Le prisme du faucon (The Loudest Voice / Showtime / Canal+)

Le prisme du faucon (The Loudest Voice / Showtime / Canal+)

Note de l'auteur

En décrivant les faits d’armes de la tête pensante de Fox News, The Loudest Voice nous permet d’entrevoir les enjeux de l’information télévisée américaine sur une période allant de la fin des années 90 à nos jours. Le regard très partial sur ce Roger Ailes, lui-même très polarisé, est toutefois plus discutable.

En recevant Roger Ailes lors d’une soirée de Noël à la maison blanche, Barack Obama lança à la cantonade : « voici l’homme le plus puissant des médias ». Placé à la tête de Fox News par Rupert Murdoch, Ailes avait en effet réussi à supplanter ses concurrentes (les chaînes d’informations en continu CNN et MSNBC) au tournant des années 2000. Comment est-il parvenu à imposer Fox News après avoir été sèchement débarqué de CNBC en 1995 et à en faire le support fondamental de toute la droite américaine ?

C’est à ces questions que tentait de répondre Gabriel Sherman, journaliste (passé entre autres par le New York Magazine), dans une biographie consacré à Roger Ailes donc et intitulée The Loudest Voice in the Room: How the Brilliant, Bombastic Roger Ailes Built Fox News – and Divided a Country. Il y explique les origines modestes du monsieur dans l’Ohio, ses problèmes de santé (son hémophilie), l’envol de sa carrière en tant que conseiller en stratégie médiatique auprès de Nixon, Reagan et Bush père, puis son ascension en tant que patron de chaîne.

La minisérie, simplement titrée The Loudest Voice, opère également quelques coupes franches et se contente de décrire les années Fox News du personnage. Ce choix se comprend au regard des contraintes d’une minisérie qui fait le choix de se limiter à une période temporelle maîtrisée et ainsi représenter son protagoniste principal par un seul et même acteur. Mais, ce faisant, le récit ainsi tronqué se prive du passé de Roger Ailes, d’une meilleure compréhension de ses motivations.

On reconnaîtra néanmoins que le portrait est brillamment incarné. C’est Russell Crowe qui enfile le costume du magnat et quel costume puisque l’imposante corpulence du personnage l’oblige à une transformation spectaculaire. Mais par-delà l’accoutrement, Crowe délivre une performance pointue à l’amplitude toute aussi remarquée, du minaudement à la crise paranoïaque. Il y a d’ailleurs une certaine ironie à voir l’acteur néo-zélandais interpréter la brutalité ou le harcèlement lorsque l’on sait les sautes d’humeurs notoires qu’il a bien du mal à contenir in real life.

Autour de lui, le reste du casting n’attrape que peu de lumière. Sienna Miller est rapidement en retrait, même si convaincante, dans le rôle de sa femme. Seth MacFarlane apparaît bien peu également en tant que bras droit. Et Naomi Watts ne se dévoile qu’à partir du troisième épisode pour interpréter une présentatrice ambitieuse.

Il faut reconnaître que s’agissant d’un biopic sériel, cette focalisation choisie par Tom McCarthy (Spotlight), Alex Metcalf (Sharp Objects) et l’auteur lui-même se justifie parfaitement. Mais elle contribue à épaissir les angles morts dans un portrait qui manque cruellement de nuance.
Alors, oui, on ne s’attend pas… on n’a même pas forcément besoin d’un surplus d’objectivité lorsqu’il s’agit de décrire un « faiseur d’opinion » très orienté à droite, affublé de surcroît d’un fort penchant pour le harcèlement. En se concentrant sur quelques années charnières, les auteurs trouvent un rythme intéressant en reconstituant le comportement de sa rédaction face aux événements majeurs, à travers un procédé qui n’est pas sans rappeler The Newsroom d’ailleurs.

Pour n’avoir vu que les trois premiers épisodes, on ne fera pas ici de jugement trop hâtif. Mais, à défaut de faire le portrait exhaustif d’un homme, The Loudest Voice donne l’impression de louvoyer vers le procès d’une entité, Fox News, jugée à tort ou à raison comme le poison responsable de tous les maux américains, à commencer par l’élection de son actuel agent orange de président. Et peu importe finalement la compréhension du faiseur de faucon qui en était à l’origine.

THE LOUDEST VOICE (Showtime) minisérie en 7 épisdoes
Diffusée sur Canal+ Séries à partir du 2 juillet.
Série créée par Tom McCarthy et Alex Metcalf.
D’après la biographie The Loudest Voice in the Room: How the Brilliant, Bombastic Roger Ailes Built Fox News – and Divided a Country écrit par Gabriel Sherman.

Visuel © 2019 Showtime.

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