
Le top 10 des albums 2015 d’Owen le Faucheux
Maintenant que nous avons bien digéré les fêtes de fin d’année, il est temps d’effectuer un dernier coup d’œil dans le rétro et dresser un bilan. La « team musique » vous en a concoctés quelques-uns avec pour chacun des rédacteurs, un top des meilleurs albums de l’année 2015.
10 – Viet Cong – S/T
Formé par deux membres de Women, Matthew Flegel et Mike Wallace, Viet Cong (qui annonçait en septembre qu’il comptait changer de nom, compte tenu des controverses suscités par celui-ci) a sorti cette année son premier véritable album. Le quartet de Calgary s’amuse à jouer un post-punk sinueux, empruntant plusieurs directions dans un même morceau, tour à tour, martial, tendu, psychédélique, mélodique, bruitiste. Et ça fonctionne. Les compositions titubent peut-être, mais tiennent debout. L’album se conclut sur un morceau de bravoure de 11 minutes, Death, où les artistes encore connus sous le nom de Viet Cong s’autorisent au milieu du morceau une parenthèse bruitiste à la White Light White Heat du Velvet.
09 – Suuns and Jerusalem in My Heart – S/T
Je n’ai jamais réussi à complètement apprécier les Canadiens de Suuns. Rien à voir avec leur nationalité. Le groupe m’intéresse pourtant, avec cette envie d’expérimenter dans des compositions electro-pop plutôt sombres. Mais cela reste malgré tout trop lisse, trop retenu pour que j’accroche et que j’y revienne. Problème résolu avec cette collaboration de Jerusalem in My Heart (le projet de Radwan Ghazi Moumneh, artiste montréalais d’origine libanaise accueilli par le label Constellation). Une collaboration entamée voici quelques années qui débouche enfin sur un disque, sans titre. Jerusalem in My Heart apporte les aspérités et la fièvre qui faisaient défaut jusqu’ici à Suuns. Sur ce disque, la voix – un peu plate il faut le dire – du chanteur de Suuns s’efface, au profit d’une ambiance plus drone et electro, où percent les sonorités orientalisantes apportées par Jerusalem in My Heart, sans verser dans la carte postale touristique.
08 – Jacco Gardner – Hypnophobia
Son premier album était déjà un bijou, un véritable régal avec ses chansons pop baroque sixties, renvoyant aux grandes heures de Syd Barrett, Love ou des Zombies. Avec Hypnophobia, Jacco Gardner frappe encore fort. Le Hollandais ne perd rien de ses obsessions pour les années soixante, mais avec cette fois un côté psyché plus marqué et une volonté de s’affranchir du format très classique des chansons de son premier album, Cabinet of curiosities, en laissant plus de place notamment aux passages instrumentaux. D’autres influences viennent en tête, comme celle de Gainsbourg. Jacco Gardner livre sur Hypnophobia un morceau purement instrumental (All Over, quasi easy listening, qu’on verrait bien en BO d’un film érotique vintage) ou étire un autre sur 8 minutes (l’entêtant Before the Dawn). Le disque plonge l’auditeur dans un état quasi-second. On connaît le reproche fréquemment adressé au jeune Hollandais, celui d’être un élève doué, musicien, compositeur, chanteur, mais bien trop appliqué et passéiste. Ce serait méconnaître la ferveur qu’il met dans sa musique, les rêves et les songes qu’il sème dans ces disques. Sans oublier cette pochette magnifique.
07 – Girl Band – Holding Hands with Jamie
Après plusieurs EP, les bruyants Irlandais de Girl Band (qui ne comptent aucune fille dans leurs effectifs) sortent un premier album détonant et furieux, Holding Hands with Jamie. Girl Band ou comment faire de la techno avec les instruments du rock. Girl Band qui pousse My Bloody Valentine dans ses ultimes retranchements. Au micro, le chanteur éructe, harangue ses auditeurs à la manière d’un Mark E. Smith. Les musiciens semblent vouloir passer les oreilles de l’auditeur au papier de verre qui, en bon masochiste, en redemande encore, bougeant les jambes et hochant la tête malgré lui. Seul bémol pour ce groupe à l’identité bien marquée : accrochée à sa formule, il finit par se répéter un peu au fur et à mesure du disque, déjà dans la droite ligne de ses précédents EP.
06 – Girls Pissing on Girls Pissing – Scrying in Infirmary Architecture
Girls Pissing on Girls Pissing compte pour le coup des filles dans ses rangs, mais pas que. Scrying in Infirmary Architecture, deuxième album sorti sur un label pour ce groupe néo-zélandais, navigue sur des eaux boueuses, celles qu’ont pu emprunter en leur temps Siouxsie and the Banshees ou Birthday Party. Ce disque accidenté mêle un chant masculin souvent au bord de la rupture et une voix féminine plus douce. Les instruments sont variés : guitares bien sûr, mais aussi des cuivres et des claviers. Scrying in Infirmary Architecture nécessite plusieurs écoutes pour en apprécier pleinement toute la richesse. L’ensemble du disque tient un bel équilibre, évitant de se vautrer dans la noirceur avec des éclaircies bienvenues et ne cherchant pas la dissonance pour la dissonance grâce à des compositions solides. Pour en prendre pleinement la mesure, je crois qu’il faut écouter Ceramic Miscarriages, morceau parfaitement désespéré avec ses deux voix qui se répondent, l’une mélodique et captivante, l’autre grinçante, alors que les cuivres gonflent le morceau d’un lyrisme sombre. Difficile de résister. PS : éviter de googliser le seul nom du groupe au bureau, l’écran bien en évidence.
05 – USA Nails – No Pleasure
On ne cherchera pas l’originalité chez USA Nails, juste une bonne claque. Mission accomplie avec No Pleasure. Ces Londoniens connaissent sur le bout de leurs doigts écorchés les tables de la loi du punk et du noise rock. No Pleasure, leur deuxième album, est tendu à souhait et arrive à combiner à la fois précision, puissance et urgence. USA Nails prend l’auditeur à la gorge, serre fort et ne lâche plus. Les guitares tranchent dans le vif, la batterie pilonne, le chant, légèrement en retrait, se fait bien teigneux. Tout au long des 11 titres, les musiciens ne relâchent jamais la pression, mais arrivent à introduire de multiples variations, évitant la lassitude. Certaines rythmiques tirent vers le krautrock, comme sur le frénétique et furieux They’d Name an Age, un des sommets de l’album qui dure 6 minutes, là où les autres titres sont quasiment tous expédiés en moins de 3 minutes.
04 – Wavves x Cloud Nothings – No Life for Me
La collaboration de deux figures US d’un indie rock dépenaillé découche sur une collection de chansons pop et nerveuses, de celles que l’on fredonne sous sa douche ou qu’on reprend à tue-tête dans sa voiture. D’un côté donc (sur la côte ouest), il y a Wavves, le groupe californien de Nathan Williams et son garage tendance pop et surf. De l’autre (sur la côte est), Cloud Nothings, le projet de Dylan Baldi, plus sombre et bruitiste, mais pas moins doué pour trousser des mélodies. La rencontre des deux fait mouche sur No Life for Me. Les morceaux sont tous signés à quatre mains, à l’exception de Such a Drag, où seul Nathan Williams est crédité. Ajoutons que dans un monde idéal, How it’s Gonna Go passerait en boucle sur toutes les grandes radios.
03 – Low – Ones and Sixes
Sur Ones and Sixes, son onzième album, Low n’a rien perdu de sa capacité à bouleverser l’auditeur, avec de magnifiques mélopées. L’atmosphère est lourde et tendue, traversée par de belles éclaircies. Le disque se nourrit de cette tension. La voix frêle de Mimi Parker semble flotter sur la musique, alors que celle de son époux Alan Sparhawk, est plus terrienne, les meilleurs passages étant ceux où ces voix antagonistes s’entremêlent. Souvent décrite comme austère, la musique de Low s’est enrichie depuis les débuts de ce groupe emblématique du slowcore US (un rock ralenti et étiré). On trouve ici des sonorités électroniques discrètes, des guitares crasseuses, des échappées quasi pop. Low réussit là un magnifique disque accidenté.
02 – Lardo – Gunmetal Eyes
Gunmetal Eyes, le premier album de Lardo, fait partie des albums de noise rock à retenir cette année. On ne s’étonnera pas que ce trio vienne de Chicago, le bastion de Shellac. Ce ne serait cependant pas lui rendre justice que de l’écraser sous les références. Il faut d’abord saluer la tenue impeccable de ce disque. Lardo joue un noise rock tout en finesse, sans bavure. En refusant de passer en force, le groupe n’en est que plus incisif. La rythmique est brutale et implacable. S’y greffent une guitare bourdonnante et stridente, un chant plutôt clair et parlé. Un album seulement et Lardo a déjà trouvé un son. Le groupe sait aussi jouer parfaitement sur les ruptures de rythme et amener des mélodies. Bref, il nous livre là un disque de noise rock inspiré et singulier, qui tranche sur le tout venant.
01 – 2kilos &More – Lieux-dits
Quand on est face à un groupe qui s’appelle Gunmetal Eyes, on se doute qu’on n’a pas affaire à des bleuettes chantées avec un accompagnement au ukulélé. Mais 2kilos &More ? Derrière ce nom intrigant, se cache un duo français, Séverine Krouch et Hugues Villette, un duo géographiquement dispersé, entre Paris et Berlin. Et donc à quoi faut-il s’attendre pour ce quatrième album intitulé Lieux-dits ? Un objet hybride, intense et intelligent, qu’on dénichera dans les bacs electro. Certains titres évoquent un trip-hop sombre à la Tricky, période Premillenium tension ou les productions du même Tricky sur le disque Product of the Environment, qui voit d’authentiques gangsters anglais narrer leurs histoires. C’est surtout le cas des trois morceaux où Black Sifichi, déjà invité sur le précédent album, délivre son spoken-word. Mais Lieux-dits se nourrit également à l’indus, au post-rock, à la musique expérimentale, sans jamais perdre l’auditeur. Ce disque a une texture, une saveur, de la poésie. On ne saurait même pas quel morceau choisir pour le faire découvrir tant chacun apporte quelque chose de différent et rivalise avec le reste.