Replay sur… Kane and Lynch 2: Dogs Days

Replay sur… Kane and Lynch 2: Dogs Days

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La génération des consoles et des jeux évoluant à une vitesse indécente, il serait dommage d’oublier certains jeux qui n’ont pas eu à leur époque l’intérêt qu’ils méritaient. Souvent pétris de quelques défauts qui viendront les faire atterrir assez vite dans les bacs à soldes, ces jeux possèdent pourtant le petit truc en plus, cette petite étincelle qui les distingue des autres jeux AAA qui ont déjà leur statut d’œuvre culte alors qu’ils ne prennent aucun risque. Retour sur ces jeux oubliés (ATTENTION AUX SPOILERS).

2015-01-02_00001Et pour commencer cette rubrique, quoi de mieux que de commencer par le (injustement) mal-aimé KANE AND LYNCH 2, sorti en 2010 sur consoles et PC, qui voyait le retour du duo de choc. Conspué à la sortie, le jeu fit un joli petit four dû à beaucoup d’éléments facilement explicables mais aussi parce que le jeu sort franchement des sentiers battus. On va voir pourquoi.

C’est fait par qui ? 

Le studio à l’origine de la licence n’est autre que IO Interactive, un studio danois célèbre surtout pour la licence Hitman. Après quatre épisodes pour 47 et le très sympa Freedom Fighters sorti en 2003, IO lance Kane and Lynch: Dead Men en 2007, avec un succès mitigé, mais suffisant pour se lancer dans un second épisode.

Ça raconte quoi ?

Le premier épisode vous mettait dans la peau de Kane (en tout cas en solo), un ancien mercenaire qui était obligé de s’associer à un psychopathe, Lynch, afin de faire un braquage pour ses anciens patrons et ainsi sauver la vie de sa femme et de sa fille. Quelques temps après les évènements du premier opus, Lynch, travaillant pour un gang qui opère dans le trafic d’armes à Shanghai, appelle son ancien partenaire Kane pour le retrouver sur place et l’aider dans une grosse livraison d’armes. A peine arrivé, Lynch embarque Kane pour rencontrer un voyou que Lynch veut interroger mais les deux compères interrompent le bonhomme en plein ébat sexuel avec une demoiselle. Après une course-poursuite dans un marché, l’homme est tué et la fille abattue par erreur. C’est le début d’une longue galère pour Kane et Lynch qui vont tenter de s’échapper de Shanghai, poursuivis par la mafia chinoise, les flics ripoux et l’armée.

2015-01-18_00010Pourquoi ça vaut le coup ?

KANE AND LYNCH: DOGS DAYS est sale, vulgaire, violent et à mille lieux des TPS standards que l’on voit en ce moment. Alors que le premier épisode était influencé à mort par le cinéma de Michael Mann (Heat, Collatéral), ce qui lui permettait d’avoir des séquences franchement réussies, le second épisode tente une nouvelle approche. Tout le jeu est axé sur l’impression qu’une vidéo Youtube tourne en boucle, et qu’un cameraman suit les deux compères dans leurs aventures : images crados, défauts de lumière, son qui crachote, caméra qui bouge partout. Le jeu propose une vraie patte graphique en se servant de l’imagerie numérique pour représenter l’univers, oubliant complètement les codes du cinéma traditionnel. Plus de travelling, plus de fondu au noir, on se retrouve avec des plans rapprochés, beaucoup de plans séquences, des cuts sans interruptions, une musique absente sauf dans les décors du jeu mélangés avec un brouhaha indescriptible. La caméra est ainsi placée proche du dos du personnage, de sorte qu’il en devient presque envahissant, surtout quand on est habitués aux autres TPS. L’imagerie du jeu au premier abord n’est pas ce qu’on pourrait qualifier de rassurante. Il possède même un côté voyeuriste presque dérangeant, dans le sens où on est beaucoup plus impliqués avec les « héros » du jeu puisque l’effet « steady cam » est continuellement présent.

Le jeu va d’ailleurs plus loin en plaçant des gros pixels sur les éléments jugés trop « trashs » : une tête explosée, des attributs génitaux, des éléments de violence plus durs, une forme d’hypocrisie et de paradoxe quand on voit le nombre d’ennemis qui tombent sous les balles de Kane et Lynch. C’est toute la richesse du titre : le jeu vous place dans un Shanghai sale et peu ragoûtant, qu’on aurait pas trop envie de visiter, dans lequel deux occidentaux défouraillent autant sur les gangsters que sur les flics ripoux ou les civils, qui deviennent de simples dommages collatéraux, mais le jeu se permet de cacher des choses trop trashs avec des amas de pixels, comme si la vulgarisation visuelle était plus forte et plus choc, et même dégradante pour nous autres joueurs que la tuerie de masse qui elle ne pose pas de problème à la censure. Une approche assez maligne, qui permet de balancer de petites piques à une mentalité américaine qui ne pense que sous le joug du gentil GI américain venu chasser le terroriste, ne s’offusquant pas de massacres à l’étranger mais ne supportant pas la vue d’une paire de seins. Le constat est encore plus fort lors d’un niveau bien particulier et vraiment réussi : au milieu du jeu, les deux personnages se retrouvent prisonniers du gang qui veut leur peau et se font torturer à coups de lacérations et d’autres sévices dont on ne veut pas vraiment connaître la teneur. Ils réussissent à s’échapper mais à poil et avec des lacérations encore fraîches partout sur le corps. Tout le niveau propose donc de prendre le contrôle des deux « héros » à poil, avec évidemment des pixels sur le dessous de la ceinture, tout sanguinolents sous la pluie et explosant des dizaines de flics à coups de fusils mitrailleur dans les rues de Shanghai. Une image forte et marquante, surtout que Kane et Lynch ne sont pas typiquement ce qu’on pourrait appeler des héros : avachis, fatigués, pas vraiment en forme physiquement, ce sont plus des hommes très standards dans un paysage rempli de mecs bien fichus et bronzés jusqu’aux orteils.

2015-01-18_00008Kane et Lynch ne sont pas des héros, ni même des antihéros. Ce sont juste des salopards, des égoïstes qui n’en font qu’à leurs têtes, qui essayent juste de s’en sortir en continuant à faire les mauvais choix et en cédant à leurs caprices et leurs pulsions. C’est d’ailleurs intéressant de constater la différence entre les deux épisodes. Le premier mettait en avant Kane et Lynch était un psychopathe qui avait de sérieux problèmes mentaux. L’excellent niveau de la banque du premier opus était une vraie bonne idée : lorsque vous dirigiez Lynch (en deuxième joueur), il était censé garder le hall de la banque pendant que l’autre joueur, Kane, allait ouvrir le coffre. Lynch pétait une durite en tirant sur les civils en pensant que c’était des flics et effectivement : sur son écran, le deuxième joueur voyait bien des flics qui l’attaquaient juste avant de se retransformer en civils. Dans DOGS DAYS, c’est Lynch qui est mis en avant. Il a fait sa vie à Shanghai après ce qui s’est passé dans le premier opus, et mène une vie tranquille avec sa petite amie Xiu, qui est la seule chose qu’il ait envie de protéger, et on devine aussi que c’est elle qui a réussi à le soigner de son excessive paranoïa. Évidemment, le jeu mettra cette relation en avant puisque c’est la première chose que Lynch tentera de sauver, embarquant un Kane qui n’a pas d’autre choix que de le suivre. C’est la relation entre ces deux mecs qui est passionnante : ce sont des salopards, pas foncièrement mauvais mais qui ont un instinct de survie hors du commun. Et cet instinct fonctionne parce qu’ils peuvent au moins compter l’un sur l’autre. Pas forcément pour se sauver la vie, mais simplement pour se soutenir lors des fusillades. Il y a rarement de belles déclarations de leurs part, ils s’en fichent et gardent bien ça pour eux, et dans leur monde, chacun considère l’autre comme ce qui pourrait être le plus proche d’un ami.

Le jeu possède d’importants défauts qui l’ont un peu ruiné lors de sa sortie, en particulier sa durée de vie : entre quatre et cinq heures pour finir le mode solo. L’ayant refait il y a peu, c’est étrange mais à aucun moment je n’ai trouvé que c’était un défaut. Au contraire, la brièveté de l’aventure et les coups de poings dans la tronche que l’on se prend font que ça participe à l’âpreté de l’expérience, cette espèce de sentiment qu’on a vécu quelque chose d’intense mais de sauvage. Quelque chose de rêche et de violent, comme si on caressait une râpe à gruyère. Le seul défaut finalement, c’est d’avoir sorti le jeu au prix maximum (60 euros), ce qui a certainement rebuté beaucoup de gens à l’époque, même si le multijoueur était sympathique mais moyennement équilibré. Aujourd’hui, on le trouve à 10 euros sur Steam, voire moins avec les soldes, et c’est un très bon prix pour le redécouvrir. Il faut ajouter à ça une IA un peu aux fraises heureusement compensée par des fusillades souvent frénétiques qui n’hésitent pas à faire voler en éclat les couvertures pour forcer le joueur à se déplacer, et une visée pas trop précise mais qui étrangement fonctionne bien avec le style du jeu. On a ce côté où on doit tenter de se sortir des situations en essayant de contourner les ennemis et en tirant presque au jugé pour abattre les adversaires alors que notre personnage tombe assez vite au combat, surtout lorsque l’ennemi est à deux mètres de soi. Le jeu réduit le champ d’action au minimum (courir, se cacher, tirer) en enchaînant souvent les niveaux en arènes, avec possibilités de balancer des bonbonnes pour les faire exploser ou de prendre quelqu’un en otage.

Cela pourra être répétitif mais par un miracle, ce gameplay fonctionne avec ce que le jeu véhicule. Pas de grenades, pas de commandes d’ordres ou de grosses subtilités. On se sert de ce qui nous entoure uniquement : les abris, les éléments explosifs, les armes des ennemis, on ramasse les munitions. On arrive dans une pièce, on abat deux mecs, on se planque, le bois vole en éclat, on se redresse, on contourne, on jette l’extincteur pour faire le ménage, on passe la porte. Cut, suite du jeu. Aucun comptage de points, les chargements ne lâchent pas le joueur en continuant à faire vivre le jeu à travers des conversations, on cut et on reprend. C’est pas sexy et c’est pas le but. Le jeu se tient à l’essentiel, comme si de toute façon le reste n’était que fioriture, qu’on veut juste rendre l’action aussi désespérée que possible pour les deux « héros ». C’est sec et violent, mais ça fonctionne très bien. Le jeu est influencé encore une fois par beaucoup de films, avec toujours Michael Mann (la réal numérique propre aux derniers films de Michael Mann, le début du dernier niveau de nuit à l’aéroport rappelle immédiatement la scène finale de Heat) ou du cinéma plus asiatique mais de bon goût (le niveau de l’immeuble où on doit sauver Xiu rappelle la superbe scène de fusillade de Time and Tide de Tsui Hark). Beaucoup de situations et de niveaux prennent à la gorge et sont souvent épiques, que ce soit des petits passages brefs (l’attaque du SWAT chinois dans le restaurant, la fusillade sur l’autoroute) ou sur des niveaux entiers (le passage « naked » mentionné plus haut, l’attaque d’un immeuble avec l’hélico puis le niveau dans l’immeuble lui-même, presque en ruines).

2015-01-18_00004KANE AND LYNCH 2: DOGS DAYS est un diamant très brut, qui vaut davantage le coup aujourd’hui puisque beaucoup moins cher qu’à sa sortie. C’est une œuvre sale, brutale, sans pitié, qui ne caressera à aucun moment le joueur dans le sens du poil. Tout en réussissant à désinhiber le TPS lambda en lui renvoyant ses codes puérils dans la tronche, il se permet même une critique ouverte de l’idiotie de la censure télévisuelle et vidéo-ludique, tout en se permettant même d’être jouissif en se servant de ses deux personnages moches, vulgaires et complètement désespérés pour les placer dans des situations sans espoir et sans une once d’héroïsme mais en laissant parler ouvertement leur nature animale. De vrais chiens enragés.

Kane and Lynch 2: Dogs Days
par IO Interactive
18 ans ou plus

 

 


Kane and Lynch 2 Dog Days Trailer par Xboxygen

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