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Les meilleures B.O. des pires films (7/10) : Wolf d’Ennio Morricone

Les meilleures B.O. des pires films (7/10) : Wolf d’Ennio Morricone

« Les cinéphiles mélomanes le savent mieux que tout le monde : l’avantage des pires nanars, c’est qu’ils peuvent, parfois, offrir paradoxalement des compositions d’un souffle et d’une force inversement proportionnels à leur crasse médiocrité artistique. Sheppard a sélectionné 10 B.O. du genre dont la beauté fait d’autant plus amèrement regretter la pauvreté des films qu’elles accompagnent. Deux semaines durant, du lundi au vendredi, Sheppard rendra ainsi un vibrant hommage à l’un de ces trésors discographiques, à redécouvrir séance tenante à défaut de réhabiliter les purges correspondantes. Bonne lecture et bonne écoute ! »

 

Parmi toutes les casseroles que traîne Ennio Morricone, Wolf n’est sans doute pas la pire. On peut même dire qu’on est dans le haut du panier de la merde tellement la filmographie du bonhomme est truffée de trucs complètement invraisemblables. Mais si j’ai choisi cette partition en particulier, c’est qu’elle fait partie de mon top 10 personnel des compositions du musicien et qu’elle vient plus ou moins clore une période cruciale de sa carrière. Même si en guise de clôture, nous avons le droit à un film passablement raté.

La période qui s’étend de 1982 – date à laquelle Ennio Morricone et John Carpenter nous balancent dans la tronche le magnifique et viscéral The Thing – et qui se termine vers 1994 avec Wolf et Harcèlement, constitue de loin celle que je préfère du compositeur. Non pas que je n’apprécie pas la période Léonienne ou celle du cinéma italien. Mais ce fut pour moi pendant ces années-là que Morricone aligna parmi ses plus grandes compositions dont Mission, Casualties of War ou l’extraordinaire et méconnu Rampage. Morricone semblait se réinventer constamment. Sans doute poussé par le désir de plus en plus pressant de s’éloigner du cinéma pour revenir vers son idée de musique « absolue », vers un travail de recherche musicale et non plus d’accompagnement, comme en témoigne l’Esercizi for 10 String Soloists composé entre 1992 et 1993.

À bien des égards, la bande originale de Wolf peut apparaître comme un véritable inventaire musical de l’auteur, une sorte d’état des lieux avant de partir vers d’autres sphères. De l’écriture chromatique à l’utilisation récurrente d’un thème court ou d’une phrase jouée par un instrument « rare », on retrouve toutes les marques de fabrique du musicien. Comme s’il avait eu besoin de sortir tout son attirail de composition afin de rendre au mieux les ambiances contraires du film de Mike Nichols. Morricone le dit lui-même dans les notes du disque, il s’agissait de trouver pour chacun des morceaux l’équilibre parfait entre « le poétique et le primitif, le romantique et le naturalisme ».

Ainsi, si l’on retrouve toute l’étendue du savoir-faire du compositeur italien, il va aussi chercher vers d’autres musiciens comme Bernard Hermann, ou les maîtres français du début du XXème siècle comme Claude Debussy et Charles Koechlin, les influences requises pour exprimer au mieux les dichotomies proposées par l’histoire de Wolf. Et c’est d’ailleurs dans ces oppositions constantes d’ambiance et de propos que Mike Nichols va se perdre au point de sombrer dans le ridicule le plus absolu. Car là où Morricone n’hésite pas à s’aider des plus grands, Nichols, lui, semble volontairement vouloir éviter l’hommage et d’aller vers le fantastique. Voire même d’aborder, ne serait-ce que de façon classique, chacun des thèmes abordés par son film.

On voit bien que le réalisateur est parfois tenté de nous livrer une réalisation « de genre », tant au niveau de l’éclairage que du découpage. La scène d’introduction aurait été filmée en noir et blanc qu’on n’aurait pas pu faire plus classique et même temps plus efficace. Seulement voilà, plus qu’un metteur en scène, Mike Nichols est surtout un directeur d’acteur. Et s’il réussit comme d’habitude à formidablement diriger ses comédiens, il loupe constamment tous les passages « fantastiques », incapable ou refusant d’aller vers l’allégorie pourtant requise par l’histoire.

Le passage illustré par le formidable morceau intitulé The Dream and the Deer est sans doute le plus parlant à ce niveau. Il s’agit du moment où Will Randall (Jack Nicholson) se transforme pour la première fois en loup-garou. Comme le titre le suggère, Nichols avait dans l’intention de faire croire à un rêve, où Randall laissait libre court à son animalité, pour surprendre le spectateur quand il voit le héros se réveiller au bord d’un ruisseau, tâché de sang et le corps d’un cerf allongé à ses pieds. Ce rêve et la vision de la réalité suivent aussi l’évolution psychologique du personnage, car c’est véritablement à cet instant que Randall prend conscience de ce qui lui arrive.

La musique de Morricone part de la fascination de la nature et de cette sensation de liberté absolue qu’éprouve le personnage pour la première fois de son existence. Puis elle évolue lentement vers la violence animale, la chasse, pour finalement se terminer sur la tragédie et la peur panique de Randall face à son sombre destin. Pour illustrer cette magnifique allégorie de l’homme animal, Nichols nous propose un Jack Nicholson en favoris essayant d’imiter tant bien que mal le loup, crapahutant dans une forêt plongée dans une pitoyable nuit américaine et bondissant vers sa proie au ralenti façon Super Jaimie. Alors que ce passage aurait dû être l’un des moments les plus magiques du film, Nichols nous ruine le tout avec une réalisation surannée et sans intérêt. Il choisit la carte d’un réalisme mou et mal foutu alors que tout suggère justement l’exact inverse.

Je veux bien croire que les effets visuels n’étaient pas ce qu’ils sont aujourd’hui, mais ils l’étaient encore moins à l’époque de Cat People (1942). Or, là où le film de Jacques Tourneur réussit à transmettre toutes les facettes d’une histoire quasi identique, en acceptant, voire même en embrassant son caractère allégorique, Mike Nichols se plante magistralement en prenant le chemin opposé. Heureusement, Ennio Morricone avait lui compris toute la puissance presque expressionniste de cette histoire et pour le coup, il nous laisse l’une de ses meilleures partitions.

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