Les Sept de Chicago : jurés craché

Les Sept de Chicago : jurés craché

Note de l'auteur

En 1968, à l’aune de la convention nationale démocrate qui se déroula à Chicago, de nombreuses manifestations sont organisées pour protester contre la guerre du Vietnam et la politique de Johnson qui fait perdurer un conflit faisant de nombreuses victimes. Mais alors que les manifestations doivent se dérouler pacifiquement, des émeutes éclatent et sept personnes considérées comme les organisateurs de ces événements sont poursuivis par le gouvernement. S’ensuit un procès qui fera date.

Cela fait quelques années que Netflix garde quelques cartouches cinématographiques à dégainer pendant le dernier trimestre et 2020 ne déroge pas à la règle avec le nouveau film d’Aaron Sorkin, principalement connu pour son talent de scénariste sur des grandes œuvres de la série télé (A la Maison Blanche, The Newsroom) mais aussi du cinéma (The Social Network, Le Stratège, Steve Jobs). Pour son deuxième film en tant que réalisateur après Le Grand Jeu qui s’était révélé sympathique, Sorkin s’attaque à un procès célèbre dans l’histoire de la justice américaine qui fait curieusement écho à l’actualité. Quarante ans après les événements des Sept de Chicago, la brutalité policière ou la discrimination raciale n’a jamais été autant mis en avant, et le film de Sorkin tombe à point nommé en transformant l’exercice du film de procès en plaidoyer contre une politique américaine contemporaine discutable.

Dès les premières minutes du film, on distingue très nettement la patte de Sorkin. Rythmé comme un match de tennis, agrémenté d’un montage très dynamique et de ruptures de ton au tempo parfait, Les Sept de Chicago profite de l’écriture de son réalisateur pour laisser s’exprimer un casting diversifié et formidable. Dans le banc des accusés, on distinguera Eddie Redmayne (Les Animaux Fantastiques) accompagné de Sacha Baron Cohen (Borat) et Jeremy Strong (Succession) en hippies irrésistibles. Ce duo de choc sera le moteur comique, qui n’hésitera pas à s’amuser de l’agressivité d’un juge particulièrement détestable, porté à merveille par un Frank Langella impérial. Côté avocats, Mark Rylance (Le Pont des Espions) compose superbement son personnage au franc-parler assassin et Joseph Gordon-Levitt (Looper) est peut-être celui qui se fera le plus discret. Yahya Abdul-Mateen II viendra quant à lui apporter la gravité nécessaire en incarnant Bobby Seale, afro-américain jugé en même temps que les autres à cause de son appartenance aux Black Panthers qui servira la tournure politique du procès.

Chaque personnage possède son moment, son importance dans cette histoire aux tenants politiques forts, jouant sur la temporalité de ce qui est raconté. On ignore ce qu’il s’est vraiment passé au début du métrage, et c’est le procès qui viendra éclairer notre lanterne en même temps que celle des jurés. Les dépositions permettent d’alterner avec des flash-backs afin d’appuyer les propos, dans un rythme impeccable et soutenu par l’excellent score de Daniel Pemberton, décidément sur tous les bons coups. Toute la question du point de vue importe énormément pour Sorkin, qui dévoile les événements au fur et à mesure, en rajoutant en prime certains flash-forwards du personnage de Sacha Baron Cohen racontant ce qu’il s’est passé pendant un stand up. Une manière de renforcer l’importance d’un orateur capable de choisir ses mots pour manipuler son audience. C’est là toute la richesse du film : comment des hommes à priori pacifistes se détournent peu à peu de leurs idéaux lorsqu’ils sont confrontés à la réalité d’une politique qui fait tout pour les discréditer. Et comment le camp gouvernemental manipule leurs dires pour modifier la perception et retourner la situation à leur avantage. Un superbe film sur l’art du discours et du dialogue, et surtout son importance quand de l’autre côté on répond par des matraques et du gaz lacrymogène. Ce n’est pas pour rien qu’on débute le film par les assassinats de JFK et de Martin Luther King.

Aaron Sorkin réussit donc son film de procès avec brio, non sans quelques classicismes et facilités notamment sur la fin, mais rien qui enlève la puissance de son propos et de ses thématiques, avec quelques séquences marquantes, notamment une qui concerne Bobby Seale, assez éprouvante. Avec un tel casting et une réelle maîtrise du rythme et du dialogue, Sorkin confirme qu’il peut aussi tenir la barre en tant que réalisateur, et c’est tout le bien qu’on lui souhaite, surtout sur un sujet de cette importance.

Les Sept de Chicago

Réalisé par Aaron Sorkin
Avec Yahya Abdul-Mateen II, Sacha Baron Cohen, Eddie Redmayne, Mark Rylance, Joseph Gordon-Levitt, Frank Langella, Jeremy Strong
Sortie le 16 octobre 2020 sur Netflix

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