
LES MISERABLES : MA CITÉ VA BRULER
Une bavure policière enflamme le quartier chaud d’une cité de banlieue. Le souffle rageur de Ladj Ly pour le constat sans fard d’une situation apocalyptique. Prix du jury à Cannes.
Voici donc le film-événement qui, après avoir raflé le prix du jury lors du dernier festival de Cannes, a « bouleversé » Emmanuel Macron, qui n’a jamais sans doute mis un pied dans le 9 – 3, ni même entendu parler du plan Borloo… Et qui va probablement représenter la France aux Oscars, avant de casser la baraque en salles. Pas mal pour le premier long-métrage de fiction de Ladj Ly, 39 ans, du collectif de potaches de Kourtrajmé. Issu de Montfermeil, Ladj Ly est surtout connu pour avoir filmé les descentes de flics dans sa cité pendant des années et immortalisé une bavure policière en 2008 qui vaudra aux policiers des condamnations à quatre mois de prison (avec sursis). Et sera le point de départ des Misérables, tourné dix ans plus tard.
Montfermeil, cité des Bosquets, une journée de canicule. Les barres d’immeubles bouchent l’horizon de cette prison à ciel ouvert, un territoire abandonné par l’Etat, les pouvoirs publics, et des mômes désœuvrés passent leurs journées à trainer dans la rue, s’arroser avec leurs pistolets à eau, jouer avec des drones… Un jeune flic, Stéphane, entame sa première journée avec ses nouveaux collègues de la BAC, Gwada, surnom des flics noirs, considérés comme des traitres par les habitants, et Chris, un excité de la gâchette, beauf et raciste. Très vite, Stéphane est mis au parfum de la réalité de la cité : le deal, la prostitution, les voyous convertis à l’islam, les petits arrangements avec la loi, le travailleur social qui transforme son job en business, les barbus qui font de la retape en bas des immeubles, les différentes communautés qui se jaugent et s’affrontent (Africains, gitans, musulmans), attendant l’étincelle qui va mettre le feu au poudre. L’étincelle prend bientôt la forme d’une LBD (balle de défense). Une bavure policière, un môme au tapis et la cité va craquer. Jusqu’ici tout va bien ?
Si Les Misérables n’est pas le GRAND FILM annoncé, c’est probablement à cause de son scénario prévisible. Très intelligemment, Ladj Ly refuse de porter un jugement de valeur sur ses personnages, donne le point de vue de chacun, qu’ils soient flics ou habitants, mais son schéma narratif – un rookie/candide qui découvre un monde/un boulot – est un classique vieux comme le cinéma, et semble parfois décalqué sur l’excellent Training Day. Ladj Ly adopte le ton de la chronique à la Spike Lee, période Do the right Thing, et donne à voir la réalité de la banlieue, à travers les yeux des trois policiers de la BAC. Quelque chose comme La Haine, vue du côté des flics. Certains personnages sont bien dessinés, d’autres sont des caricatures sur pattes (les gitans), le film accumule les péripéties, coups de théâtre, mais parfois, le spectateur a dix minutes d’avance sur la narration. C’est ballot…
La grande surprise des Misérables, c’est la mise en scène ultra-maîtrisée de ce brûlot. Avec son chef op Julien Poupard (Party Girl, Divines), Ladj Ly filme à hauteur d’homme et fonce pied au plancher. Tendu, nerveux, imparable, très spectaculaire, le film fonctionne comme une suite d’uppercuts au plexus. On sent que Ladj vient du doc (notamment lors des incroyables scènes du début sur les Champs-Elysées en liesse, quand une foule black-blanc-beur célèbre la victoire des Bleus) et son sens de l’observation fait mouche. Avec les séquences d’action, notamment à la fin (tournées en deux jours !), Ladj Ly déploie un talent rare, cinétique, proche parfois de John Carpenter, celui d’un vieux routier du cinéma d’action, alors qu’il n’avait qu’1, 5 million d’euros pour mettre en boîte son film…
Avec Les Misérables, on a l’impression d’assister à un moment rare et précieux, celui de la naissance d’un vrai réalisateur… C’est peu dire que l’on attend de pied ferme les deux prochains volets de sa trilogie consacrée à la banlieue : un biopic sur Claude Dilain, maire de Clichy-sous-Bois de 1995 à 2011, et un autre qui portera sur les années 1990.
Les Misérables
Réalisé par Ladj Ly
Avec Damien Bonnard, Alexis Manenti, Djebril Didier Zonga.
En salles le 20 novembre 2019
Spike Lee, John Carpenter. Diantre, que de convocations pour un film qui n’en mérite pas tant. Il n’y a rien de particulièrement révolutionnaire ou de saisissant qui exigerait autant d’éloges. Ce film est encore le énième sur le sujet.
Je me souviens d’avoir vu en salle à l’époque l’excellent « Boyz N the Hood » (1991) du, jadis, très acclamé John Singleton, décédé récemment. On disait aussi de ce dernier qu’il était un réalisateur prometteur en particulier depuis ce film qui mettait un coup de projecteur sur les problèmes sociaux des ghettos. Or, par la suite, sa filmographie ne fut guère à la hauteur de son premier long métrage. Il en fut même réduit à tourner… « 2 Fast 2 Furious » (sic), c’est dire. « Rosewood » (1997), nettement plus ambitieux et plus intéressant, fut un échec cinglant.
Ensuite, pour la partie française, souvenons-nous que bien avant « La Haine », il y a eu « L.627 » (1992) de Tavernier qui parlait, peu ou prou, de la même chose que le film de Ladj Ly. Et n’oublions pas le film incroyablement précurseur de Jean-Claude Brisseau, « De bruit et de fureur » en 1988 sur les mêmes questions.
En clair, que le cinéma puisse ressasser de tels sujets depuis 30 ans, voire plus, est déjà, en soi, atterrant. Est-ce qu’il va falloir qu’en 2030 ou 2040 on aille encore voir des films sur les banlieues ? Disons-le autrement : est-ce que ces problématiques méritent encore aujourd’hui un long métrage ?
Si ce film ressasse les mêmes thématiques qu’il y a 30 ans, c’est qu’il y a une raison. Le cinéma s’est toujours nourri des thèmes de son époque et si les choses n’ont pas changé depuis, c’est bien là le problème, non pas un réalisateur qui offre une vision moderne de thématiques encore actuelles.
Offrir un film avec un scénario classique ou des thématiques déjà vus mais avec un point de vue contemporain n’est pas ce que j’appellerais un défaut en soi, juste une nouvelle interprétation qui est ici extrêmement pertinente