision ». Après Eric Kristy la semaine dernière, c’est Nicolas Tackian qui se prête à l’exercice. Un auteur multimédia (roman, BD, TV, Jeux Vidéo) qui voit le policier comme un genre transversal. En plus de nous livrer ses impressions, il a accepté de répondre à trois questions.
« Le polar… un genre populaire qui a toujours été roi à la télévision où on trouve à peu prés 50% de polar, 30% de comédies familiales et 20% d’autre chose (drames, thrillers, saga…)
Dans le monde des scénaristes TV, il y a les polardeux (comprendre les spécialistes du polar) et les autres, c’est ce que j’ai compris après une dizaine d’années dans ce milieu. Moi j’entretiens un rapport particulier avec le polar. Je l’aime mais pas sous toutes ses formes… Je l’aime lorsqu’il permet d’utiliser le prétexte d’une enquête, la résolution d’un crime, pour dépeindre une thématique et des personnages. Le polar devient alors prétexte à toutes sortes d’histoires, polar social, polar psychologique, polar politique, polar fantastique, polar existentialiste, polar de voyage, polar historique, il a ce merveilleux don de se marier avec tous les genres. Certains arrivent même à en faire de la comédie !
Je l’aime déjà beaucoup moins lorsqu’il vire à la pornographie technico procédurale. Polar d’experts où l’on pousse dans ses ultimes retranchements la science et la technique. Polar documentaire où l’on cherche à « coller » à la réalité policière, souvent déprimante. Ce genre naturaliste a ses maîtres qui connaissent sur le bout des doigts leur documentation et « vissent » tous les rouages de l’intrigue dans sa moindre procédure avec un staff de conseillers. La moindre intervention du légiste ou du technicien de la PST est conforme à la réalité, le moindre rapport de balistique plus vrai que nature, il ne manque pas un détail au tableau. Et ils n’ont pas tort ces auteurs, car le genre Polar dans son ensemble nécessite une certaine dose de réalisme pour être crédible. Les spectateurs ont été nourris par des générations de séries, eux aussi sont des experts qui ne laissent rien passer.
Pourtant le polar a ce don d’être insaisissable, certains auteurs, comme moi, ont la chance de travailler entre les cordes du réalisme, là où la fiction évolue sans contraintes. Cela donne ce que les puristes appelleront d’improbables polars, peu vissés, peu documentés, mais abordant d »autres univers ou des personnages différents…
Parmi mes influences, il y a des blockbusters comme True Detective, une de ces séries polar dans laquelle on se fout de la rigueur policière au profit du développement quasi intérieur des personnages. Il y a aussi The Mentalist, héros bord cadre mélangeant psychologie, technique policière et stand up… Et puis pourquoi porter le regard outre Atlantique, la France produit d’excellentes séries dans un genre réaliste, Engrenages en tête de gondole. On observe d’ailleurs une entrée continue d’anciens « flics » reconvertis au scénario. Les histoires « vraies » nourrissent de plus en plus les pitchs des ateliers d’écriture. Beaucoup d’auteurs de romans, souvent des pointures du genre, commencent à travailler et à diriger des projets de fictions télé, bref, le polar est un genre extrêmement vivant dans lequel on rencontre principalement des passionnés. Chaque chaîne a sa « case polar » et la guerre des audiences se fait souvent sur le terrain policier. C’est d’ailleurs finalement, un des genres dans lequel la « culture des chaînes » (L’ADN dirait TF1) intervient le moins. Le genre a d’ailleurs ses passionnés à l’intérieur même du circuit. Quel scénariste n’a jamais travaillé avec un chargé de programme spécialiste du genre ? On les connaît bien à force de les côtoyer, eux aussi sont « tombés dedans » quand ils étaient petits. J’ai eu la chance de pouvoir enseigner le scénario. Je conseillais alors vivement à mes élèves de s’intéresser au genre Polar. D’abord parce que, pour toutes les raisons développées plus haut, il est incontournable du paysage audiovisuel français. Ensuite, et surtout, parce qu’il est un support merveilleux à la création d’une histoire et à la mise en place de personnages. La découverte d’un corps, passage obligé du genre, marque toujours la fin et le début d’une étape. Certains se cantonneront au développement du travail policier, tourné vers le futur ou vers le passé, d’autres utiliserons cette étape comme point de départ pour traiter leurs personnages, leurs thématiques. Le polar est donc un genre extraordinairement riche pour un scénariste. Il ne connaît au final, que peu de limite si ce n’est celle de votre imagination.
Alors soyez malin et écrivez du polar ! »
Niko Tackian
Trois questions à Nicolas Tackian
Daily Mars : Peux-tu te présenter pour nos lecteurs ?
Nicolas Tackian : J’ai la chance de vivre de ma plume depuis une vingtaine d’années. D’abord en tant que journaliste, puis scénariste de BD, dans le jeux vidéo, à la télévision et maintenant en tant que romancier. J’ai également réalisé un film, Azad, il y a quelques années. En BD j’ai publié une trentaine d’album dans tous les genres (fantasy, polar, SF, Anticipation, thriller historique) principalement chez Soleil et Delcourt. En télévision, j’ai écrit quelques unitaires, des épisodes de séries (La cour des grands, Main courante, Inquisitio), créé une collection de polar avec mon camarade Franck Thilliez (Alex Hugo interprété par Samuel Lebihan), dirigé plusieurs ateliers d’écriture. Mon premier roman, un polar (Quelque part avant l’Enfer) sort le 5 mars. Et j’ai aussi, depuis l’année dernière, la chance d’enseigner l’écriture de scénario à l’école nationale Louis Lumière.
Tes polars fêtiches ?
Il y en a beaucoup et pas simplement en littérature. J’ai découvert le genre par les grands du noir américain (Elroy, Bunker) avant de découvrir les français (Thilliez, Grangé, Dantec) puis les auteurs des pays nordiques (Mankell, Larrson). Au final je ne lis pas que du polar, loin de là, ma culture est plutôt dans d’autres genres tels que la SF et l’anticipation (Asimov, PK Dick, Spinrad, Dan Simons), mais aussi dans les classiques du fantastique horrifique (Poe, Lovecraft) et quelques auteurs en marge comme Neil Gaiman ou Terry Pratchett. Maintenant en ce qui concerne l’art de raconter une histoire, mon maître absolu est Stephen King. Mes autres influences viennent de la BD avec Alan Moore en tête de file mais également du cinéma dont j’ai parfois vu les adaptations sans lire les livres. Je parle en vrac de films comme Shutter Island, Gone Girl, Memento, Drive, Fight club etc etc… Et bien sur, il y a aussi le jeu vidéo qui possède quelques pépites très inspirantes (Oh Fallout mon amour !) Bref mes influences sont multiples.
Des futurs projets ?
En ce moment je suis sur pas mal de gros projets. Je suis à la direction d’écriture d’un feuilleton pour TF1. Il s’agit de l’adaptation de Cordon, une série flamande magnifique, un véritable « survival urbain », qui, si la chaîne souhaite le soutenir jusqu’au bout, sera une vrai belle proposition pour l’antenne. Le pitch est simple : un virus mortel (type ébola) atteint un quartier d’une grande ville française (je ne vous dirais pas laquelle !) et les autorités doivent faire un « cordon sanitaire » pour le mettre en quarantaine. Toute la série se déroule à l’intérieur du périmètre… Sinon, je commence la promotion de mon premier roman, Quelque part avant l’enfer (édition Scrinéo) et l’écriture de mon second. Je termine également un diptyque en BD chez Soleil, Rédemption, un chouette polar moyenâgeux ! Et enfin, je suis embarqué avec des producteurs sur la réalisation d’un premier long métrage, un film de genre fantastique dont le scénario est en cours d’écriture, bref, je m’occupe.
De nouveau un très intéressant entretien. Encore, encore, encore !