
Le royaume rêvé : à visage humain
La rentrée littéraire chez Mnémos, c’est le retour de l’auteur Adrien Tomas, dans un roman original. En effet, à l’occasion de ses 20 ans, la maison d’édition a publié l’intégrale de sa Geste du sixième royaume dans un très bel ouvrage. Place ici à un roman young adult, dur et magique.
L’histoire : Ils sont six. Cinq princes et une sauvageonne, ensemble, plus ou moins prisonniers de la citadelle de Sveld. Princes et princesses pour certains otages, d’autres esclaves, pour préserver la paix. Ensemble, accompagnés de l’étrange Vermine, ils apprennent le maniement des armes, la camaraderie, la stratégie, alors que dehors, leurs pères s’écharpent, et que les étranges Mandragore se réveillent dans les forêts, prêtes à tout détruire sur leur passage.
Mon avis : Adrien Tomas nous entraîne dans un premier volume puissant et grisant. En effet, si l’on peut encore admirer guildes, sorcelleries, nécromancie, il ne s’agit que d’une tapisserie de fond. Nous sommes dans un roman plutôt young adult, et donc ce qui nous intéresse ici ce sont les histoires personnelles, de famille, d’amour, et de liens. La politique, mais pour des adolescents. Et en cela, Le Royaume rêvé – Le Chant des épines remplit de manière très suffisante son rôle, ajoutant à certains clichés de Fantasy (comme les cités de Nécromanciens), des altérations assez intéressantes. Comme le fait que les elfes aient pour esclaves les humains.
La couverture donne aussi le ton. Deux femmes, une rousse et une blonde, se battent contre un monstre végétal. Deux femmes, car elles sont trois parmi les héros, dans ce groupe de six. Les adultes, les enseignants, les chefs de guerre, les rois, restent tous majoritairement des hommes, et en cela c’est très dommage, nous ne pouvons que saluer d’avoir des personnages très forts féminins, qui en plus s’entendent entre elles et parlent d’autre chose que de garçons. Des personnes, en fait. Mais le principal, et gros défaut, de cet ouvrage, est que s’il subvertit nombre de poncifs, dans un sens nouveau et passionnant, il utilise à l’inverse d’énormes ficelles quelque peu datées, dont l’usage du viol par-dessus tout. (Aparté : je pense sincèrement un jour faire un texte qui expliquera en quoi l’usage du viol dans les romans, de fantasy ou non, est fortement dommageable et ne sert à rien qu’à accélérer un récit au lieu de chercher quelque chose de plus fin. Pour montrer qu’un homme est un monstre, qu’un peuple est attardé, pour donner des arguments de vengeance, il existe mille et une autres possibilités que les auteurs peuvent chercher).
C’est d’autant plus crispant que le reste du récit se boit comme du petit-lait. En effet, on sent un passé dans ce livre, qui s’inscrit dans un univers plus vaste. Certains apartés laissent aussi entrevoir des éléments modernes et intelligents. Un roman qui aurait pu, non pas être féministe mais en tout cas moderne, mais se noie dans des schémas parfois lassants.
Si vous aimez : les histoires de princesses aux longues épées. Le club des cinq version Risk.
Autour du livre : La Geste du sixième royaume a valu à son auteur le Prix imaginale en 2012.
Extrait : « Les effets de la mixture commençaient à s’estomper, et Ténèbre se réveillait. Mais elle ne voulait pas que la Locuste s’en rende compte et continua d’agir comme si elle était toujours abrutie par la drogue, jusqu’à ce qu’elle puisse déchaîner ses pouvoirs sur son irritant compagnon.
– Quel est ton nom ? s’enquit le grand homme maigre.
– Vermine, marmonna la jeune fille en réponse.
– Vermine ? gloussa-t-il. Voilà qui est… original. C’est toi qui as choisi ce prénom ?
– Oui.
Avant, elle avait eu un autre nom, mais elle l’avait oublié. Vermine était un mot qu’on lui criait souvent, quand on l’apercevait. Un mot empli de haine, de dégoût, mais aussi de crainte. Sa sonorité lui avait plu, et elle l’avait adopté. Mais elle n’avait aucune envie de raconter cela au grand homme. »
Sortie : le 19 août 2016, aux éditions Mnémos, 302 pages, 19 euros.
Pas de critique sur la critique, juste une interpellation sur la restriction du viol comme ressort scénaristisque qui semble induite par tes propos. Dénoncer le viol est une chose à laquelle je m’associe sans restriction (je pense être un homme assez moderne malgré mes 50 balais) On pourrait aussi dénoncer des auteurs qui utiliseraient le sexe,consenti ou pas, uniquement pour s’attirer les faveurs de certains lecteurs … Mais tu vas plus loin en suggérant une forme d’autocensure (genre un auteur « sérieux » devrait trouver un rouage narratif de substitution) au motif que l’évocation du viol est dommageable! Vieux débat: dans quelle mesure le fait de montrer ou décrire dans des oeuvres de fiction des meurtres, viols ou autres mauvaises actions illégales ou pas est-il incitatif ou socialement dommageable? Cette question est-elle pertinente dans le sens où une réponse absolument positive induirait logiquement une censure style tolérance zéro ??? Encore une fois je ne veux surtout pas défendre une quelconque banalisation du viol, simplement te mettre en garde contre la possible interprétation de tes dires et leurs implications. Puisses-tu muscler tes arguments dans tes prochains textes!
Bonjour (désolée de ne répondre plus tôt, je suis actuellement a l’étranger).
Toute a fait d’accord avec vous, j’aurais dû développer plus en avant mes arguments, mais l’ayant déjà fait dans d’autres articles, je n’ai pas répète ceux-ci. Le viol est un procédé narratif en effet. Il fait partie d’une création, dans une œuvre de fiction. Mais pourquoi et comment? Dans ce cas, la victime est un personnage principal, et presqu’aucun élément n’est donné sur les conséquences de ce viol. Pire, il est utilisé comme un deus ex machina. Le violeur non plus n’est pas défini, ses raisons, sa conscience non exploitée. Prenons une œuvre plébiscitée pour sa représentation du viol : Outlander. Pourquoi a-t-elle été félicitée? Parce que le viol a des conséquences, en terme narratif mais aussi par rapport au personnage. Le violeur voit sa personnalité définie par son sadisme et le plaisir qu’il ressent dans son acte, la victime en souffre réellement et doit se reconstruire. Pas besoin que ce soit la moitié du livre, mais le viol est un élément à ne pas utiliser seulement comme moyen de dramatiser une personne. A mon humble avis, il n’est pas à utiliser à la légère, mais doit dire quelque chose sur les gens, leur motivation et avoir des conséquences. Pas que pour faire avancer l’histoire (ex : le violeur est méchant. Il est puni).
« je pense sincèrement un jour faire un texte qui expliquera en quoi l’usage du viol dans les romans, de fantasy ou non, est fortement dommageable et ne sert à rien qu’à accélérer un récit au lieu de chercher quelque chose de plus fin. »
J’ai hâte de vous lire!
Pas seulement sur le viol en lui-même mais bien sur son utilisation en tant que ressort narratif.