
Le top 10 cinéma 2014 de David Mikanowski
1 – WHIPLASH de Damien Chazelle.
Whiplash est au jazz ce que Black Swan a été à la musique classique. Un choc cinématographique. Et une divine surprise ! Tourné pour trois petits millions de dollars par un jeune prodige de 29 ans, ce long métrage est en effet une véritable bombe. Damien Chazelle, son réalisateur franco-américain, est un type simple, abordable, mais très déterminé, que Plissken et moi avons eu la chance de rencontrer au dernier Festival Américain de Deauville, où son film a obtenu le Grand prix et celui du public – standing ovation à la clé (notre long entretien avec ce virtuose de la caméra est disponible ici).
Redécouvrir avec Whiplash que le plaisir au cinéma s’avale tout rond et non pas en ayant l’air d’y goûter explique sa position au sommet de mon classement 2014 – une année pourtant riche en sensations. Pour en savoir plus sur ce film surpuissant, sorti le 24 décembre dernier, vous pouvez découvrir ma chronique ici. Mais le mieux que vous puissiez faire, c’est de vous rendre illico dans les salles obscures pour le découvrir. Il décrit, avec beaucoup d’ambiguïté, la relation (filiale, sadomasochiste, sexuelle peut-être…) entre un jeune batteur supplicié (la révélation Miles Teller) et son maître (J.K. Simmons, incroyable en prof de jazz pervers et fort en gueule, balançant des dialogues orduriers – et parfois des cymbales – à la face de ses élèves. Il a d’ailleurs été récompensé le 11 janvier dernier aux Golden Globes pour sa prestation).
Avec un sens du tempo ahurissant, Chazelle repousse les limites du possible avec cette œuvre doloriste dont la tension ne faillit jamais (le concert final, en forme d’apothéose). Cette histoire de rapports haine-fascination entre deux musiciens a déjà décroché cinq nominations, dont celles du Meilleur film et du Meilleur acteur dans un second rôle, pour la prochaine cérémonie des Oscars le 22 février prochain. Et ce n’est que justice.
2 – UNDER THE SKIN de Jonathan Glazer.
A bien failli être premier du classement. C’est le geste artistique de l’année. L’œuvre la plus expérimentale aussi (avec L’étrange couleur des larmes de ton corps du couple Cattet-Forzani). C’est un prototype, qui échappe à la pensée industrielle. Un ovni unique en son genre. Il marque le retour d’un cinéaste décidément trop rare, le Britannique Jonathan Glazer, réputé pour ses clips et ses pubs, mais aussi pour son précédent film (l’excellent Birth avec Nicole Kidman, sorti il y a déjà dix ans).
Voilà un film réellement à part, mystérieux, imprévisible, qui tient du trip sensoriel. Une œuvre sombre et radicale, au rythme languissant, qui demande un certain abandon. Une vision cauchemardesque et glaciale de l’Écosse, entre friches industrielles, lotissement sinistres et bretelles d’autoroute.
Le pitch ? Une extraterrestre d’apparence humaine rôde dans les rues de Glasgow pour séduire et éliminer des hommes… Sur ce simple postulat, Glazer signe un film d’anticipation à nul autre pareil, épuré, anxiogène. Et livre des images fortes, obsédantes, en un mot inoubliables : un bébé abandonné sur une plage à marée montante, la nuit tombante ; La rencontre nocturne entre l’extraterrestre et un jeune garçon au visage difforme, monstre émouvant atteint de la maladie de Recklinghausen ; Un homme noyé dans un étrange liquide noirâtre – sorte de version inversée d’un bain amniotique –, dont les os craquent et la peau se détache peu à peu de son corps. Et qui finit par se vider comme un ballon de baudruche (peintre de la violence, Francis Bacon n’aurait pas fait mieux avec cette vision terrible de la mort).
C’est aussi une œuvre qui nous questionne sur la notion même d’humanité. Les plus belles scènes sont peut-être celles où l’alien observe nos comportements (dans un centre commercial notamment), analyse froidement nos faits et gestes, aussi curieux soient-ils. Dans ces moments, nous sommes, de son point de vue, les extraterrestres. Des étrangers aux mœurs bizarres qu’il étudie comme des insectes.
Il faut parler enfin des violons stridents de la compositrice Mica Levi. Un chaos de cordes frottés furieusement à la manière de Bernard Herrmann dans Psychose, qui accompagne chaque image perturbante de ce film (la BO, tendue, donne la chair de poule). Le travail sur le sound design est, de plus, particulièrement impressionnant.
Et puis il y a Scarlett Johansson, en brune, qui sort de sa zone de confort (les productions Marvel) et livre une composition fascinante dans la peau de cette super-prédatrice insensible et reptilienne, qui s’humanise à notre contact. En totale confiance, la star hollywoodienne s’est mise à nue – au sens propre comme au figuré – pour incarner cette fille qui venait d’ailleurs. Et qui finit par se dévêtir de sa propre enveloppe. Prise de risque énorme pour une actrice qui a beaucoup joué avec son image cette année (dans Her de Spike Jonze, où elle était la voix, sensuelle, d’une intelligence informatique ; dans Lucy de Luc Besson, où elle utilisait 100% de ses capacités cérébrales avant de se dématérialiser en… clé USB).
Pour avoir visionné ce film insensé une demi-douzaine de fois, ausculté, plan par plan, certaines séquences, j’ai l’intime conviction que cette œuvre kubrickienne porte la marque d’un cinéaste de tout premier ordre.
Under the Skin, je t’ai dans la peau.
3 – THE GRAND BUDAPEST HOTEL de Wes Anderson.
Wes Anderson, c’est un peu comme Tati. On aime ou on déteste. Il y a les pros et les antis. Ceux qui comprennent son humour. Et ceux qui ne captent pas du tout. Personnellement, j’ai toujours accroché à son cinéma. Et ce, dès son deuxième long métrage, Rushmore, en 1998. Même si le premier film où il a vraiment apposé sa signature, c’était La famille Tenenbaum en 2001 – l’année où “le style Andersonˮ est né. Car Wes a du style. Ou du moins, un style. Visuel. Narratif. Et certains tueraient père et mère pour ça. Lui, au moins, l’a trouvé. Alors on reproche à ce formaliste qui voit le monde comme une maison de poupées de faire un cinéma décoratif et fétichiste, de s’enfermer dans une formule et de tourner en rond, à l’image de ses panoramiques. Mais c’est faux. Stylistiquement, on est peut-être en terrain connu (même si le cinéaste a déjà surpris son monde en réalisant un film en stop-motion en 2009, Fantastic Mr. Fox, et qu’il en prépare un autre pour 2015, L’or de Naples). Mais ses intrigues ne se ressemblent pas. Ce jeune dandy a peut-être des obsessions (la famille, les Œdipes non résolus…) et des thèmes récurrents (la recherche du père, voire de la mère dans le génial À bord du Darjeeling Limited…), il n’en demeure pas moins furieusement original. The Grand Budapest Hotel est le film-somme de ce grand styliste, celui qui concentre l’ensemble de son œuvre. C’est aussi son plus abordable, celui qui a réconcilié fans et détracteurs. Avec huit longs métrages en dix-huit ans, cet auteur complet (il a écrit tous ses films, depuis son premier Bottle Rocket, adoré par Scorsese) fait désormais partie des meubles. Et a enfin le droit à la reconnaissance.
Pour imaginer la fable de Grand Budapest, Anderson s’est librement inspiré des écrits du Viennois Stefan Zweig. Son film se déroule en 1932 dans un pays imaginaire d’Europe de l’Est et raconte l’histoire d’un grand palace sur lequel règne le distingué concierge Gustave H. (formidable Ralph Fiennes). Avec un casting de dingue, une profusion de décors symétriques et de personnages loufoques, cette étincelante fantaisie évoque le crépuscule d’un monde, bientôt balayé par la barbarie et le fascisme. Car malgré l’humour distancié du réalisateur indépendant, la mélancolie submerge cette BD grandeur nature qui délivre des détails aux quatre coins du cadre. Par ailleurs, l’esprit du Tintin d’Hergé n’a jamais autant plané sur un film que celui-ci.
Un film-monde à la fois excentrique et sidérant.
4 – MOMMY de Xavier Dolan.
Xavier Dolan est précoce. Ce petit surdoué a déjà réalisé cinq films alors qu’il n’a que 25 ans ! Blindé d’énergie, le dernier long du québécois est, de loin, son meilleur. Après J’ai tué ma mère en 2009, sa môman (rêvée, fantasmée…) se manifeste encore dans Mommy. Cette fois, elle est veuve et se surnomme “Dieˮ (merveilleuse Anne Dorval). Cette quadra a un fils turbulent de 16 ans, Steve (le blondinet Antoine Olivier-Pilon), un délinquant juvénile impulsif et violent. Leur voisine timide et désaxée (l’autre muse de Dolan, Suzanne Clément) déboule dans leur vie. Ce trio improbable va nous faire vibrer pendant près de 140 minutes au son d’Oasis (couillu l’caribou dans l’grand nord !), Andrea Bocelli (ostie d’calisse d’maudit tabarnak !) et Céline Dion (ça sent le crisse !).
On rigole, mais il faut bien un quart d’heure pour s’acclimater à l’accent québécois des protagonistes (les dialogues sont heureusement sous-titrés en français) et au fameux “joualˮ, le dialecte d’une certaine classe sociale, issue de la culture populaire urbaine de la région de Montréal. Il faut également un certain temps d’adaptation pour se faire au ratio 1:1 du film – format ultra carré, utilisé aux débuts du cinématographe (Dolan l’avait testé sur le clip en noir et blanc qu’il avait réalisé en 2013 pour Indochine, College Boy. Même s’il avait déjà tâté du format carré en 2012 sur Laurence Anyways, tourné, lui, en 1.33 :1). Dans une scène marquante du film, qui correspond à un moment d’euphorie, Steve repousse les bords du format carré avec ses bras et ouvre en grand l’écran, qui s’élargit au point de passer au format 2.35 : 1 Cinémascope. Le spectateur ressent alors, à cet instant, une sensation de joie unique, quasi-orgasmique. Quand la fenêtre se referme au bout de quelques minutes, le malheur s’abat de nouveau sur nos trois protagonistes, qui restent comme prisonniers de ce cadre étroit. Ce format carré dont on se demande comment il peut contenir de pareil torrent. Ces effets clippesques sont toujours à la limite du kitsch (parfois, ils le sont), mais ce mélo n’en demeure pas moins une véritable prouesse émotionnelle. Mommy, grand film passionnel, a d’ailleurs failli décrocher la Palme d’or à Cannes (malgré un déluge de dithyrambes, le jeune cinéaste s’est contenté d’un simple Prix du jury, partagé avec le vieillard cacochyme Jean-Luc Godard).
Cette œuvre émeut et bouscule, donc.
Mais depuis le succès du film, un truc me chagrine : des hordes de hipsters envahissent les rues de la capitale en imitant le look Dolan. Ces minets aux mèches blondes bouclées arborent lunettes à grosses montures et boucles d’oreille pour hommes. Ces sosies de Xav n’ont pas son talent.
5 – WHITE BIRD (White Bird in a Blizzard) de Gregg Araki.
Je suis fan d’Araki. Pas le photographe japonais spécialisé dans le bondage en noir et blanc. Le cinéaste sino-américain que j’ai découvert il y a vingt ans avec The Doom Generation, road-movie sous acide qui avait révélé Rose McGowan. Puis avec le très transgressif Nowhere en 1997, qui avait bien défrisé le public à l’époque. Ce cinéaste indé de Los Angeles a désormais 50 ans passés et il vient sans doute de signer, sur un ton plus apaisé, plus subtil, son meilleur film avec White Bird.
Dans la veine sérieuse de son sublime Mysterious Skin (2004), ce drame raconte, à la fin des années 1980, la soudaine disparition d’une femme au foyer, broyée par le conformisme (Eva Green, qui n’a jamais été aussi bien). Kat, sa fille de 17 ans (Shailene Woodley, l’héroïne de Divergente, chez qui Araki a décelé une sensualité cachée et jusqu’alors inexploitée) doit vivre avec cette absence inexpliquée et tenter d’élucider ce mystère. La vie de cette ado libérée sexuellement prend, en effet, une tournure étrange quand sa mère s’évanouit dans la nature, la laissant seule avec un père dépressif (le moustachu Christopher Meloni, de la série Oz).
Avec cette œuvre sensuelle (voire l’incroyable tension érotique que dégage la scène de séduction entre Kat et un flic deux fois plus âgé qu’elle) et onirique (les rêves se déroulant sous la neige), Araki fait la description d’une Amérique pavillonnaire effroyablement ennuyeuse (la banlieue californienne). Et livre, dans un style soap et pop fluo, un mélo digne de ceux de Douglas Sirk, déjà pastichés par Todd Haynes dans le génial Loin du paradis (Far from Heaven, 2002). C’est très beau. D’autant que Sheryl Lee, la Laura Palmer de Twin Peaks, y fait une apparition. Et que la BO new-wave compile le meilleur des 80’s (The Jesus & Mary Chain, Echo & the Bunnymen, The Psychedelic Furs, New Order, Cocteau Twins, Siouxsie and the Banshees, Depeche Mode, The Cure…).
On attend maintenant que Gregg Araki revienne à l’univers punk et débridé de ses premiers longs métrages. Un cinéma plus déglingue, érogène et postmoderne, dont la perversion et l’humour camp n’ont pas fini de nous amuser.
6 – SAINT LAURENT de Bertrand Bonello.
Après la version de Jalil Lespert sortie huit mois plus tôt, Bertrand Bonello (L’Apollonide, souvenirs de la maison close) évoque à son tour la vie du grand couturier sur une décennie, 1967-1976, et fait craquer les coutures du biopic classique. Bousculant la chronologie, il dresse un portrait d’Yves Saint Laurent (incarné à merveille par Gaspard Ulliel) avec plus d’aspérité. Un film d’artiste sur un artiste. Une œuvre proustienne à la tonalité cérébrale, qui entre dans la psyché de l’homme et de l’époque. Bonello s’attache au processus créatif, filme le travail de la maison YSL, les petites mains… mais aussi la passion dévorante et toxique du styliste de mode pour le dandy Jacques de Bascher (Louis Garrel). Le cinéaste a eu aussi l’idée géniale de confier le rôle de Saint Laurent âgé à Helmut Berger, qui ramène avec lui tout le folklore viscontien. Alors en dépit de quelques longueurs et accrocs (Jérémie Renier n’est pas aussi bon que Guillaume Gallienne dans le rôle l’homme d’affaires Pierre Bergé), ça ne fait pas un pli, ce deuxième biopic bat le premier… à plate couture.
7 – GONE GIRL de David Fincher.
J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de ce thriller en trompe-l’œil de Fincher, qui repose sur une intrigue diabolique et sophistiquée (vous pouvez relire mon article-fleuve, qui tente d’analyser le film sans le spoiler – un exercice de haute volée).
Un film à tiroirs, tellement dense, qu’il nécessite d’être vu plusieurs fois. On peut le lire comme un portrait à peine voilé de Ben Affleck, acteur falot jouant un beauf pétri d’égoïsme, renonçant à tout ce dont il rêvait avant même d’avoir essayé. C’est aussi une satire féroce et grinçante dans laquelle des femmes puissantes et castratrices (qu’elles soient mère, épouse, officier de police ou animatrices vedettes d’une émission de télé) s’unissent pour détruire la vie d’un époux macho et infidèle. Heureusement, l’amour triomphe à la fin de cette fable qui s’achève sur un magnifique happy end, célébrant l’institution du mariage. Ouf, la morale est sauve ! Amy (Rosamund Pike) a réalisé son rêve de petite fille. Le conte de fées promis par ses parents (dans leurs série de livres pour enfants “Amazing Amyˮ) est devenu réalité. La princesse a enfin reconquis son prince charmant. Et ils eurent beaucoup d’enfants.
Enfin… presque.
8 – MAPS TO THE STARS de David Cronenberg.
Des satires sur Hollywood, on en a vu un pacson depuis les admirables Sunset Boulevard de Billy Wilder et Les ensorcelés de Vincente Minnelli. De Barton Fink à Swimming with Sharks, en passant par The Player, le genre compte de très nombreuses réussites. Maps to the Stars en est une de plus. Le film se base, en effet, sur un très bon script de Bruce Wagner, écrivain de la Côte Ouest et ex-mari de la comédienne Rebecca De Mornay, assez proche d’un Tom Wolfe, par sa verve satirique.
À 71 ans, David Cronenberg nous plonge dans l’univers impitoyable d’Hollywood avec cette charge très violente contre la Mecque du cinéma, le star-system et ses excès. Réjouissant de méchanceté, son film frétille d’intelligence et provoque le malaise avec ses dialogues acides et sa galerie de personnages narcissiques et ultra-névrosés, attirés par le fric et la célébrité. Julianne Moore y est extraordinaire en actrice fêlée et has been (elle a d’ailleurs remporté le prix d’interprétation à Cannes avec ces “Cartes pour les étoilesˮ).
À ses côtés, on trouve un chauffeur aspirant acteur (Robert Pattison, qui se retrouve à nouveau dans une limousine après celle de Cosmopolis, du même Cronenberg), une pyromane sensible (émouvante Mia Wasikowska), un enfant star toxicomane tout juste sorti de rehab (le nouveau venu Evan Bird) et un coach-thérapeute escroc (John Cusack). Tout ce petit monde se déchire sous le soleil californien et devant la caméra du cinéaste, qui embrase les palmiers et allume, avec un sourire sardonique, son bûcher des vanités. Car Maps to the Stars est avant tout le regard qu’un réalisateur canadien farouchement indépendant porte sur l’industrie cinématographique américaine (en réalité, le film n’a été tourné que cinq jours à Los Angeles et Beverly Hills) et la société du spectacle, qui ne propose aucun avenir à ses enfants.
Avec lui, l’Usine à rêves devient cauchemar. Un territoire peuplé de fantômes, incestueux et malsain.
Burn Hollywood Burn !
9 – A MOST VIOLENT YEAR de J. C. Chandor.
On a découvert en 2012 le très talentueux Jeffrey C. Chandor avec son premier long métrage Margin Call, un thriller financier situé à New York dans le monde des traders. Librement inspiré de la faillite de la banque d’affaires Lehman Brothers, qui entraîna le terrible krach boursier de 2008 dont le monde n’a pas fini de payer les conséquences, ce film reposant sur un scénario d’une qualité exceptionnelle et un casting en or a fait forte impression à sa sortie.
En 2013, J. C. fut de retour avec All is Lost où, seul à l’écran et sans une ligne de dialogue, Robert Redford se battait contre les éléments naturels et luttait pour sa survie au beau milieu de l’océan Indien à bord d’un voilier. Avec ce Gravity sur l’eau, qui pouvait se lire comme une métaphore (la vieillesse est un naufrage), le réalisateur confirmait son statut de virtuose.
Influencé par le style du grand Sidney Lumet, voire de James Gray, son polar A Most Violent Year le place aujourd’hui dans la cour des grands. Le film se déroule à New York en 1981, l’année la plus violente qu’ait jamais connue la ville. On y suit les déboires d’un jeune immigré hispanique (Oscar Isaac) qui tente de monter une entreprise de transport et de livraison de fuel. Marié à une blonde de Brooklyn dévorée d’ambition (la coriace Jessica Chastain), ce Rastignac veut sa part du rêve américain, quels que soit les moyens mis en œuvre pour y parvenir. Même s’il refuse d’employer la violence, de manière assez hypocrite.
Mais au lieu de filmer l’ascension et la chute de ce parvenu, Chandor montre exactement le contraire. Sa démarche est assez gonflée et son récit se dévoile d’ailleurs sur le tard. Glaçante, la dernière séquence du film laisse présager qu’une nouvelle forme de violence, plus moderne mais toute aussi cruelle – celle du libéralisme sauvage – va imposer ses propres lois. Elle est portée par une génération de grands voraces, qui contemple les buildings de Manhattan comme un gros tas d’or prêt à être pillé.
10 – JOE de David Gordon Green.
Ces dernières années, la carrière de Nicolas Cage s’est apparentée à un immense gâchis. Pour rembourser le fisc, verser de l’argent à une ex-compagne procédurière et préserver son train de vie, cet immense acteur a abîmé son image et bradé son talent dans d’abjects direct-to-video ou des nanars indignes de lui. Alors que le comédien inspiré d’Arizona Junior, Sailor & Lula et Leaving Las Vegas était en train de se façonner une exécrable filmo interdite, avec moumoutes à géométrie variable, il trouve, dans Joe, son meilleur rôle depuis des lustres. Celui d’un ex-taulard devenu contremaître pour une société d’abattage de bois au Texas. Ce dernier se prend d’affection pour un ado de 15 ans (l’excellent Tye Sheridan, déjà vu dans The Tree of life et Mud) qu’il embauche dans son entreprise comme bûcheron. Chacun trouve en l’autre le fils et le père qu’il n’a jamais eu. Mais alors que Joe prend sous son aile le gamin, celui-ci est maltraité par un père SDF, alcoolique et ultraviolent (le terrifiant Gary Poulter, clodo white trash, brutalement disparu à la fin du tournage).
Tiré d’un roman du grand Larry Brown, ce drame rugueux, au rythme engourdi, prend aux tripes et donne une description du Sud fascinante. Avec sa barbe poivre et sel, Cage apporte une densité affolante à son personnage. Ce film a marqué aussi la renaissance de David Gordon Green, un cinéaste qui n’a cessé de décevoir à la suite de son premier long métrage, le remarquable George Washington (2000). On attend du coup avec curiosité son prochain drame, prévu pour fin mars, Manglehorn avec un Al Pacino vieilli mais aussi Holly Hunter et Harmony Korine.
Après la parenthèse enchantée de Joe, Nic Cage est hélas tristement reparti à ses zéderies…
Mention très honorable :
Deux documentaires inédits en salles : JODOROWSKY’S DUNE et ELECTRIC BOOGALOO (Electric Boogaloo : The Wild, Untold Story of Cannon Films).
Mais aussi AMERICAN BLUFF (American Hustle), CALVARY, LOCKE, INTERSTELLAR, LA PLANÈTE DES SINGES : L’AFFRONTEMENT (Dawn of the Planet of the Apes), LES POINGS CONTRE LES MURS (Starred Up), UN HOMME TRÈS RECHERCHÉ (A Most Wanted Man), NEBRASKA, UN ÉTÉ À OSAGE COUNTY (August : Osage County), THE HOMESMAN, THE TWO FACES OF JANUARY, NOÉ (Noah), PHILOMENA, JIMMY’S HALL, SILS MARIA, CLOSED CIRCUIT, BODYBUILDER et EDEN de Mia Hansen-Løve.
BONUS :
LE FLOP 10 2014 de MIKANO
1 – QU’EST-CE QU’ON A FAIT AU BON DIEU ? de Philippe de Chauveron.
2 – SOUS LES JUPES DES FILLES d’Audrey Dana.
3 – À TOUTE EPREUVE d’Antoine Blossier.
4 – SUPERCONDRIAQUE de Dany Boon.
5 – SMS de Gabriel Julien-Laferrière.
6 – 3 DAYS TO KILL de McG.
7 – 96 HEURES de Frédéric Schoendoerffer.
8 – NYMPHOMANIAC VOLUMES 1 et 2 de Lars von Trier.
9 – GODZILLA de Garreth Edwards.
10 – X-MEN DAYS OF FUTURE PAST de Bryan Singer + MONUMENTS MEN de George Clooney.
Alors voila le top 2014… bon déja je suis ultra choqué de mettre Under the skin en n°2… qu’est ce que c’était chiant!!!.. allez on va dire qu’il a une ambiance étrange etc.. mais franchement je ne le regarderai pas 2 fois (j’ai même pas réussi à le regarder en entier ) et je me suis empressé de le déconseillé autour de moi. Pour le reste ça se défend (je n’ai pas encore vu tous les films listés).
Par contre n’auriez vous pas oublié Her de Spike Jonze (quitte a mettre un film de Scarlet Johanson dans un top autant mettre celui là),12 years a slave de steve MCQueen (tout de même un fim qui marque), les guardiens de la galaxie de James Gunn (meilleur film de super héros marvel) ou l’exellentissime Boyhood de Richard Linklater??? certainement des oublis 🙂
Hello Flog,
On ne fait jamais l’unanimité. Her n’est pas un oubli. J’en parle brièvement dans la chronique d’Under the Skin. On n’y entend que la voix de Scarlett. Moi je préfère son corps (même si dans le film de Jonathan Glazer, il ne lui appartient pas). Le film de Spike Jonze est certes intéressant, mais Her m’ennuie davantage que Under the Skin (je le trouve dépressif). Comme quoi, les goûts et les couleurs… J’aime beaucoup 12 Years a Slave, mais il est un peu trop classique pour moi. Je ne suis pas trop branché sur les films Marvel, d’où mon manque d’intérêt pour Les gardiens de la galaxie, même si le film reste très sympathique. Quant à Boyhood, je l’ai malheureusement loupé en salles (difficile de trouver un créneau libre de trois heures). Mais je le rattraperai en Blu-ray dès cette semaine, promis ! Il paraît que c’est très émouvant (film préféré d’Obama cette année).
Et ton long métrage favori de 2014, c’est quoi ?
Bonne fin de semaine. Et merci de ta fidélité au site.
Mikano.
Cette comparaison entre « Whiplash » et la bouse « Black Swan » du tâcheron Aronofsky commence vraiment à devenir lassante (euphémisme)…
En général, on le compare davantage à la bouse Full Metal Jacket du tâcheron Stanley Kubrick, c’est vrai…