Les Frères Sisters : Regarde les cowboys bavasser

Les Frères Sisters : Regarde les cowboys bavasser

Note de l'auteur

Dans l’Ouest sauvage, deux frangins se lancent à la poursuite d’un drôle d’alchimiste. Signé Jacques Audiard, un western arty aux allures de conte, sublimement usiné, mais vain et dénué d’émotion.

 

Je n’aime pas beaucoup le cinéma de Jacques Audiard. Pourtant le réalisateur du Prophète et De rouille et d’os est plébiscité par les médias, le public, et il braque régulièrement Cannes, Venise ou les César. Malgré son talent de metteur en scène et de directeur d’acteurs, je n’ai jamais été totalement emballé par le fils de Michel Audiard. J’ai l’impression que ses films sont purement théoriques, jamais viscéraux et le plus souvent dénués d’émotion. Pour Jacques Audiard, impossible de faire un simple film ou un film simple. Il y a du sous-texte à la pelle, des réflexions qu’il assène dans des films scénarisés jusqu’à l’os, cadrés au millimètre, même dans les décadrages. Car Audiard fait dans l’exercice de style, le cinéma maîtrisé, trop maîtrisé, il usine des objets cadenassés, surfabriqués, du cinéma maniéré. Et comme disait Kubrick, il ne faut pas faire le malin avec la caméra… Son œuvre est placée sous le signe de la démonstration lourdaude. De battre mon cœur s’est arrêté était un remake, mais aussi une interrogation sur la masculinité, la filiation (ça le travaille, Audiard fils). Le pénible De rouille et d’os était un mélo, une histoire d’amour entre deux marginaux, une histoire de famille et de filiation (encore ?). Avec Dheepan, on avait droit pour le prix d’un seul billet à une histoire d’amour, un état des lieux des cités françaises, donc un film politique, et en cadeau bonus un Taxi Driver arty doublé d’un « vigilante movie » Charles Bronson style. Pourtant, ça ne vole jamais très haut. Quand on lui a demandé quelle était la morale de Dheepan, Jacques Audiard a balbutié sur France Inter sans exploser de rire : « Euh, la famille, c’est intéressant. » Bref, le cinéma d’Audiard manque de chair et d’âme. C’est impeccablement usiné, fabriqué, mais vide. Parce qu’il se regarde filmer, parce qu’il s’aime un peu trop et qu’il n’aime pas assez ses personnages, Audiard n’aura jamais la grâce des cinéastes qui ne truquent pas, qui ne fabriquent pas l’émotion, mais qui parviennent à la capter 24 fois par seconde.

Bon, malgré toutes mes réserves, c’est peu dire que j’attendais Les Frères Sisters de pied ferme, un western tourné en anglais avec quelques uns des meilleurs acteurs du moment. Puis, j’ai commencé à entendre Audiard attaquer le cinéma de Sam Peckinpah, déblatérer dans les médias qu’il n’aimait pas le western avant les années 70 et ses « personnages de cons »… Exit donc Howard Hawks, John Ford, Delmer Daves, Anthony Mann ou Nicolas Ray. En interview, tu as l’impression que le mec se bouche le nez et il a même déclaré avoir compris qu’il avait réalisé un western lors du… montage. Quel drôle de plan com’ ! Audiard adapte donc un bouquin du Canadien Patrick deWitt et signe la chevauchée sauvage de deux frangins, Eli et Charlie, deux tueurs, deux bouchers, payés pour retrouver, torturer et massacrer Hermann Kermit, un orpailleur-alchimiste qui aurait inventé une formule chimique pour repérer l’or au fond de l’eau et faire de la ruée vers l’or une promenade de santé. De son côté, Kermit, un temps poursuivi par Morris, un détective dandy et lettré, a réussi à le retourner et les deux idéalistes se sont associés afin de fonder une communauté égalitaire et socialiste à Las Vegas, dans le pays du capitalisme hardcore et de la libre entreprise. Comme le dit Audiard lui-même, Les Frères Sisters, c’est donc « l’histoire d’un homme qui poursuit un homme qui poursuit un homme qui poursuit une idée »… Mais comme dans tous ses films, rien ne va se passer comme prévu, et le cinéaste abandonne très vite la poursuite ou la ruée vers l’or pour se consacrer aux deux frangins, hantés par un crime originel, deux victimes de leur déterminisme social et surtout familial, à qui il va essayer de rendre un semblant d’humanité.

Sous la forme d’un conte (philosophique), le scénario d’Audiard et de son complice habituel, Thomas Bidegain, alterne rebondissements, ruptures de tons, fausses pistes, résolutions grotesques et d’interminables plages de dialogue. Mais pour nous dire quoi ? Que rien ne vaut d’avoir un grand frère protecteur (Audiard a dédié son film à son frère décédé), que même un redneck assoiffé de sang peut se révéler un être humain, que nous avons besoin d’utopie et de tuer le père. C’est un peu court mais surtout effroyablement pénible car le film se traîne sur deux heures. Pour masquer la vacuité de l’entreprise, Audiard s’est entouré d’une bande de cadors : Benoît Debie, le chef op de Gaspar Noé, à la photo, Milena Canonero, la costumière de Kubrick, sa monteuse Juliette Welfing ou le musicien Alexandre Desplat qui compose une insupportable muzak jazzy. Sur le plan formel, c’est juste une splendeur. Tu as l’impression qu’Audiard a donné comme directive « CREPUSCULAIRE » et Debie sculpte les ténèbres. La première séquence donne le ton : les deux frères arrivent de nuit devant une cabane et la seule lumière qui éjacule sur l’écran noir, ce sont les flammèches expulsées des flingues alors qu’ils lancent l’assaut. C’est extraordinaire, électrifiant. Mais le plus souvent, la forme supplante le fond et je me surprenais à me désintéresser de l’action pour m’émerveiller devant la beauté sauvage d’une image, d’un mouvement de caméra, mais aussi à m’étrangler devant l’aspect m’as-tu-vu d’un fondu au noir ou ces insupportables afféteries de mise en scène, quand Audiard obture l’objectif à la main sur un détail, comme dans Le Prophète.

Pour le reste, Jacques Audiard dirige un quatuor de choc : Joaquin Phoenix, dans un rôle un poil monolithique, Jake Gyllenhaal, Riz Ahmed et surtout John C. Reilly, ahurissant en chasseur de prime qui se dégoûte d’être une brute et qui s’endort tous les soirs en serrant sur son cœur l’étole d’une femme qu’il ne peut oublier… Il est le seul personnage pétri d’humanité, d’émotions, dans ce film qui en manque cruellement.

 

Les Frères Sisters 
Réalisé par Jacques Audiard
Avec Joaquin Phoenix, John C. Reilly, Jake Gyllenhaal, Riz Ahmed.
En salles le 19 septembre 2018

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