
Les livres « dont vous êtes le héros » : Au revoir R. A. Montgomery !
« Deux dés, un crayon et une gomme sont les accessoires dont vous aurez besoin pour vivre cette aventure. VOUS seuls déciderez de la route à suivre des risques à courir et des créatures à combattre. Alors, bonne chance… »
Si cette introduction vous dit quelque chose, vous avez sans doute déjà lu un ou plusieurs livres « dont vous êtes le héros ». Des livres à fins multiples, où il faut choisir son chemin, écrits à la deuxième personne du pluriel et non-genrés (permettant aux filles comme aux garçons de s’identifier au héros)… Une marque de fabrique pour quelques 184 ouvrages, dont 50 ont été écrit par Raymond Almiran Montgomery, surnommé Ray par ses proches, qui en a été aussi le premier éditeur. Décédé à son domicile, le 8 novembre à l’âge de 78 ans, quel plus bel hommage pour un auteur que de revenir sur cette série ?
La fin des années 70 et le « serious gaming »
La naissance des livres « dont vous êtes le héros » est avant tout dûe à une rencontre, entre Ray Montgomery et Edward Packard. Montgomery s’intéresse en effet au « serious gaming », c’est-à-dire les façons innovantes d’enseigner et tester des connaissances. Il développe à cet effet plusieurs « jeux », plusieurs « entrainements ». L’un s’intéresse à la gestion de ressources énergétiques, et est à destination de l’Institut Edison Electric. D’autres de ces jeux de rôles sont destinés aux bénévoles des Peace Corps américains. Pour cela, Montgomery effectue de nombreux voyages en Afrique du Nord et de l’Ouest pour enseigner ses méthodes aux encadrants des Peace Corps. Puis Montgomery décide de se rapprocher de sa famille dans le Vermont et fonde une maison d’édition.
En parallèle, nous avons Edward Packard. Avocat et père de famille, il aime raconter des histoires à ses enfants, histoires qu’il inventait au fur et à mesure. Puis, quand il était à court d’idée, il demandait à ses deux filles de proposer ce qui se passait ensuite. Lui vient alors l’idée d’un livre interactif avec le lecteur, intitulé The adventure of you on Sugar Cane Island. Il lui faudra six ans avant de trouver un éditeur, Montgomery, qui accepte de le publier. Il abandonne alors le droit.
Peu de temps après, suite à son divorce, Montgomery vend les parts de sa compagnie à l’éditeur Bantam Books, tout en conservant les droits sur les livres. En l’an 2000, Bantam cesse de publier les livres « dont vous êtes le héros », Montgomery fonde alors une nouvelle maison d’édition, Chooseco LLC, réédite les premiers ouvrages et en publie de nouveaux.
De nombreux auteurs écrivent alors ces romans, destinés à un public jeune ou adolescent. Seuls Ray Montgomery et Ed Packard resterons fidèles à la série et aux livres interactifs de 1979 à aujourd’hui, le dernier ouvrage (publié chez ChooseCo) étant sorti en aout 2014 et s’instituant Gus v.s. The robot King.
184 millions d’exemplaires plus tard…
Plus de 250 titres ont été publiés sous le label « Livres dont vous êtes le héros ». Plus de 184 millions d’exemplaires vendus dans plus de 40 pays. Pourquoi un tel succès ? Comment cela a pu marcher?
Tout d’abord, on peut admirer la variété des sujets adressés dans ces livres : sciences-fiction, fantaisie, roman historique… Il y en avait vraiment pour tous les goûts. De plus, faut-il vraiment rappeler qu’à l’époque, les jeux vidéos existaient à peine, et majoritairement sous forme de jeux d’arcade ? Les livres « dont vous êtes le héros » sont alors les seuls jeux interactifs auquel un enfant ou un adolescent peut s’adonner de manière solitaire. Il n’y a presque besoin de rien, et je ne dois pas avoir été la seule à ne pas utiliser de dés lors de ma lecture (oui, le pif, dans la tête, ça marche très bien aussi, surtout quand on ne s’octroie que des douze).
Mais il existe aussi des séries, des personnages récurrents et une vraie inventivité de la part des auteurs de la série. Packart et Montgomery n’ont pas toujours été sympas avec le lecteur. Ainsi, pour atteindre la « Planète Paradis » de Inside UFO 54-40, il fallait ou tricher, ou tomber sur la bonne page par accident. Dans Race Forever, il n’existe même pas de fin et le lecteur reste prisonnier d’une boucle narrative. Packard aime a avoir un personnage récurrent dans ses livres, le Dr. Nera Vivaldi, Joe Dever développe lui l’univers de Loup Solitaire (28 volumes) où le héros, dernier représentant d’une caste de moines-guerriers, lutte contre les forces qui menacent le Magnamund…
Le succès de cette série peut aussi être partiellement dû à des illustrateurs de génie. John Howe réalisa par exemple certaines couvertures, Gary Chalk, Ian Miller ou John Higgins se chargeant de pages intérieures…
Des ouvrages riches, qui peuvent se lire en one shot ou en suivant une trame d’aventures, qui plongent le lecteur dans un univers médiéval ou dans l’espace, nous font croire que l’on est au centre de notre destinée… Selon le site Slate.com , l’une des raisons d’un tel succès a aussi été que la série est arrivée à un moment clé de la culture, où les divertissements devenaient de plus en plus interactifs, mais où rien n’était facilement accessible. Les livres restaient peu chers par rapport à un jeu d’arcade, et duraient plus longtemps. De nos jours, nous pouvons soit lire un livre, soit jouer à la Nintendo. Il est plus difficile de trouver un bon livre qui offre une caractérisation de personnages crédibles et suffisamment de fins différentes pour nous occuper. La série inspirera par ailleurs de nombreuses autres maisons d’éditions, qui développent à leur tour ces livres-jeux.
Pourtant, les livres dont vous êtes le héros ne sont pas morts. Certes, ils sont moins lus par les adolescents. Mais le public a changé. Ainsi, pour Montgomery, ces livres sont devenus la passerelle vers la lecture de livres classiques. Un jeu, qui permet d’apprendre à lire en s’amusant, à donner l’envie de lire à ceux qui y sont réticents, puis à leur donner un coup de pouce pour oser se plonger dans des classiques ou des ouvrages moins interactifs, des livres « d’Adultes ». À savoir : Gallimard Jeunesse réédite actuellement la série des « Défis fantastiques » des Livres dont vous êtes le héros. Preuve qu’à créer une atmosphère intemporel, un monde de fantasy ou de sciences-fiction, finalement, ces livres ne vieillissent pas du tout ! Et continuent de plaire.
Merci de m’avoir aidée à grandir Ray. Je crois que je vais même prendre un de tes livres pour m’accompagner sur la route.
Joli hommage. J’ai également une jolie collection précieusement conservée dans un carton. Mais je garde un souvenir particulier de la série Sorcellerie ! de Steve Jackson, avec ses fameux sortilèges à 3 lettres qu’il fallait apprendre, son foutu serpent du temps et bien sûr le fameux sortilège ZED 🙂
Ah, les sortilèges à 3 lettres ! Purée, je les avais oubliés ceux-là ! 🙂
Article intéressant même si c’est dommage qu’il soit écrit suite à la mort d’un éditeur/auteur quasi-inconnu en France.
Bon courage pour dénicher un de ses livres ici, c’est assez introuvable malheureusement.
Quand je repense aux 2 cartons et 80 livres donnés à la médiathèque de ma ville, j’ai encore un pincement au cœur.
Mais que de bons moments passés sur Les Loup Solitaire ou Défis Fantastiques, sans oublier les délirants Quêtes du Graal !!
Rien que pour cela, un grand merci !
Aaaah, toute une partie de mon enfance 🙂 Merci pour cet article !
Belle continuation de votre premier article, Déborah. Merci d’avoir signalé que certaines séries sont en cours de réédition (Noël is coming… parents, parrains, marraines, tantes & tontons…)
Merci beaucoup ! Et d’ailleurs, je me suis rendue compte que parmi les collections rééditée, il y avait notamment… Loup Solitaire, de Joe Dever ! (si, si, je suis même tombée sur le volume 1 chez un libraire ce matin). J’avoue… je l’ai acheté (nostalgie quand tu nous tiens)
Il était question d’une adaptation de Loup Solitaire en jeux vidéo à une époque, mais je crois que ça a été annulé.
Par contre certains titres, notamment « Le manoir de l’Enfer », étaient juste dégueulasse de difficulté, même en faisant une carte et en « optimisant » ses stats de départ. Et n’espérez pas réussir un « quête du graal » si vous n’aviez pas fait la liste dans l’ordre, le concept était équilibré pour un héros qui progressait de livre en livre.
Une série faite par Gildas Sagot, les « défis et sortilège », serait bien la seule créée par un auteur français.
<<<retourne dépoussiérer sa collection.