
Les séries trop courtes : Harsh Realm, un monde d’avance
Avec The X-Files, Chris Carter avait su saisir le Zeitgeist de l’époque : une paranoïa ambiante qui ne savait plus où se fixer, après la chute de l’URSS, la montée des craintes devant les bonds réalisés par la science, la difficulté à exprimer ses émotions et la peur de la sexualité, à l’heure du pic de mortalité de l’épidémie de Sida. A bien des égards, ses deux créations suivantes, MillenniuM et la très, très courte Harsh Realm sont arrivées trop tôt.
La noirceur absolue de MillenniuM — son approche intellectuelle et extrêmement ambitieuse qui visait à traiter du sujet des serials killer avec un maximum de réalisme, notamment sur plan psychologique — aurait certainement mieux trouvé sa place sur le câble, où elle aurait rencontré un rythme plus adapté de 13 épisodes par saison et pu trouver sa niche de public. Qu’elle ait survécu trois saisons sur un Network, avant que le câble ne prenne vraiment son essor (Oz a été lancée un an après), prouve la puissance qu’avait alors Chris Carter, qui lui avait offert cette carte blanche artistique.
Harsh Realm, elle, préfigurait la vague des séries labyrinthique à la distribution large — si elle n’avait officiellement que trois acteurs au générique, elle suivait quatre autres personnages réguliers supplémentaires, portant à sept le nombre de personnages majeurs.
Le Lieutenant Tom Hobbes (Scott Bairstow) est un vétéran de la guerre de Yougoslavie. Il a prévu de quitter l’armée pour épouser sa fiancée Sophie (Samantha Mathis), mais il est convoqué pour une dernière mission : tester un programme virtuel conçu pour entraîner les soldats, Harsh Realm, une réplique exacte de notre monde dans laquelle un bombe nucléaire a explosé en plein New York, semant le chaos. Hobbes doit battre le meilleur joueur : le Général Omar Santiago (ce vieux roublard de Terry O’Quinn).
‘‘It’s just a game’’, lui a-t-on assuré. Mais Hobbes découvre vite qu’on lui a menti. Santiago a piraté le programme et règne en despote absolu, répandant la terreur sur Harsh Realm. Pire, il constitue une menace pour le monde réel qu’il pourrait détruire pour ne conserver que son royaume. Des centaines d’autres soldats ont été envoyés avant Hobbes, qui ont choisi soit de s’allier à Santiago, comme son ancien ami Mel Waters (Max Martini) ou bien de devenir des renégats comme son nouvel allié Mike Pinocchio (D.B. Sweeney). Vaincre Santiago est pour Hobbes le seul moyen de regagner le monde réel et de retrouver Sophie.
Harsh Realm est très librement adaptée du comics créé par James D. Hudnall et Andrew Paquette, dans lequel le personnage principal était un détective privé et le monde virtuel un univers de fantasy où celui qu’il avait été chargé de retrouvé était devenu un Dieu.
Leur nom avait été relégué dans le générique de fin, à la faveur d’un accord entre leur éditeur Harris Publications et la 20th Century Fox, qui produisait la série (accord approuvé par la Writers Guild of America), ce qui conduisit à un procès qu’ils remportèrent : leur crédit apparaît désormais en début d’épisode.
La version de Chris Carter est très complexe. Concrètement il utilise les trois premiers épisodes, qu’il a tous écrits, et particulièrement les formidables Pilote et 1×03 « Inga Fossa », pour poser les bases de son monde et de ses personnages. Si la série se déroule en priorité dans l’Univers virtuel d’Harsh Realm, on continue aussi d’y suivre le monde réel, notamment pour y suivre Sophie, qui tente de comprendre ce qu’est devenu son fiancé, mais aussi la mystérieuse Inga Fossa (Sarah-Jane Redmond), qui passe d’un monde à l’autre et côtoie à la fois les militaires, Santiago, Sophie et Hobbes, sans que l’on puisse savoir ce que sont ses véritables objectifs. Elle est le symbole parfait des multiples personnages ambigus et insaisissables qui évoluaient autour d’un héros idéaliste et empathique.
L’univers est dense, les motivations des personnages reposent parfois sur des secrets, que la série lève peu à peu. Le rythme de ces premiers épisodes détonnerait un peu moins aujourd’hui, mais à l’époque, c’est beaucoup, très vite. Le grand public ne suit pas. C’est une déception de plus au milieu d’une rentrée catastrophique pour la Fox, dont toutes les nouveautés se plantent. Alors que The X-Files entamait alors ce qui devait être sa dernière saison, le Network se lance dans des négociations de dernière minute pour renouveler sa série-vedette. C’est ainsi que X-Files connaîtra une huitième saison.
Lancée à l’automne 1999, Harsh Realm suit de près le succès du premier Matrix, sorti au moment du tournage du Pilote, en mars. Une proximité qui aura probablement brouillé l’image de la série, d’autant que le Network a axé sa communication sur cet aspect, évacuant notamment les enjeux émotionnels et romantiques, pourtant très importants, de ses bandes-annonces.
‘‘C’est une opportunité pour raconter des histoires allégoriques,’’ expliquait Chris Carter à l’époque, ‘‘pour traiter d’un monde sans Dieu, où il n’y a pas de moralité, de standards ou de codes de comportement, et de voir ce que pourrait être le monde s’il était comme ça. Il y a une grande histoire romantique mais aussi un grand potentiel mythologique’’ (1). Malheureusement, ce potentiel ne fut jamais développé.
Le monde violent, cruel et dévasté de Harsh Realm, dans lequel s’opposaient les bidonvilles dans lesquels évoluaient les héros, et les villes à la propreté clinique du dictateur Santiago, n’est qu’esquissé dans ces neufs premiers épisodes plein de promesses. Frustrant, au premier chef pour D.B. Sweeney, qui sortait tout juste de l’annulation de Strange Luck / Drôle de Chance, qui était tournée dans les studios voisins de ceux de X-Files. Il espérait que le nom de Chris Carter lui permettrait d’échapper à une nouvelle période de chômage causée par une annulation. Il restera un acteur malchanceux qui n’a jamais trouvé le véhicule à succès qui lui aurait permis de faire valoir son talent.
Harsh Realm
Créé et showrunné par Chris Carter
9 épisodes, 3 diffusés sur Fox en octobre 1999, les 6 suivants au printemps 2000 sur FX.
Avec Scott Bairstow (Hobbes), D.B. Sweeney (Mike Pinnochio), Terry O’Quinn (Omar Santiago)…
(1) Interview de Carter par Ann Hodges pour le Houston Chronicles, octobre 1999.
Purée, ça m’a scié que cette série n’ait vécu que 9 épisodes ! Le concept était canon, prétexte à développer une mythologie énorme qui aurait facilement surpassé l’univers déjà riche de « Matrix ». Mention spéciale à l’épisode 4, « Kein Ausgang » tout simplement magique avec sa boucle temporelle enregistrée qui joue encore et encore. Génial !
J’ai regardé cette série peut être 9 ou 10 ans après son annulation (vers 2008-2009 donc) et j’avais réellement été bluffé par sa qualité, et donc terriblement déçu, frustré par son annulation si rapide.
En effet, contrairement au schémas classiques des séries de Carter, les scénaristes avaient vraiment carte blanche au niveau des scénarios, ou tout était possible sans contrainte de réalisme ou de structure (dans X-Files, Mulder & Scully étaient appelés sur une affaire, et là l’histoire démarrait ; dans Millenium, Black lui aussi était sollicité et son analyse démarrait là aussi…)
Je pense que cette série fait malheureusement partie de ces séries qui n’ont pas marché pas à cause de leur qualité, mais à cause d’un concours de circonstances malencontreuses qui ont eu raison d’elles. Dans le cas de Harsh Realm, l’article le dit bien : Le rythme, la sortie de Matrix à peu près au même moment, la com’ de la Fox…
Un gros gâchis mais j’incite tous ceux qui liront ces quelques lignes à lui donner une chance.