Le Transporteur, nouveau néant de la fiction télé

Le Transporteur, nouveau néant de la fiction télé

L’adaptation cathodique de la franchise à gros sous produite par Luc Besson a été montrée hier soir à la presse en présence de toute la production. Verdict courroucé dans les lignes qui suivent.

M6 a donc eu l’amabilité de nous dévoiler un épisode du Transporteur, déclinaison télé de la franchise beauf et sans âme (mais avec Jason Statham) initiée par Europa Corp en 2002. En présence de Bibiane Godfroid (directrice générale des programmes de M6), Philippe Bony (patron de la fiction), Takis Candilis (PDG de Lagardere Entertainment), Klaus Zimmermann (DG d’Atlantique Productions, filiale de L.E) et une partie des acteurs, nous avons donc découvert cette co-production internationale (France/Allemagne/Etats-Unis/Canada) de 12 épisodes d’environ 50 minutes. En guise de hors d’œuvre avant la projection, le responsable des combats Cyril Raffaelli et deux compères se sont livrés à une vraie-fausse baston devant les journalistes amusés. Une chorégraphie qui ne mangeait (et manquait) pas de pain, histoire de bien nous rappeler qu’on n’était pas venu pour voir le dernier Josée Dayan mais bien une fiction avec de la sueur et des bollocks. Avec le recul, probablement le moment le plus agréable de la soirée. Vinrent les inévitables discours d’autocongratulation des principaux responsables de la catastrophe à venir, au sujet de laquelle l’un de nos hôtes a tout de même osé un flamboyant : « Même des productions comme les séries HBO ou 24 n’ont pas la même ampleur que celle du Transporteur». Sur ce, bonne projection à tous, extinction des feux, générique…

On ne s’attendait certes pas, loin s’en faut, à un chef-d’œuvre. Ni même une bonne surprise ou une bonne série. Je veux dire : on SAVAIT que le combo « Transporteur/M6/co-production internationale » n’allait certainement pas accoucher d’autre chose qu’une potacherie vroum vroum customisée avec pépées moulées, kickboxing et grosses berlines. Et personnellement, après l’horreur Merlin aperçue sur TF1 la veille (je reviens vers toi très vite Gérard, tu perds rien pour attendre), j’étais prêt à payer cash pour ce plan-là, gonflé d’indulgence. La petite flammèche d’une certaine candeur me faisait, peut-être, espérer un minimum syndical en matière d’efficacité, un semblant d’effort sur l’interprétation et un ensemble qui jouerait dans la cour de l’équivalent français d’un NCIS en mode action bourrine. A savoir un produit, certes, aussi superficiel que le goût d’un Big Mac, mais qui au moins remplirait sans histoire son contrat de divertissement à bas coût neuronal. Les motherfuckers m’ont bien eu ! Le Transporteur version télé, du moins l’épisode qui nous a été montré hier (A coeur ouvert, mentionné comme le 4e sur le DVD remis après projection), enfonce de très loin tous les canons de l’indigence et de la nullité jamais vues sur un écran. Du néant abyssal à chaque scène. On n’est même plus au niveau d’un Big Mac, ni même d’un kebab indigeste. Le Transporteur, c’est carrément du non comestible, du toxique, de la fiction avariée refourguée sans état d’âme et en parfaite connaissance de cause.

 

Drôlerie involontaire

 

Après Prison Break et Burn Notice, Chris Vance a décidé de lever le pied (sur la qualité).

Dans A cœur ouvert, le « Transporteur » Frank Martin (Chris Vance, moins marrant que Statham dans les films) se voit chargé de convoyer un cœur, fauché dans un hôpital niçois et destiné au fils malade d’un gros mafieux local. Aie : le cœur en question devait initialement servir à sauver un autre petit garçon innocent aux parents rongés par l’angoisse – le marmot n’a plus que quatre heures à vivre. Lorsque Frank apprend la vérité suite à un coup de fil de l’inspecteur Tarconi (François Berléand, droopyesque), il casse le contrat et décide de restituer sa marchandise à son receveur initial. D’où parrain furax, course poursuite, yamakazeries, fusillade nawak et finalement (pardon pour ce spoil majeur) happy end. Projeté dans une VF à faire passer celle des Feux de l’amour pour la crème du métier, l’épisode a laissé les journalistes littéralement bouche bée (ou hilares) devant un festival ininterrompu de…. de rien. Mis à part un vague boulot sur les cascades et bastons (filmées façon Turbo sur M6), A cœur ouvert  sidère par son absence absolue et sans complexe du moindre effort à tous les postes.

Les acteurs ? Au choix : des silhouettes parlantes, des automates ou des créatures virtuelles à l’expressivité rappelant celle des top models computerisés dans le visionnaire Looker de Crichton. On ne peut pas leur en vouloir, à Vance, Chanéac et consorts : comment jouer avec ne serait-ce qu’une lueur de conviction des dialogues et une trame dignes d’un Q.I de chimpanzé ? Leurs personnages ne sont rien, ne viennent de nulle part, n’expriment rien, tout juste ont-ils un nom dans le meilleur des cas (Drago pour le mafieux, waouh !). Comme dans les antiques sitcoms AB ou une pub pour bagnole, ils parlent, remplissent le cadre, on les regarde avec autant d’excitation qu’un bottin jauni, vaguement triste pour la si sympathique Delphine Chanéac embarquée dans ce Titanic cathodique.

Un exemple parmi d’autre des échanges spirituels entendus au long de ces 50 minutes interminables :
– Berléand à son interlocuteur : « Bonjour, je suis l’inspecteur Tarconi »
– L’interlocuteur : « Tant mieux pour vous ! »

Au passage on signalera aux scénaristes qu’en France, le grade d’inspecteur a disparu depuis au moins 15 ans (remplacé par ceux de lieutenant, capitaine ou commandant) mais on ne va pas s’encagasser avec des notions aussi ringardes que la crédibilité et un chouïa de réalisme hein…

Un peu plus tard, notre Transporteur coursé à pince par les vilains croise un véhicule de police à l’arrêt et décide d’en forcer la portière avec son canif. Un poulet le surprend, s’approche et lui adresse un sublime « Monsieur puis je vous aider ? ». Frank, qui vient de passer un quart d’heure à défendre bec et ongle son colis, le remet ensuite sans se poser de questions aux premiers képis venus, avant que Tarconi (qui n’a pas décarré de l’hôpital depuis le début de l’épisode) ne lui apprenne qu’il s’agit probablement de faux policiers ! On nage en plein délire et le « scénario » donne l’impression d’avoir circulé de main en main pendant une soirée alcoolisée où chaque auteur aurait écrit son bout de scène sans lire la contribution du précédent. La VF, encore elle, totalement à la ramasse à tel point qu’elle ne dépareillerait pas un sketch de Mozinor, n’arrange pas la patine impersonnelle et la drôlerie involontaire du résultat. L’action se déroule en France mais tout sonne faux, les visages, intonations, actions, réactions, décors… La production a d’ailleurs fait appel à une impressionnante quantité d’images de synthèse pour remplacer les arrières plans canadiens (la série est tournée à Toronto) par des paysages du Sud de la France. So much pour l’authenticité, coco.

 

La réalisation offre quant à elle un énième recyclage cheap des clichés formels en vigueur depuis Les Experts Miami, moisis depuis au moins quatre ans mais visiblement, la production n’est pas au courant. Chaque épisode aurait coûté trois millions d’euros l’unité, on se frotte les yeux et les oreilles tant le résultat visuel respire le toc.

Calmons nous et buvons frais : inutile de poursuivre la vindicte, à quoi bon après tout ? D’abord, on ne sait jamais, un miracle peut arriver et les autres épisodes de ce Transporteur à la gestation (ai je cru comprendre) plutôt houleuse corrigeront peut-être le tir. Mais surtout, après les 7 millions de téléspectateurs agglutinés devant la première partie du nullisime Merlin sur TF1, on ne peut finalement que s’incliner devant le cynisme payant de nos chaînes commerciales. Le Transporteur raflera sûrement la mise et tant mieux pour ses équipes, la chaîne, les annonceurs et tout ce système débectant de paresse. L’image de la fiction française (ok c’est une co-prod’ tournée en anglais, mais initiée par une boîte bien de chez nous) et  le pari d’une exigence minimale du téléspectateur, même au sujet d’une série à vocation purement commerciale ? Visiblement M6 et Atlantique n’en ont cure et ont décidé, comme TF1 avec Merlin, de payer au genre un grand bond en arrière de première classe. Sidérant, vous dis-je.

 

Le Transporteur (12×52′), prochainement sur M6.

 

Ci-dessous, le teaser de la série, publié voici quelques mois sur feu Le Village.

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