Les Évangiles écarlates : les Goonies contre Lucifer

Les Évangiles écarlates : les Goonies contre Lucifer

Note de l'auteur

Le roman qui oppose le privé du surnaturel Harry D’Amour au Cénobite anti-luciférien Pinhead sort en poche. Un texte qui laisse plutôt froid – malgré son sujet et un certain talent pour les corps déchirés – et qui ne compte pas parmi les plus réussis de Clive Barker.

L’histoire : Pinhead, prêtre de l’Enfer immortel, massacre les derniers magiciens humains, s’approprie leurs pouvoirs et prépare un coup d’importance qui devrait modifier l’équilibre tant de son territoire que du nôtre. Face à lui, le privé Harry D’Amour met la main sur l’un de ces fameux cubes qui ouvrent une porte vers l’Enfer.

Mon avis : Que voilà un pitch alléchant : Pinhead vs D’Amour, dans un « final grandiose » (dixit l’éditeur). Trop alléchant, sans doute. Ce genre d’affrontement peut-il vraiment se terminer de façon satisfaisante, c’est-à-dire autrement qu’avec un produit en définitive plutôt convenu ? J’aurais tendance à répondre par l’affirmative, mais il faudrait se creuser pour trouver un bon exemple…

C’est un peu mon problème avec Clive Barker, problème personnel dont je parle ici depuis la chronique de Sacrements voici un bail : Barker crée de beaux objets un peu froids, malgré une vraie puissance visuelle qui aura marqué la fin des années 80 et toute la décennie suivante, depuis la sortie de ses Books of Blood et surtout du premier long métrage Hellraiser en 1987.

Et c’est ce paradoxe qui me trouble le plus : un talent certain pour l’imagerie Grand Guignol gore, un goût des corps déchirés, du sang par magnums entiers, des paysages ténébreux et des odeurs méphitiques ; contrebalancé par une écriture froide, descriptive, qui ne transmet, en fin de compte, aucune vraie sensation au lecteur.

À l’inverse, lisez The Girl Next Door de Jack Ketchum (Une fille comme les autres chez le même éditeur). Peu voire pas d’éléments gore, mais un récit qui prend aux tripes, fait ressentir chaque seconde d’abjection, et l’on se retrouve pantelant une fois le livre refermé. Face à cela, la lecture d’un Barker laisse toujours un goût de trop-peu. Peut-on vraiment se contenter d’écrire qu’un personnage hurle de douleur ? L’idée n’est-elle pas précisément, lorsqu’on se targue d’explorer les territoires de la souffrance, d’en faire ressentir au moins une partie au lecteur ? Lui donner l’impression du hurlement dans ses oreilles ?

Pinhead dans la franchise « Hellraiser »

À nouveau, il n’y a pas qu’une façon d’écrire. Il est trop facile de dire d’un auteur qu’il aurait dû faire ceci ou cela de telle ou telle autre manière. Mais même dans la conduite de sa narration, Barker paraît faire une confiance totale à son histoire. Il semble tirer le fil, dévider la bobine, sans réellement décider de quoi que ce soit. Cela produit un récit qui tourne parfois en rond, avec des passages moins essentiels, des clichés çà et là, des allers et retours.

Mais surtout des dimensions inexploitées, la plus importante touchant – et c’est plutôt malheureux – au titre lui-même. Puisque les “évangiles écarlates” dont il est fait question, et que Pinhead veut que D’Amour rédige après avoir été témoin de son triomphe ou de sa chute, brillent par leur absence. Pas d’évangiles du mal ici, D’Amour refusant avec une belle constance de mettre la main à la pâte. « Quel magnifique cliché tu fais », dit Pinhead à D’Amour. Une réplique qu’il aurait pu livrer au roman lui-même, bel objet un peu creux, comme un œuf Fabergé (encore).

Restent quelques passages intéressants à défaut d’être nouveaux ou passionnants. La vie intérieure de Felixson, magicien devenu familier de Pinhead, en Enfer. Les différentes façons d’être surpris par les paysages de l’Enfer, qui ne correspondent en rien à l’imagerie donnée par les artistes humains au fil des siècles. Les morts comme « grande ressource inexploitée de l’univers » (et qui le restent ici).

Pas de quoi sauver l’ensemble. L’Enfer des Évangiles écarlates ressemble au pays magique de Coldheart Canyon, quelque chose de froid et de distant, dans lequel évoluent Harry D’Amour et son équipe comme des Goonies égarés. Et ce n’est pas le « final grandiose » promis par la quatrième de couverture qui satisfera un lecteur en mal de sensations fortes : rien de neuf, rien d’original. Le contrat est rempli, mais on attendait davantage.

Clive Barker

L’extrait : « – Avant que quoi arrive ? demanda Lana.
Dale se tourna vers elle et lui répondit :
– L’Enfer.
– Une brèche va s’ouvrir ici, expliqua Norma. Quelque chose d’une autre sphère essaie d’entrer et… bon sang ! (Elle s’interrompit brusquement.) Je viens de m’apercevoir qu’il n’y a aucun fantôme dans les environs. (Elle fit un demi-tour sur elle-même et leva son visage vers le ciel, avant de reprendre après quelques secondes.) Pas un seul.
– Qu’est-ce que c’est que ce boucan ? demanda Caz.
Ça avait brusquement démarré tout autour d’eux – un grand nombre de bruits. Harry se tourna vers ce qui semblait en être la source.
– Ça vient des maisons, dit-il.
Les fenêtres tremblaient dans leurs châssis, les portes closes vibraient comme si elles étaient sur le point de s’ouvrir à la volée. Des tuiles arrachées aux toits s’écrasèrent au sol, tandis que de l’intérieur des bâtiments s’élevait le vacarme de la danse d’innombrables objets domestiques répondant au même appel. Le bruit s’amplifia, alors que vaisselle, bouteilles, lampes et miroir tombaient et se fracassaient, comme si chaque habitation subissait l’assaut de vandales en même temps.
– Apparemment, on est bons pour une bagarre, dit Caz. »

Les Évangiles écarlates
Écrit par
Clive Barker
Édité par Bragelonne

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