Le Polar à la Télé par Philippe Setbon

Le Polar à la Télé par Philippe Setbon

« Donner la parole à ceux qui font ou ont fait le polar à la télévision ». Après Eric Kristy et Nicolas Tackian, Philippe Setbon a accepté de participer au Mois du Polar. Monsieur Setbon a œuvré au cinéma comme scénariste chez Godard ou réalisateur, à la télévision, à la bande-dessinée ou la littérature, a vu les changements opérer dans la fiction tv, ce qui fait de sa parole, un témoignage précieux, chargé par le poids de l’expérience.

Les Enquêtes d'Eloïse Rome ©D.R.

Les Enquêtes d’Eloïse Rome
©D.R.

« Polar !

La première fois que j’ai entendu ce mot, c’est de la bouche de François Guerif. J’étais encore lycéen et lui tenait sa librairie spécialisée dans le roman policier de collection, rue Montholon. Depuis, il est devenu le grand découvreur de polars que tous les vrais amateurs connaissent et il a même édité mon premier roman chez Rivages

Depuis mes débuts dans les années 80, j’ai toujours été associé au polar. Qu’il s’agisse de la BD où j’ai débuté, du cinéma, de la télévision ou de la littérature, le genre sans que je m’y accroche consciemment, semble toujours me rattraper. Même quand j’écris des comédies ! Très probablement parce qu’une mécanique « policière » permet, tout en capturant automatiquement l’intérêt du spectateur, de plonger plus profondément dans l’âme humaine sans risquer l’introspection ennuyeuse et de dépeindre des univers sombres et violents, tout en restant dans un système narratif balisé et familier.

Kojak ©D.R.

Kojak
©D.R.

Ma culture de polar télé fut d’abord anglo-saxonne. J’ai pris goût aux héros de séries longue-durée avec Kojak et son réalisme à la Sidney Lumet, Mannix, 200 dollars plus les frais , Columbo (comme tout le monde ! ) et pas mal d’autres. Mes premiers scénarios pour le cinéma avaient tous un lien avec le policier : Parole de flic, Détective, Lune de miel ou Mort un dimanche de pluie, les longs-métrages et téléfilms que j’ai réalisés moi-même en étaient également. Mon second film Mister Frost plutôt affilié au fantastique, avait malgré tout une structure de polar. Chassez le naturel…

Contrairement à certains auteurs-réalisateurs qui ont fait carrière à la télévision faute de mieux ou par dépit (la fiction télé n’a pas toujours eu la cote d’amour qu’elle a aujourd’hui ! Loin de là…), c’est par choix que je me suis consacré à ce média, en créant des concepts, en développant des séries, d’une maison de production à l’autre. Certaines idées sont restées au stade du pilote, d’autres ont perduré plusieurs années comme Les enquêtes d’Éloïse Rome ou Frank Riva.

Ce qui fascine avant tout un auteur dans le polar, c’est – je crois – sa diversité. Le polar peut être ultra-réaliste et documenté, historique, flirter avec la comédie, se mixer avec la saga familiale, le whodunit à la Agatha Christie et même avec le fantastique comme je l’avais tenté avec la série Greco où le héros-flic voyait des fantômes. Tout est admissible et envisageable, à condition qu’il y ait du suspense, des personnages tourmentés, une ambiance singulière et des codes immédiatement reconnaissables quels que soient les oripeaux dont ils sont recouverts.

Commissaire Moulin @D.R.

Commissaire Moulin
@D.R.

Les enquêtes d’Éloïse Rome fut une des premières séries françaises à adopter le format du 52 minutes. Et je me souviens avec quel bonheur j’avais tout de suite adopté cette durée idéale pour une fiction policière. Car jusque-là, les séries hexagonales duraient 90 minutes ou même un peu plus, autrement dit une durée de long-métrage. Un format à peu près unique dans le monde, qui présentait énormément de difficultés d’écriture. La différence de budget entre un épisode de série comme Navarro, Commissaire Moulin et autres et un film de cinéma d’un minutage équivalent, est considérable. Un polar sortant en salles propose divers décors, il est ponctué par des séquences d’action spectaculaires, dépeint une noirceur inhérente au genre. Alors qu’un téléfilm se réduit souvent à quelques plans d’extérieurs, des intérieurs récurrents, une action très limitée faute de moyens et une tonalité plus « pasteurisée » pour ne pas rebuter le grand public et la légendaire ménagère. Au final, les 90 minutes d’un téléfilm semblent généralement bien plus longues que celles d’un film à gros budget ! Et plus compliquées à remplir.

L’avènement du 52 minutes a solutionné pas mal de soucis d’écriture, surtout dans le domaine du polar, mais pas tous bien évidemment.

Nous avons tous, auteurs, producteurs, spectateurs, été frappés, scotchés par ces séries américaines ou anglaises qui ont subitement déferlé comme une lame de fond dans les années 90-2000 : The shield, New York – Unité spéciale, NYPD Blue, Luther, ou même Hit & miss qui ne dura que quelques épisodes, mais proposait tout de même une héroïne tueuse à gages et… transsexuelle. Sans oublier les séries suédoises ou danoises ! Cette révolution s’est propagée jusqu’à nos frontières, a anobli la série TV dans son ensemble, en a fait un sujet de préoccupation important du public et a souvent distancé le cinéma en matière d’inventivité et d’audace.

Qui ne s’est pas dit alors qu’une porte s’entrouvrait ? Que la fiction policière bien d’chez nous (pour rester dans les limites de notre sujet, car c’est valable pour tous les genres) n’était plus obligée de s’agripper à ses vieilles recettes héritées de Simenon, à ses schémas usés, fragilisés par la concurrence étrangère ?

Pourtant la mutation souhaitée et nécessaire, n’a pas encore eu lieu. Ou alors sporadiquement, par à-coups. Pourquoi ? Il existe des rapports argumentés, des tonnes de thèses, des débats chaque année dans les festivals de télévision et autres. Producteurs, diffuseurs, auteurs, réalisateurs se rejettent la faute. On essaie d’appliquer la méthode à l’Américaine, de former des showrunners auprès de spécialistes venus de l’étranger. Mais malgré d’indéniables succès d’audience et de vraies réussites artistiques, les Français rament encore et toujours.

Parlons à présent du syndrome dit du chauffeur de taxi…

The Shield © Sony Pictures Television International

The Shield
© Sony Pictures Television International

En circulant dans Paris, il m’est arrivé plus d’une fois de tomber sur un taxi bavard qui finit par me demander ce que je fais dans la vie. « J’écris des scénarios pour la télé », est généralement ma réponse. Et la plupart du temps, j’ai droit (après « Ça gagne bien ? ») à une longue et sempiternelle litanie sur la ringardise de nos séries, les acteurs séniles, les histoires soporifiques, les cascades ridicules, sans compter la prise de son inaudible, etc. Et il surenchérit, le prolixe : « Ma femme elle regarde ça de temps en temps, en faisant son repassage, mais moi ça me gave ! Pourquoi vous faites pas des trucs couillus comme les Ricains ? Leurs séries à eux, ça dépote ! Moi j’en regarde plein, j’achète même les DVD, on se les repasse avec les collègues… »
Et là, il devient intarissable, le taxi driver ! Une véritable encyclopédie ambulante. Tout juste s’il ne me cite pas le nom des scénaristes yankees ! Non, je rigole, là…
Généralement, je ressors du tacot perplexe, maugréant et un brin cafardeux. Et je me dis que la prochaine fois, je prendrai le métro, même si je suis un peu claustro.

Oui au fait, pourquoi on fait pas comme il a dit, le fâcheux taxi driver ? Ça paraît tellement simple…

Parce que « faire comme les Ricains », ça ne signifie pas « imiter les Ricains ». Pas du tout. Je me souviens de notre récent enthousiasme, avec des amis scénaristes comme Eric Kristy (qui en a parlé sur ce site, d’ailleurs), Didier Cohen, Joël Houssin ou Christian Rauth, quand nous avons découvert la minisérie d’Arte P’tit Quinquin. Ébahissement et/ou emballement quasi instantané. Pourquoi ? Parce que c’était un polar, oui. On y trouvait meurtres, flics, enquête, suspects, fausses pistes, etc. Mais ça ne ressemblait pourtant à rien de déjà vu. À une sorte de version ch’ti de Twin Peaks, peut-être. Et encore ! Ça n’obéissait à aucun des codes qu’on pensait obligatoires en France : les « héros » étaient bizarroïdes, pas très doués, le scénario paraissait improvisé au fil des rencontres, les acteurs amateurs semblaient échappés d’un Mocky ou de Affreux, sales et méchants. Bref, tout l’inverse de ce qu’on nous demande de faire en général. Il n’empêche que le lendemain de la première diffusion, on connaissait déjà les répliques-culte et on ne parlait que de ça.

Bien évidemment, toutes les fictions policières ne peuvent pas ressembler à P’tit Quinquin … Mais pourquoi ne seraient-elles pas, de temps en temps, aussi iconoclastes et créatives, aussi insolentes et culottées ?

Je n’ai pas de réponse. Sinon, je l’aurais donnée à mon taxi driver et ça lui aurait claqué le beignet.

Fabio Montale ©D.R.

Fabio Montale
©D.R.

Quel sera l’avenir de la fiction française en général et du polar en particulier, je l’ignore. Personnellement, je sais que c’est en écrivant des téléfilms et séries policières que j’ai pris le plus de plaisir et appris le plus de choses sur l’art de l’écriture. En adaptant – mission quasi-impossible ! – les romans de Jean-Claude Izzo et en faisant de son héros Fabio Montale un personnage pour Alain Delon (et pour TF1 !) par exemple ! Beau challenge couronné de succès. En créant Frank Riva, un autre héros delonien quelque temps plus tard, et en perpétuant le mythe du Samouraï dans une saga policière sur six films de 90 minutes. En confrontant Anny Duperey à un serial killer, plus récemment, dans un thriller coécrit avec Serge Lascar pour France 3. En réalisant la minisérie Ange de feu , pour France 2, mon plus heureux tournage… J’ai tant de beaux souvenirs liés au polar.

Aujourd’hui, tout en travaillant toujours pour la télé, j’écris plus régulièrement des romans (policiers pour la plupart, of course ! ). J’avais commencé en 1994 chez Rivages/Noir, puis j’avais œuvré dans le pastiche avec Le flic de la télé , sur les mésaventures d’un vieil acteur un peu trop identifié à son personnage de série. J’ai tenté le « polar métaphysique » avec L’apocalypse selon Fred et aujourd’hui, je démarre une trilogie sur le thème de la vengeance, à paraître à partir de septembre prochain.

Eh oui… Polar… Toujours polar. Sous toutes ses formes, dans tous ses états, parce que c’est un genre protéiforme, en constant renouvellement, inépuisable et magnifique.

Nul ne sait quel sera son futur sur nos chaînes françaises. Mais quoi qu’il arrive, il sera toujours présent sous un déguisement ou un autre. Et il faudra probablement plusieurs P’tit Quinquin pour fissurer l’antique édifice, faire lâcher prise aux vieilles habitudes sclérosantes, ouvrir la fenêtre et laisser pénétrer le soleil et l’air frais. Même si ça peut sembler paradoxal pour un genre qui se complaît dans la pénombre et les ambiances enfumées…

Mais ça viendra. Forcément. Et ce jour-là, quand le taxi driver me demandera « Qu’est-ce que vous faites dans la vie, vous ? », je lui répondrai fièrement : J’écris des scénarios pour la télé. »

Philippe Setbon
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