Le spleen du créateur – Kidding (Showtime / Canal Plus)

Le spleen du créateur – Kidding (Showtime / Canal Plus)

Note de l'auteur

On croyait Jim Carrey laissé à l’abandon ces dernières années, préférant des seconds rôles d’illuminés (Bad Batch) ou des tentatives plus sombres (Dark Crimes). Mais le fabuleux documentaire Jim & Andy sur sa performance dans le non-moins extraordinaire Man on the Moon l’a remis dans les esprits comme un acteur indispensable, un personnage sensible et un bonhomme empli d’une profonde mélancolie. Jeu du destin ou timing parfait, Kidding tombe à point nommé pour remettre l’acteur au centre des projecteurs.

Jeff est un père de famille dont la situation avec sa femme et ses deux fils est compliqué. Après un drame familial, il est réduit à vivre dans un appartement seul et tente de renouer le contact avec ses proches. Mais Jeff est aussi M. Pickles, la star d’une émission jeunesse servant à inculquer les grandes valeurs aux enfants. Il a créé avec son équipe un univers de marionnettes et de costumes, devenant une véritable idole à travers le pays. Mais sa vie personnelle va largement impacter son travail et son regard sur ce qu’il transmet à la nouvelle génération.

S’il faut résumer Kidding à un adjectif, ce serait : étrange. Voire même étonnant. C’est loin d’être anodin de voir la série atterrir sur une chaîne comme Showtime et pas sur un autre network. Entre les moments de pures fantaisies hauts en couleur et des retours à la réalité bien sombres, voire parfois un peu glauques, Kidding prend un malin plaisir à malmener son spectateur, en dévoilant les coulisses bien tristes de ce show enfantin. Jim Carrey incarne à merveille ce M. Pickles, un personnage persuadé que le monde autour de lui est meilleur qu’il ne l’est réellement, sans jamais en voir les travers. Un être innocent, un clown triste déconnecté de la réalité, implosant silencieusement au fur et à mesure des épisodes. Jeff tente par tous les moyens de faire entendre sa voix, échouant à se distinguer de son alter-ego télévisuel et miné par sa vie personnelle.

Showtime oblige, on y retrouve cette critique acerbe de la société américaine et puritaine, ou comment on cherche à contrôler l’image idyllique d’une émission pour les enfants en empêchant un homme de s’exprimer sincèrement quand il le faut. Une télévision hypocrite, faite pour ne pas choquer ni émouvoir, cachant soigneusement les revers du monde réel. Les gens camouflent leurs pulsions aux yeux du monde, et certaines scènes seraient presque drôles si ce n’était pas baigné dans une certaine mélancolie. On se rend compte au fil de la série à quel point la série de M. Pickles est populaire, portée aux nues comme quelque chose de sacrée (les désosseurs de la voiture de Jeff la remettant en place en apprenant qui était le propriétaire) ou parvenant à changer la vie des gens comme le gourou d’une secte (les lettres de fans envoyées par des femmes).

Pour emballer la série, c’est Michel Gondry qui se charge de réaliser et coproduire la série, son goût pour le fait maison se ressent sur tout le côté artistique de la série. On attendait le retour du duo Carrey-Gondry depuis le sublime Eternal Sunshine of the Spotless Mind, on n’est absolument pas déçu : la réalisation, dans les quatre épisodes que nous avons pu voir, est souvent bourrée de bonnes idées, comme ce jeu de voyeurisme dans l’épisode 2 à travers les fenêtres de deux maisons, ou encore ce génial plan-séquence montrant une ellipse de plusieurs mois dans la vie d’une fan de l’émission. C’est Dave Holstein qui se retrouve à la création, un nom connu pour les habitués de Showtime puisqu’il avait déjà créé la série I’m Dying Up Here, une série sur les artistes stand-up avec Melissa Leo et produite par Jim Carrey. Une réunion de famille, en somme.

Pour accompagner Jim Carrey, on a droit à de merveilleux seconds couteaux qui ont la possibilité de se lâcher, à commencer par Catherine Keener, excellente dans le film Dans la peau de John Malkovich, mais elle aura récemment traumatisé certaines personnes avec sa tasse et son hypnose dans Get Out. Judy Greer, qui joue le rôle de la femme de Jeff, incarne à merveille la femme au foyer qui tente maladroitement de se remettre, et Frank Langella, qu’on voit décidément bien trop peu, est à la fois le patron et un proche de Jeff.

Kidding démarre sous les meilleurs auspices, pour peu que vous appréciiez cette ambiance mordante et cruelle, noire et parfois sordide. Le parallèle d’une émission pour enfants croisée avec la brutalité de la vie réelle, symbolisé par ce personnage improbable et complexe joué par Jim Carrey, est le gros point fort de la série. Sa sincérité et sa naïveté sied parfaitement à l’acteur, qui joue une partition d’une mélancolie presque burlesque. La tristesse qu’il affiche sur son visage est instantanément attendrissante. Sous la coupe d’un Michel Gondry tout aussi inspiré, Kidding pourra peut-être refroidir ceux qui attendaient une série d’une tonalité plus légère. Pour le reste, on attend de voir la suite, mais le simple fait de revoir Jim Carrey sur (petit) écran est un pur bonheur.

KIDDING (Showtime) Saison 1 en 10 épisodes.
Diffusion sur Canal Plus Séries à partir du 11 septembre, tous les mardis à 22h40
Série créée et écrite par Dave Holstein
Épisodes réalisés par Michel Gondry
Avec Jim Carrey, Judy Greer, Frank Langella, Catherine Keener, Cole Allen
Musique originale de David Wingo

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