
Le puits et le pendule (The Haunting of Hill House / Netflix)
Rien de bien neuf sous le soleil noir de l’horreur américaine : une maison hantée remplie de jump scares éculés, une famille confrontée à des fantômes et à ses propres démons. Où, une fois de plus, le genre (ici, l’horreur) n’est qu’un véhicule pour explorer les rapports humains. Cela suffit-il à faire une bonne série ? [Garanti sans spoiler]
La série The Haunting of Hill House, créée, écrite, réalisée et produite par Mike Flanagan (Hush, Ouija: Origin of Evil, Gerald’s Game) pour Netflix, s’appuie sur le roman éponyme et séminal de Shirley Jackson afin de développer une (énième) histoire de maison hantée. Pas une transposition littérale, donc : une adaptation assez éloignée de son matériau de base (un peu comme Castle Rock et Stephen King). Aussi simple ? Pas vraiment. J’ai l’impression d’avoir écrit cette phrase, sous une forme ou une autre, à de multiples reprises ces derniers mois : voici une série qui voit plus loin que le genre dans lequel elle s’inscrit.
En l’occurrence, l’horreur. Ou la terreur, selon, en gros, que l’on montre le(s) monstre(s) ou qu’on le(s) escamote. À ma droite : le roman de Jackson et son adaptation par Robert Wise en 1963, tous deux chantres du fantastique-qui-se-cache ; à ma gauche, Stephen King (sa mini-série Rose Red est elle-même une adaptation très kingienne du roman de Jackson), Richard Matheson (dont le roman Hell House ressemble furieusement à celui de Jackson, mais avec quelques notables différences) et tous les amateurs de big monsters qui tachent (John Carpenter, si tu nous écoutes).
The Haunting of Hill House et son grand corps malade
L’essentiel n’est pas là, nous dirait Mike Flanagan. L’essentiel, ce sont les personnages. Hugh Crain (joué jeune par Henry Thomas et plus âgé par Timothy Hutton), le père ; Olivia Crain (Carla Gugino, vue notamment dans le Gerald’s Game du même Flanagan, adaptation de Stephen King, tiens tiens), la mère ; et leurs cinq enfants, deux garçons (Steven et Luke) et trois filles (Shirley, Theodora et Nell).

La porte rouge menant à la Red Room ne s’ouvre pas forcément quand le souhaite… (c) Steve Dietl/Netflix
Et effectivement, au fil des épisodes, ce sont les liens entre ces sept personnages que la série approfondit. Les sept Crain s’épaississent, se complexifient, les allers-retours entre passé et présent jettent des ponts multiples. Les 10 épisodes composent comme un grand corps, un organisme malade et qui se bat pour guérir. Ils fonctionnent comme une vaste métonymie en mille-feuilles : la maison est un ensemble biologique, tel que décrit par Olivie Crain, avec ses os, ses veines, sa peau, son visage (et la mystérieuse Red Room en manière de cœur, ou plutôt d’estomac) ; la famille qui y vit (et dont Theodora, par exemple, incarnerait les mains), ainsi qu’on peut le voir jusque sur l’affiche de la série (la maison remplace la moitié supérieure de la tête de la mère, ses fenêtres faisant office d’yeux) ; et les mouvements de balancier entre la maison et les Crain, les parents et enfants officiant comme vaisseaux sanguins circulant dans les artères-couloirs, apportant oxygène et protéines aux pièces-organes qu’ils parcourent. Rien de très nouveau là-dedans non plus.
Plus encore, les personnages s’avouent eux-mêmes des œuvres de fiction, au même titre que la maison (en tant que somme de toutes les horribles histoires qui y ont eu lieu). La mère l’affirme dès le 2e épisode : « Nous sommes tous des histoires, en fin de compte. » Et lorsque Steven, le fils aîné, publie enfin son premier livre, il s’agit de la relation de leur histoire commune dans la maison hantée. Son titre ? The Haunting of Hill House, bien évidemment.
Shirley Jackson se retrouve ainsi aspirée dans sa propre œuvre, par contumace pourrait-on dire, et en étant tout à la fois niée, puisque le livre-dans-la-série est signé par Steven. Dans le 2e épisode, on voit, en arrière-plan, une fille lire The Lottery, autre livre très connu de l’auteure américaine. Voici donc un monde que Shirley Jackson a créé, où elle existe mais pas en tant qu’auteur du livre qui y a donné naissance. Elle a même laissé son prénom à l’une des filles Crain.
Le « réel vrai » (Shirley Jackson), le « réel dans l’histoire » (les Crain) et le « fictionnel supposé » (les fantômes) cohabitent, se mélangent, constituent ensemble un nouveau corps reconstitué. Et cette idée de disparition (de l’auteure remplacée par l’un de ses propres personnages) se retrouve tout au long de la série, comme un trou dans la trame, un trauma dont tout découle. Un point de ténèbres qui influencera chaque enfant dans sa vie d’adulte, ainsi que le diront Nell et Luke enfants (ou leur illusion).
En dehors de l’humain : quid de la hantise ?
Les acteurs et actrices sont particulièrement bons – dans une certaine mesure, ils sauvent la série. Mention spéciale pour le perso de Theodora, tant adulte (Kate Siegel, vue notamment dans Oculus et Gerald’s Game de son Mike Flanagan de mari) qu’enfant (Mckenna Grace). Theodora est, dès le roman originel en passant par le film de Robert Wise, un personnage trouble. Ici, elle est sensuelle mais économe de son toucher, psychologue et pilier de boîte de nuit, hypersensible et parfois insensible (en apparence). À l’inverse, Carla Gugino n’est pas toujours convaincante dans le rôle de la mère ; elle surjoue parfois l’hypersensibilité.
Au-delà de cette fameuse exploration des liens interpersonnels, que reste-t-il ? La partie fantastique de cette série n’est pas des plus originales. Elle offre son lot de jump scares éculés et de plans sans surprise : la lampe-torche qui menace de tomber à court de piles alors même qu’une créature hideuse vient d’apparaître ; la main sur le bras d’une des filles et, lorsqu’elle se retourne, il n’y a personne ; les longs plans sur des objets ou des espaces de la maison, un sofa ou un couloir, pour créer l’attente, l’angoisse de l’anticipation ; les cadavres qui se relèvent à tout bout de champ (et souvent en arrière-plan).
On aurait aimé que la série renouvelle, au moins partiellement et d’une quelconque façon, certaines mécaniques du genre. Elle en adopte méticuleusement la grammaire, mais cette absence de régénération laisse un sentiment de je-m’en-foutisme, de paresse. OK, on a compris, les monstres-tapis-dans-l’ombre ne sont pas au centre du récit ; ce sont les êtres qui sont intéressants. Mais tant qu’à s’inscrire dans un genre précis, pourquoi ne pas tenter de l’électriser, d’en offrir une vision si pas inédite, au moins surprenante par moment ? Ajouter un motif au grand plaid de l’horreur ?
À la limite, on peut se demander ce qui différencie réellement ce Haunting of Hill House du Rose Red de Stephen King. Bon, en toute honnêteté, la réponse saute aux yeux : Rose Red est encore plus banale, et en plus, mal foutue, mal écrite, jouée avec les pieds et réalisée les yeux fermés. Au moins Mike Flanagan sait-il tenir une caméra, même s’il n’a pas toujours grand-chose à filmer. Mais il me semble que la première saison d’American Horror Story, par exemple, était nettement plus passionnante : sans révolutionner le genre, elle avait sa propre voix, allait plus loin, s’interdisait moins de choses que la série de Netflix.
Less is more : ce qui marche le mieux avec The Haunting of Hill House
En définitive, les concessions faites par Flanagan à l’horreur de 2018 sont précisément ses faiblesses. La série n’est jamais aussi bonne que lorsqu’elle refuse de montrer l’horreur. Ce qui est l’une des forces (et, pour certains, des faiblesses) du film de 1963 et du roman de Shirley Jackson. Lorsqu’une femme raconte à Steven Crain la vision du fantôme de son mari, Flanagan ne montre pas la scène en question : il filme la personne qui la raconte. Idem pour Theodora qui « fait l’expérience » d’un trauma d’enfant en se couchant dans un divan : on ne voit pas ce qu’elle voit, on n’entend pas ce qu’elle entend ; on la voit, elle, réagir à cette expérience atroce. Le cri qu’elle s’empêche de pousser, ses yeux révulsés, ses larmes… C’est beaucoup plus fort que tous les trips plus ou moins spectraux auxquels on a droit par ailleurs.
Voici quelques années, l’écrivain britannique Ramsay Campbell exprimait son souhait de lire à nouveau, un jour, une « vraie bonne histoire de maison hantée ». Il ne trouvera pas complètement son bonheur avec cette série Netflix. L’époque est davantage à l’exposition des liens humains qu’à la recherche d’une horreur revitalisée. Le problème est que ce chemin est trop largement emprunté par les productions actuelles, au risque de banaliser le résultat. Or, voici précisément ce qui effrayait le plus Clive Barker, autre grand écrivain fantastique : la banalité.
Le pendule est à fond dans ce sens pour le moment. On attendra qu’il reparte dans l’autre direction, que l’horreur ressorte du puits où les scénaristes l’ont abandonnée, pour nous offrir, à nouveau, des frissons plus coupables et délicieux.
The Haunting of Hill House (Netflix) en 10 épisodes.
Série créée, écrite, produite et réalisée par Mike Flanagan.
Avec entre autres Michiel Huisman, Carla Gugino, Timothy Hutton, Henry Thomas, Elizabeth Reaser, Lulu Wilson, Kate Siegel, Mckenna Grace, Oliver Jackson-Cohen, Julian Hillard, Victoria Pedretti et Violet McGraw.