
Le Top 10 cinéma de Gilles Da Costa
Comme vous allez le constater en voyant le nombre de mentions « honorable » accordées après ce top, difficile d’établir un classement cette année tant 2013 fut riche en bons films. Et encore, n’ayant toujours pas vu Rush, Inside Llewyn Davis, Alabama Monroe ou La grande bellezza, j’ai presque l’impression d’être un imposteur. Quoi qu’il en soit, malgré quelques déceptions de taille comme Elysium, Star Trek Into Darkness, Oblivion ou Le Dernier rempart (Kim Jee-woon quoi !), je garde une impression finale très positive de ce cru généreux qui aura vu l’éclosion de nouvelles voix fortes (Joshua Oppenheimer, Peter Strickland, Yury Bykov) et la confirmation du talent de virtuose du medium (Sono Sion, Alfonso Cuarón, Park Chan-wook…).
10. Samsara de Ron Fricke
Un tournage de cinq ans à travers vingt-cinq pays pour cette sublime fresque en 70 mm dessinant sans la moindre parole le portrait limpide d’une planète et d’une humanité en mutation perpétuelle. Samsara est assurément l’un des plus beaux et plus émouvants films de cette année. Un véritable poème cinématographique, envoûtant et hypnotique, entraînant petit à petit le spectateur vers un état quasiment méditatif. Le digne successeur des incroyables Koyaanisqatsi, Chronos et Baraka.
9. Berberian Sound Studio de Peter Strickland
Loin des schémas narratifs traditionnels, Berberian Sound Studio est avant tout un film de perceptions et de sensations. Hommage au cinéma de genre italien des années 70, il en décortique les motifs, les absorbe, les digère puis les régurgite pour livrer une œuvre unique. Fascinant film en trompe-l’oeil, cette aventure déstabilisante entre comédie noire, fantastique et giallo se distingue également par un travail ahurissant sur l’image, une excellente bande originale du groupe Broadcast et l’interprétation parfaite de Toby Jones.
8. The Land of Hope de Sono Sion
Second film réalisé par Sono Sion traitant du traumatisme post-Fukushima après l’excellent Himizu, The Land of Hope est la chronique douce-amère d’un Japon profondément blessé tentant encore une fois de se reconstruire. Sorte de film post-apocalyptique détourné, sensible et fondamentalement humain, cette œuvre démontre parfaitement l’extraordinaire capacité de Sono Sion à changer de registre, se renouveler sans cesse, tout en conservant l’excentricité qui le caractérise. Beau, profond et surtout important.
7. Only God Forgives de Nicolas Winding Refn
Joli pied de nez de Nicolas Winding Refn, qui après son très populaire Drive, propose certainement l’un de ses films les plus hermétiques. Plus qu’un long métrage traditionnel présentant une structure et des personnages classiques, Only God Forgives est une expérience. Un enchevêtrement virtuose, parfois abstrait, presque expérimental, d’images et de sons nous entraînant dans un monde cauchemardesque où tout n’est que violence et mort (et karaoke). Maîtrise totale de la forme, oblitération progressive du fond, les mésaventures de Julian ne peuvent que séduire intensément ou rebuter violemment, ce qui est toujours bon signe.
6. The Major de Yury Bykov
S’attaquant à un sujet délicat avec retenue et pudeur, Yury Bykov – ici réalisateur, scénariste, monteur, acteur et compositeur – livre une vision pessimiste de la Russie moderne. Polar sec et percutant de très bonne facture, western moderne glacé, The Major brave courageusement la censure accablant la plupart des productions russes pour tenir un vrai discours sur les maux gangrenant un pays à bout de souffle. Magnifiquement porté par les performances intenses et sensibles d’Irina Nizina et Denis Shvedov, cette œuvre confirme l’émergence d’une voix forte dans le paysage cinématographique russe à suivre de très près.
5. The Master de Paul Thomas Anderson
En s’appuyant indirectement sur les balbutiements de l’Église de Scientologie, le génial Paul Thomas Anderson livre une réflexion sur la manipulation, les troubles post-traumatiques liés à la guerre et avant tout la co-dépendance. Car au centre de ce film se trouve une grande histoire d’amitié entre deux hommes, une relation forte propulsant un duo complémentaire vers des directions opposées. Interprétations impressionnantes de Philip Seymour Hoffman, Joaquin Phoenix et Amy Adams, réalisation extrêmement audacieuse, photo exploitant parfaitement la verticalité du 70 mm, superbe travail de Jonny Greenwood sur la musique… The Master est un autre chef-d’oeuvre à ajouter à la filmographie déjà bien pourvue d’un réalisateur ayant vraiment trouvé sa voix depuis Punch-drunk love.
4. Stoker de Park Chan-wook
Bien des metteurs en scène asiatiques perdent une partie de leur identité en réalisant leur premier film hollywoodien (spéciale dédicace à Kim Jee-woon). Park Chan-wook au contraire réalise avec Stoker son meilleur film depuis cinq ans. Thriller hitchcockien macabre d’une beauté à couper le souffle, ce film aux accents gothiques renoue parfaitement avec les thématiques chères au réalisateur et se permet même une belle ambiguïté morale rarement présente dans la plupart des productions contemporaines de cette taille. Porté par un trio d’acteur évoluant avec classe et détachement dans cette fable lugubre à la direction artistique somptueuse, Stoker est un joyau noir comme on aimerait en voir plus souvent.
3. Gravity d’Alfonso Cuarón
Alfonso Cuarón repousse les limites de l’immersion au cinéma avec se survival avant-gardiste, véritable fenêtre ouverte sur le futur du medium. Mais au-delà de la prouesse technique incontestable, la grande force de Gravity est sans doute de présenter une aventure à échelle humaine, d’utiliser les outils modernes pour raconter une histoire intemporelle de résilience et de dépassement de soi. Rutilant écrin pour le jeu mesuré et sensible de Sandra Bullock, Gravity est aussi un monument de tension et de suspense. Un objet unique, aussi spectaculaire qu’intime, alliant avec grâce les fulgurances du blockbuster moderne à un goût certain pour l’introspection.
2. Le Loup de Wall Street de Martin Scorsese
À 71 ans, Martin Scorsese donne une impressionnante leçon de cinéma avec ce film excessif, cru et résolument moderne. Parfait terrain de jeu pour un Leonardo DiCaprio totalement habité par son personnage de benêt à l’ambition stratosphérique, Le Loup de Wall Street démontre encore la maîtrise totale du langage cinématographique de Scorsese et son amour immodéré pour les trajectoires criminelles météoritiques. Conclusion logique d’une sorte de trilogie de l’assimilation du crime par la société commencée par Les Affranchis puis Casino, ce film brillant à l’énergie dévastatrice prouve que le maître de Little Italy en a encore sous la semelle et nous réserve certainement de belles surprises pour le futur.
1. The Act of Killing de Joshua Oppenheimer
En 2013, aucune fiction ne m’aura autant retourné, autant fasciné que ce documentaire. The Act of Killing représente tout ce que j’attends d’un film : des personnages intéressants, une histoire captivante, un équilibre parfait entre humour noir et terreur pure, une vision unique, un vrai propos. Mais ce qui propulse ce film de Joshua Oppenheimer traitant du génocide indonésien au sommet de mon top est sans aucun doute l’intelligence de son concept : contraindre les bourreaux à revivre leurs crimes en les reconstituant eux-mêmes devant la caméra. Une idée de génie, utilisant la fiction pour amplifier l’acuité du regard documentaire et exploitant la vanité humaine pour pousser à la confession. Le résultat de cette approche audacieuse est une œuvre parfois surréaliste, souvent violente et révoltante mais toujours à la recherche d’une certaine vérité. Ainsi The Act of Killing parvient à sonder les âmes, lever les masques et livre une réflexion effrayante sur notre capacité à renier notre humanité pour régresser à l’état de prédateurs. Incroyable.
Mention très honorable : Frances Ha, Prisoners, Spring Breakers, Captain Phillips, Pacific Rim, Django Unchained, The Place Beyond the Pines, No Pain No Gain, Mud, Zero Dark Thirty, Snowpiercer
Mais oui The Master quand meme! merci Gilles