
Les meilleures B.O. des pires films (3/10) : Cape Fear de Bernard Hermann
« Les cinéphiles mélomanes le savent mieux que tout le monde : l’avantage des pires nanars, c’est qu’ils peuvent, parfois, offrir paradoxalement des compositions d’un souffle et d’une force inversement proportionnels à leur crasse médiocrité artistique. Sheppard a sélectionné 10 B.O. du genre dont la beauté fait d’autant plus amèrement regretter la pauvreté des films qu’elles accompagnent. Deux semaines durant, du lundi au vendredi, Sheppard rendra ainsi un vibrant hommage à l’un de ces trésors discographiques, à redécouvrir séance tenante à défaut de réhabiliter les purges correspondantes. Bonne lecture et bonne écoute ! »
Cape Fear de Bernard Hermann
Je sens que sur ce coup-là, je ne vais pas me faire que des copains, mais tant pis. Petite précision avant de commencer, je parle bien du remake signé Martin Scorsese et non du film de 1962 de Jack Lee Thompson. Et c’est bien là tout le problème. Car voyez-vous, autant je peux trouver une excuse bidon à Lucas ou à De Palma en me disant que s’ils avaient écouté la musique de leur film avant de le tourner, celui-ci aurait sans doute été différent, autant pour Scorsese, j’avoue que je ne comprends pas, puisque lui justement avait la partition sous la main, si je puis dire.
D’ailleurs, avoir gardé la musique de Bernard Hermann est sans doute la seule bonne idée de cette production autrement désastreuse. Comment Martin Scorsese, qui n’est pourtant pas manchot, a pu être à ce point sourd (et aveugle de surcroît puisqu’il s’agit d’un remake) ? Je comprends qu’il ait voulu faire autre chose, mais fallait-il vraiment qu’il exagère le moindre élément jusqu’à le rendre ridicule, voire proprement nanar ?
Alors que le long-métrage de Thompson n’est que maîtrise de bout en bout (c’est d’ailleurs même l’un des thèmes centraux du film), fallait-il que Scorsese parte en vrille uniquement pour faire différent ? Fallait-il vraiment lâcher la bride à De Niro quitte à rendre son personnage proprement caricatural, alors que de l’autre côté la froideur et le calme de Mitchum étaient nettement plus efficaces ? Fallait-il laisser ce pauvre Nick Nolte les bras ballants et la bouche constamment ouverte pour jouer l’impuissance, alors que de l’autre côté, celle de Gregory Peck, nettement plus discrète, paraît dix fois plus forte ? Fallait-il vraiment transformer ce bijou de précision et de finesse en un gros truc vulgaire et paresseux (ouais paresseux !) ?
De la part d’un quelconque tâcheron, j’aurais compris. D’ailleurs, le tâcheron en question n’aurait pas pris la peine de garder la bande originale et de la faire réorchestrer par Elmer Bernstein. Il aurait pris un autre tâcheron musicien qui nous aurait fait de la bouse et puis voilà… Ou alors il aurait pris un pas tâcheron qui nous aurait pondu un chef d’œuvre qui, du coup, se serait retrouvé ici à la place de Bernard Hermann. Toujours est-il que cette démarche montre une certaine preuve de respect envers le matériau d’origine. Il y a de l’amour là dedans, à n’en point douter. En plus, on ne peut pas dire que Scorsese n’a jamais travaillé avec Hermann. Merde, il a tourné l’un de ses plus beaux films avec lui, Taxi Driver. Ce n’est pas comme s’il découvrait le bonhomme, bien au contraire. Alors comment peut-on se foutre le doigt dans l’œil à ce point ?
Si Cape Fear n’est pas à proprement parler une purge, il reste néanmoins à mes yeux un film raté où le décalage formel entre les images et la bande son justifie pleinement sa présence ici. Cape Fear fait partie de ces choses où l’on pense très certainement bien faire alors qu’on va droit dans le mur. En éclairant sa réalisation et sa direction de mille feux, Scorsese a sans doute cru rendre son film plus flamboyant, à l’image de la musique. Mais il ne l’a rendu que plus clinquant et tape à l’œil. Si l’original est une Jaguar, le remake est une grosse cylindrée, tout droit sortie du garage de Pimp My Ride. Elle a beau jouer la même musique, c’est pas du tout la même classe.
Ou comment réaliser un grand score avec quatre notes.
C’est même un peu dégueulasse vis à vis des autres qui s’échinent à mettre plein de notes, alors que lui boum, 4 et c’est plié. Y’a pas de justice.