
Le triskel volé de Miguelanxo Prado
Au commencement, il y avait Anges et démons. Pas le film avec Tom Hanks, non, plutôt un monde où l’homme est venu perturber l’ordre naturel des choses. Depuis, règne la trêve de la léthargie. Rassurez-vous, vous n’allez pas vous endormir à la découverte de ce récit d’aventure ésotérique et branché où l’espèce humaine et la Terre sont plus que menacées. Avec même un peu de Karl Marx et de Friedrich Engels dedans, si, si. Bon, faut quand même bien chercher et lire entre les lignes cette BD à mettre entre pas mal de mains.
L’histoire : un étudiant découvre via un vieux livre, qu’il exhume, une porte d’entrée vers un monde aussi fantastique qu’inquiétant. Un monde où les humains ne sont pas seuls sur la Terre et où leur propension à l’autodestruction sont un danger pour l’humanité entière. Avec peu d’alliés, cet archéologue en herbe va mener une quête dangereuse qui doit le mener à un triskel, un symbole celtique à trois branches, salvateur. S’il y parvient, ses congénères seront épargnés, s’il échoue l’ordre ancien des anges et des démons fera place nette.
Mon avis : le scénario est très bien foutu. Bien qu’un peu moralisateur. Sur le thème de notre Terre que nous sommes en train de détruire à force de l’asservir pour un capitalisme effréné et sur la dominante que l’homme est un loup pour l’homme. Une parabole de ce qui va survenir si nous ne mettons pas tout en œuvre pour stopper notre gabegie de besoins et de volontés.
En cela, cela fonctionne. Le message passe servi par une intrigue audacieuse. Les hommes ont appris des anges et des démons comment vivre sur/de cette planète, un fragile équilibre entre les trois parties prévaut depuis la nuit des temps. Sauf que, comme nos semblables, mettent la Terre à feu et à sang, les créatures magiques décident d’intervenir. Les unes ne proposent ni plus, ni moins que l’anéantissement de l’espèce humaine, les autres promeuvent le compromis coûte que coûte. Avec tout ça, on court à la méga-baston.
L’auteur mêle avec facilité heroic fantasy et récit d’aventure pour livrer un conte onirique et assez surprenant. Un conte à message avec des petits relents de lutte des classes, avec pas mal de sourires aussi. Un ouvrage aussi intéressant que dérangeant.
Tout serait donc parfait dans le meilleur des mondes s’il n’était le trait et les couleurs de Prado. Le teint baveux, mi-aquarelle, mi-pastel, les visages hyper-marqués, striés sont désarçonnants. Je n’ai absolument pas goûté ce dessin. Ce qui est gênant pour une bande dessinée.
Si vous aimez : le personnage et le mythe de Faust, tiens comme on se retrouve…
En accompagnement : une balade dans les 6e et 8e arrondissements marseillais en remontant l’avenue du Prado jusqu’à la statue de David.
Autour de la BD : Miguelanxo Prado est un auteur espagnol, galicien de surcroit, à succès remarqué et salué par la critique. Comme Trait de craie qui a décroché plusieurs prix de la profession. On peut également citer le savoureux Quotidien délirant. Ses thèmes sont variés, son trait, on l’aime ou on ne l’aime pas. Je vous laisse deviner mon sentiment.
Extraits : « Cela fait des années que j’étudie les cultes sataniques, maître Daimon, mais c’est frustrant. J’ai besoin d’entrer en contact avec Satan. Vous devez m’aider à y parvenir… »
« Il s’agit de quelque chose de très sérieux, Monsieur Traba. C’est transcendant. On ne peut pas prendre cela à la légère. Pourquoi voulez-vous entrer en contact avec le Prince ? »
« Je suis un aristocrate, maître Daimon !! Ma lignée se perd dans la nuit des temps et elle a toujours dirigé et conduit les destins de nos serviteurs par le droit du sang. Mais, en ces temps troublés, l’ordre naturel des choses a été oublié. La plèbe croit être au même niveau que les nobles, avoir les mêmes droits.Et ainsi va le monde… Je veux proposer un pacte au Seigneur des ténèbres en échange de mon âme immortelle, je lui demande de me rendre le pouvoir que les miens ont toujours eu. »
Écrit et dessiné par Miguelanxo Prado
Édité par Casterman