Le saccage d’un héros (critique d’Iron Man 3, de Shane Black)

Le saccage d’un héros (critique d’Iron Man 3, de Shane Black)

Note de l'auteur

[SPOILER ALERT] On y a cru très fort et à l’arrivée, le troisième volet cinéma des aventures d’Iron Man est une cruelle déception. Un gâchis similaire au précédent opus, vulgarisant son univers-source jusqu’à l’écoeurement et à peine relevé par la touche d’un Shane Black relégué en position de yes-man. Les foules applaudissent, l’idéal en prend un coup. A vous de juger dés mercredi…

Synopsis officiel : Tony Stark, l’industriel flamboyant qui est aussi Iron Man, est confronté cette fois à un ennemi qui va attaquer sur tous les fronts. Lorsque son univers personnel est détruit, Stark se lance dans une quête acharnée pour retrouver les coupables. Plus que jamais, son courage va être mis à l’épreuve, à chaque instant. Dos au mur, il ne peut plus compter que sur ses inventions, son ingéniosité, et son instinct pour protéger ses proches. Alors qu’il se jette dans la bataille, Stark va enfin découvrir la réponse à la question qui le hante secrètement depuis si longtemps : est-ce l’homme qui fait le costume ou bien le costume qui fait l’homme ?

L’autre soir, au Rex, j’ai vu Iron Man 3. Tapis rouge foulé par Robert Downey Jr et Gwyneth Paltrow, foule en délire, présence ostentatoire des quatre ou cinq sponsors du film (avec projection préalable de leurs spots publicitaires ad hoc), petit speech pédagogique d’un animateur expliquant au public l’univers Marvel au cinéma et les sorties à venir… Vague impression que mon bon vieux Tête de fer était définitivement transformé en homme sandwich mais qu’importe : malgré cette crispante ambiance de foire à la saucisse, j’étais vraiment prêt à savourer la rédemption cinématographique d’Iron Man après l’embarassant bâclage du précédent volet. Il y avait de quoi espérer : mon chéri de ces geeks Shane Black à la mise en scène et au scénario, la reformation du tandem funky de Kiss Kiss bang bang, moult déclarations d’intention nous promettant un Iron Man 3 plus dark et terre à terre… Le tout étayé de bandes annonces plutôt spectaculaires et rassurantes : je voulais y croire, j’était parti pour. La chute est dure.

Une fois encore, les aguiches nous ont royalement enfumé : derrière la noirceur de façade et les tourments en bois de Tony Stark, Marvel Studios sort de ses usines un produit aussi idiot, mal fagoté, édulcoré, rasoir et superficiel que son prédécesseur. Certes, vaguement meilleur grâce à quelques lignes de dialogue « made in Black » et une toute petite poignée de gags à l’éphémère effet poilant. Mais on retrouve dans ce film jetable la même propension à systématiquement désamorcer la moindre tension dramatique par un humour lourdingue, la même impression de remplissage (25 premières minutes truffées de scènes conjugales ineptes Tony/Pepper), le même cynisme dans le saccage d’une license et de ses fondamentaux au nom d’une pseudo-ironie et d’une soi-disante post-modernité avant tout démagogiques. A l’image de son épouvantable twist, tout ce film ne ressemble qu’à un écran de fumée.

Pepper Potts (Gwyneth Paltrow), nettement plus présente dans ce troisième volume. Et toujours aussi transparente.

Le techno-thriller badass influencé par la fulgurante mini-série Extremis du tandem Granov/Ellis que nous avaient vendu les as du marketing ? Une comédie d’action confuse, boursouflée, inoffensive et à des années lumières de la richesse thématique de la BD (ne parlons même pas de la violence, encore plus émasculée ici que dans Iron Man 2). Le soi-disant trauma de Tony Stark post-Avengers ? Rien de plus qu’un cauchemar nocturne (suivi d’un gag et d’une scène de ménage avec Pepper ) et deux mini crises d’angoisse (+ gags), le tout joué façon Au théâtre ce soir par un Downey Jr en total free style. La soi-disante chute du héros avec ce plan Dark Knight Risesque du trailer montrant Stark à terre dans la neige, casque brisé ? Une scène en réalité plus humoristique et, surtout, suivie de la rencontre entre Tony et un mouflet qui va le sortir de la mouise. Vous avez bien lu. Les bandes-annonce nous l’avaient soigneusement dissimulé, mais un putain de gamin sidekick passe un bon quart du film à remonter le moral d’un Stark réfugié dans une grange au fin fond du Tennessee après la destruction de sa villa. Et le gosse confit d’admiration de prodiguer quelques candides leçons de vie à Tony, lui ouvrant les yeux sur l’essentiel (motus, vous verrez, c’est hilarant).

Certes, dans ses scripts passés, Shane Black a déjà fréquemment flanqué ses héros de gamins moteurs de leur propre salut à travers les épreuves. Mais là où le gimmick produisait de l’émotion dans Le Dernier Samaritain, Last Action Hero ou Au revoir à jamais, il donne ici simplement l’impression d’une mécanique (mal) huilée visant l’attendrissement du grand public à peu de frais. Shane Black scénariste avait brillamment réussi à nous faire avaler la vulnérabilité ou la détresse de Joe Hallenbeck/Bruce Willis, Jack Slater/Schwarzie ou Samantha Caine/Geena Davis. Mais jamais, dans Iron Man 3, Tony Stark ne semble réellement mis en danger tant la star Downey Jr passe son temps à cabotiner crânement, aidé par un scénario s’interdisant le moindre millimètre de malaise en trop. Et ce ne sont pas des péripéties à peine dignes d’un épisode de série télé des eighties qui arrangeront l’affaire, telle cette séquence de l’assaut d’une villa du Mandarin truffée de bad guys surarmés, par un Stark équipé de gadgets dérisoires bricolés via la quincaillerie du coin façon McGyver.

Le Mandarin (Ben Kingsley). Le pire affront du film.

Les allergiques à la bouffonnerie ambiante ne pourront même pas se rabattre sur le quota de kaboom : les trois « morceaux de bravoure » aperçus dans les bandes annonce sauvent à peine les meubles, Shane Black étant à l’évidence plus à l’aise dans les scènes de dialogue que dans le spectacle à grande échelle. Le bordélique climax illustre à lui tout seul ce cruel manque de relief des scènes d’action (gênant pour un film en 3D) : quasiment illisible à force de surdécoupage, il s’avère incapable de créer un enjeu, une tension et nous faire ressentir une quelconque crainte pour le tandem Stark/Rhodes. C’est bruyant, brouillon, des dizaines d’armures commandées à distance se castagnent avec autant de super gros bras shootés au virus Extremis… et le résultat visuel s’apparente plus à un défilé impersonnel de joujoux pour juteux licensing qu’une véritable bataille épique et chorégraphiée. Quant au Mandarin, il est à l’avenant de l’essence même de cette triste entreprise. On le découvre en clone bling bling de Ben Laden envoyant à l’Amérique des vidéos pirates la menaçant des pires attaques… et je ne peux en dire plus sous peine de dévoiler le twist le plus déprimant et irrespectueux jamais vu à ce jour dans un film de super héros. Si c’était pour infliger pareil traitement à l’un des vilains cultes (mais certes désuet) d’Iron Man, mieux valait le laisser prendre la poussière dans les pages du comic book.

A ce stade, le très, très grand public venu simplement pour se goinfrer de CGI et d’humour pouet-pouet en bâfrant son popcorn estimera sans doute en avoir eu pour son argent. Et il aura presque raison : grâce à son art consommé de l’esbroufe et le show d’un Downey Jr en roue libre, Iron Man 3 sera facilement perçu comme divertissant. Le cinéphile un tout petit peu exigeant, lui, ressortira de la salle dépité par un produit qui ne semble pas faire grand cas de la franchise qu’il exploite, jusque dans la morale finale adoptée par son héros pour résoudre sa « crise intérieure ». L’approche du « tout entertainment » n’est pas tant à dénoncer en elle même (après tout, elle a fort bien réussi au 1er opus, ainsi qu’à Captain America et Avengers), que le sentiment de désinvolture totale et du non-respect d’un contrat de qualité élémentaire passé avec le fanboy. Pas bien grave : le dit fanboy n’est définitivement plus la cible de Marvel Studios et, de fait, l’autre soir au Rex, j’ai vu la casse méthodique d’un univers sous les rires de la foule. J’ai vu l’échine courbée d’un ex-scénariste de génie devenu réalisateur hagard d’un blockbuster sans âme conçu par des experts en business-plan. J’ai vu le triomphe du cynisme et la fin d’un certain idéal de super héros. Bref, l’autre soir au Rex, j’ai vu Iron Man 3.

P.S : Même le gag de la séquence post-générique résonne comme un aveu d’impuissance des scénaristes sur leurs facultés de conteurs efficaces. Edifiant !

 

Iron Man 3, de Shane Black (2h10). Sortie le 24 avril 2013.

Partager