
Les Résultats du Labo : Il était une fois le support pellicule
Ahoy folks ! Plissken vous parle. Alors que Quentin Tarantino persiste et signe à tourner ses films sur pellicule et que son génial Hateful Eight éclabousse nos écrans dans un glorieux format 70 mm, le Daily Mars en profite pour inaugurer une nouvelle rubrique : Les Résultats du Labo. Bienvenue à notre collaboratrice Cesare, professionnelle de la profession, qui viendra régulièrement tout vous dévoiler sur un sujet souvent mal maîtrisé par les journalistes et le public : le support d’un film et le chemin par ce dernier entre les prises de vue et sa sortie de laboratoire vers les salles. A la fois technique ET pédago pour les nuls, Les Résultats du Labo débute cette semaine par le commencement : le tout premier support du 7e art, à savoir la pellicule. Un peu d’histoire, ça nous fera pas de mal !
Le texte ci-dessous est signé Cesare.
Ça fait longtemps que j’essaie de gratter une petite place sur le site auprès du rédac’ chef, je me disais que j’avais peut-être des choses à raconter sur le film. Ouais, LE film. Le plastique, quoi. Dit comme ça, je me disais que le chef ne trouverait pas ça sexy, mais en fait ce fou de Philippe était intéressé (qui est fou ? – ndPhil). Alors du coup voilà, retroussez vos manches, et enfilez vos masques, on retourne au XXème siècle.
La trilogie du samedi… du support, pardon.
Aujourd’hui, il est vrai que la pellicule a pas mal disparu des salles et des caméras, sauf quand des chieurs comme Tarantino ou Abrams arrivent à avoir ce qu’ils veulent. Mais pourquoi vouloir à tout prix bosser sur pellicule ? C’est plus cher, plus fragile…

Arrête tes caprices, Quentin, et va ranger ta chambre !
Vous saurez tout. À commencer par le fait que des types de pellicules, il y en a eu un sacré paquet, chacune avec ses particularités. Les dinosaures qui sont allés en salles dans les années 70, par exemple, se rappelleront peut-être que les films étaient tous un peu jaunes, ocres. Ce n’était pas un effet des lampes à lave ou des papiers peints orange !
Mais d’abord, c’est quoi la pellicule ? En fait, c’est une bande en plastique (support) sur laquelle on a collé une image (émulsion) composée de sels d’argent qui réagissent à la lumière. Chaque année, les fabricants produisent des nouvelles pellicules avec des émulsions dont ils changent les caractéristiques. Et puis, il y a le support. Ce plastique qui doit être le plus fin possible, le plus transparent possible, le plus solide possible… On croirait pas comme ça, mais c’est pas si évident de fabriquer un truc pareil sans tout faire péter.
Le film flamme : incendies dans les salles
Tout a commencé avec lui, le NITRATE. Lui, ce serait un peu le petit pépé sur son rocking-chair en osier, un peu dur de la feuille, avec une grosse pétoire à la main : il pourrait vous offrir un bon whisky, ou alors vous mitrailler à vue.

Comme dirait Johnny, il suffira d’une étincelle
Le nitrate, c’est le support de film qui a duré jusqu’au début des années 50. Ce qu’on en retient en général, c’est qu’il flambe plus vite que du papier, et qu’une fois qu’il commence à brûler, il est impossible de l’arrêter. En fait, même en plongeant une bobine dans de l’eau, le feu continue. Pour le rendre encore plus sympa, une bobine de nitrate peut prendre feu spontanément si l’air conditionné ne fonctionne pas, et même exploser toute seule. Le nitrate, sans déconner, c’est de la bombe… Bon, quand même, ça avait quelques avantages, faut pas croire : l’image était d’une beauté incroyable. La brillance des blancs, la profondeur des noirs, et la richesse des couleurs (notamment aux grandes heures du technicolor) étaient spectaculaires. Il existe encore quelques endroits où on peut en voir, aux États-Unis, notamment dans le cinéma de Tarantino (encore lui !) quand il prête ses propres copies, ou encore, une semaine par an, à Rochester, pour le festival The Nitrate Picture Show.
Du coup, forcément, dès qu’on a pu, on a utilisé des supports un peu moins dangereux. Pendant la période du nitrate, les incendies étaient assez fréquents dans les salles, et même, certains espaces de stockage de studios ont flambé, faisant perdre tous les originaux sans espoir de les récupérer. Très tôt (dès les années 20), d’autres supports sont apparus, mais seulement pour le circuit amateur : en salle, c’était le nitrate, dont la qualité d’image était supérieure, et qui était plus résistant à la traction des projecteurs.
Et puis, en 1951, le nitrate a définitivement été remplacé par le triacétate de cellulose, plus connu sous son petit surnom : le film safety. Alors lui, pour le coup, c’est plutôt l’effet remède miracle : ça promet de tout arranger, et puis en fait, hein. On s’est bien fait avoir.

Si cet élixir à la bergamote guérit le cancer ? Mais bien entendu !
Sur le papier, cette nouvelle pellicule réglait tous les problèmes liés au nitrate. Le triacétate est à peu près aussi résistant, mais pas du tout inflammable, et sa qualité d’image est excellente. C’est au bout de quelques années que l’on s’est aperçu du défaut majeur de ce plastique/panacée : il se conserve très mal. Avec le temps, il peut être atteint de ce qu’on appelle le syndrome du vinaigre. Une pellicule peut spontanément se mettre à dégager un gaz qui a une odeur… de vinaigre (vous êtes surpris, avouez). S’il n’y avait que l’odeur, ce ne serait pas grand-chose, mais en plus de cela, la pellicule se met à gondoler, à ramollir, pour devenir collante et son image à disparaître peu à peu. Pour couronner le tout, ce syndrome est contagieux : si les bobines sont stockées ensemble, elles peuvent se le refiler comme une saleté de grippe (mais létale, la grippe). Pour les films en couleurs, les couleurs ont tendance à « virer », c’est-à-dire à s’effacer couche par couche. D’abord la couche cyan, puis la jaune, pour ne laisser que la couche magenta (si cette rubrique vous intéresse, je pourrai parler plus longuement sur la couleur au cinéma).

C’est vrai que le Star Destroyer rose, c’est tout de suite moins intimidant.
Ce sont ces problèmes, très fréquents sur le triacétate (le nitrate aussi a des problèmes de conservation et se décompose avec le temps, mais c’est moins systématique), qui ont attiré l’attention de certains réalisateurs comme Martin Scorsese et les ont rendu soucieux de la conservation de la pellicule. C’est au début des années 90 que le dernier support de pellicule apparaît : le polyester. Un peu de l’essence de Chuck Norris en 35 mm. Ce plastique-là, il ne se décompose pas. Dérivé du pétrole (et pas de cellulose, matériau organique, comme les deux autres), c’est un plastique stable, capable de durer plusieurs centaines d’années. Il est aussi super résistant : s’il se coince dans le projecteur, c’est la machine qui casse. Pas lui. L’histoire de ce support est très courte (même si elle n’est pas finie !), puisque depuis un moment maintenant, une écrasante majorité des films produits suivent une filière intégralement numérique.
Alors pourquoi vous avoir parlé de tous ces plastiques, à une époque où ils deviennent presque des pièces de musée ? Déjà, pour ouvrir une rubrique sur les dessous du travail de restauration et de conservation des films, ça me paraissait une bonne idée. Et puis, aussi, pour rappeler que la diversité de l’image cinématographique peut aussi être une question de support.
Cesare
Et bien, je suis réjoui de voir la naissance de cette rubrique ! L’amour que je porte à la pellicule est en partie responsable mais lorsque je vois les rendus de Tarantino ou de JJ Ab. dans leur dernier film, je me dis qu’il y a des chapitres à écrire et à partager. De plus, quand on voit la photographie d’un Bladerunner, d’un Alien et j’en passe, le rendu des pellicules n’a pas à rougir à l’aspect clinique proposé par les films en numérique.
En tout cas, j’espère que cette rubrique proposera de nombreux numéros car la chaleur, l’histoire, la maîtrise des équipes techniques, la mise en valeur des décors, le grain sont une infime vision du lien qui existe entre le réalisateur et le choix de sa pellicule.
A vous les studios et longue vie au Daily Mars !
Merci pour cet accueil, Philippe !
Il y a, c’est certain, des tas de choses à écrire sur la question, et je ne prétends pas épuiser le sujet, mais avec un peu d’espoir, la rubrique abordera des aspects que vous trouverez intéressants.
Quant aux différences de rendu entre numérique et pellicule… savez-vous que Kodak espère commercialiser une nouvelle caméra super 8? La pellicule a peut-être un avenir similaire à celui du vinyle. Le temps nous le dira !
Merci pour ce petit cours de rattrapage accessible et sympathique (j’aime les blagounettes). Vivement la suite !
Ravie de voir que mon humour dévastateur est apprécié. 😉
Excellente première rubrique !
J’ai appris des trucs.
Pas spécialement surprenant en soi mais j’adore apprendre des trucs. Surtout quand ils sont marrament expliqués.
J’adore aussi les néologismes.
Je ne promets pas les néologismes, mais j’espère que la suite sera aussi drôle et informative 🙂
Aaaah ben putain enfin !