
Le Polar, Genre Permissif
En début de Mois du Polar, Nicolas Tackian affirmait que « le polar a ce don d’être insaisissable ». Une caractéristique singulière d’un genre qui permet aux auteurs une grandes libertés. Robin Barataud, lundi, aimait le genre parce qu’il offrait un double niveau de lecture. En s’appuyant sur ces deux réflexions, cet article essaie de comprendre en quoi le genre policier peut s’exprimer avec ses codes bien rigides comme s’en écarter pour offrir des œuvres dont le polar devient prétexte à quelques chose de plus indécis.
Il y a un paradoxe dans le genre policier. Il est à la fois très codifié, répondant à un schéma narratif précis, et très permissif. Le polar peut servir de caution, de moteur narratif pour un récit dont l’intérêt sera ailleurs que dans la résolution de l’enquête. Dernièrement, deux séries, très médiatisées, ont répondu à cet appel du policier pour raconter autre chose : Broadchurch et True Detective.
Tout commence avec une victime. Danny Latimer dans Broadchurch, une femme coiffée de bois de cerf dans True Detective. Elements déclencheurs pour une auscultation. Et moins une enquête. Comment un meurtre entraîne une étude de caractère. Voilà ce que nous dit ces deux séries. Presque métaphorique dans True Detective puisqu’il s’agit aussi bien de la reconstruction d’un homme que l’éternelle lutte du bien et du mal. Plus concrète sur Broadchurch puisqu’il s’agit d’observer la déflagration d’un meurtre dans le microcosme d’une petite station balnéaire.
Et si le polar était plus beau quand il n’essayait pas de résoudre une enquête ? C’est un peu ce qu’essaie de formuler ces deux séries. Aux fans de policier, l’américaine comme l’anglaise présentent une enquête laborieuse, imprécise, parfois amateur dans sa conduite. Au point de déclencher un phénomène de révulsion, de séparation entre le spectateur et l’oeuvre. Si l’on sort d’une grille de lecture exclusivement policière, se dessine un récit plus dramatique, porté par la description de femmes et d’hommes chargés par le poids qu’implique la mort. Broadchurch ne fait rien d’autre, de façon un peu mécanique, que mettre en situation d’inconfort, de malaise un individu et dresser face à lui le poids de la culpabilité, de la suspicion, de la rancœur. True Detective est plus diffus dans ses intentions, noyant son propos dans une narration non linéaire afin d’éprouver l’épreuve du temps d’une enquête sur un individu. Où il sera davantage question d’introspection, de chemin intérieur.
Ce que donne le récit policier, c’est une envie et une promesse à travers les rouages de l’enquête. Mais comme adaptant le paradigme whedonesque (« ne pas donner aux spectateurs ce qu’il veulent mais ce dont ils ont besoins » ), la narration change son cap sur ses intentions véritables. Ne pas offrir les règles automatiques du polar, c’est provoquer l’incommodité du public, le cueillir dans un moment vulnérable pour mieux l’amener vers un territoire inconnu ou imprévisible. Tout l’art du polar repose sur cette dichotomie, ce partage entre protocole et anarchie, entre attendu et inattendu, entre le rassurant et le déroutant. Où le genre devient comburant à un récit dont l’association avec d’autres corps (le conte, le drame autour du deuil, le récit métaphysique,…) permet ce résultat atypique, transversal et offre aux auteurs un canevas sur lequel ils placeront leur motif, leur obsession personnels.
Broadchurch et True Detective sont les exemples les plus puissamment récent mais nous aurions pu également prendre le duo Hervé Hadmar et Marc Herpoux dont le travail autour du récit policier s’inscrit parfaitement dans ce cas d’étude. Des Oubliées à Signature, en passant par Les Témoins ou Pigalle, la Nuit, l’association du récit policier au conte, à l’orée de l’imaginaire et du fantastique permettent des résultats où l’ambiance importe autant que la narration. Le polar apporte une structure qu’ils dérèglent à force d’arythmie. Où le balisage de l’histoire n’est que prétexte à impasse et détours, chemins de traverse et hors piste. Exemple frappant d’un genre pâte à modeler.