Les séries trop courtes : Kindred, the Embraced

Les séries trop courtes : Kindred, the Embraced

Les chefs de clans de Kindred, The Embraced

San Francisco, dans les années 90. Les vampires existent. Ils forment des clans. Brujah, Gangrel, Nosferatu, Toreador, et Ventrue. Chaque clan a sa spécificité, ses pouvoirs. Julian Luna est du clan Ventrue, et officie en tant que Prince. Les vampires vivent selon les principes de La Masquarade, qui consiste tout simplement à se faire passer pour un humain pour se protéger, et ne pas se faire remarquer. Frank Kohanek est un inspecteur de police avec une obsession : faire tomber Julian Luna et son organisation criminelle. Kindred, the Embraced est une production Aaron Spelling. Ne hurlez pas.

Oui, Spelling, monsieur Beverly Hills, Melrose Place, Pour l’amour du risque, Dynasty… que du très très bon, quoi… à éplucher sa bio, on trouve quand même quelques pépites, ou, vu la carrière du bonhomme, des « accidents de parcours ». Kindred, The Embraced, qu’il n’a ni créé ni écrite, en fait partie. La série est une co-création, adaptation d’un jeu de rôle très populaire à l’époque: La Masquarade. Mark Reign-Hagen, créateur du jeu de rôle d’origine, officie en tant que co-créateur et scénariste (même s’il n’est crédité sur aucun épisode, il devait être présent dans la salle d’écriture). John Leekley (1), l’autre co-créateur, en est aussi le showrunner.

Kindred, même si elle change des habitudes du père Spelling (nous avons droit ici à une intrigue assez complexe, et un univers assez sombre), on retrouve certains éléments de son univers. Tout le monde est pété de thunes, même le flic. Les acteurs/trices sont souvent torses nus ou en nuisettes (respectivement), ont des rapports sexuels dans des lits gigantesques (limite à baldaquins), tout le monde est beau (sauf Jeff Kober, mais c’est normal, il est du clan Nosferatu, et Brian Thompson, mais c’est normal aussi… c’est Brian Thompson, il est là pour faire peur), et c’est par moments très soapy.

Mais voilà, malgré ces aspects inhérents à la maison Spelling, force est de constater que le plaisir est là, pour deux raisons. Déjà parce que les intrigues entre les vampires fait penser à une version adulte et intelligente de True Blood. Ensuite parce que le leader de la communauté des vampires a un charisme incroyable. Julian Luna (qui a tout physiquement du mafieux italo-américain), était interprété par Mark Frankel (qui est en fait gallois, cherchez l’erreur). Et Frankel était tout simplement impressionnant. Toujours juste, toujours dans le ton, avec un supplément d’âme qui faisait disparaître les autres comédiens autour de lui.

C. Thomas Howell (punaise, qu’il est mauvais…)

Le pilote de Kindred est plombé par une intrigue très embarrassante : l’intrigue policière. Imaginez une parodie mal calibrée de l’Arme Fatale et vous serez dans le vrai. Frank Kohanek (ridicule C. Thomas Howell, en surjeu permanent) est intense. Il est en conflit avec l’autorité. Il est amoureux d’une vampire. Il tient son flingue d’une main et ne fait rien comme un vrai flic (mais rien du tout, même pas la façon de marcher). Il ne parle pas, il crie. Et quand quelqu’un s’apprête à sauter d’un pont, il ne court pas pour la sauver, mais reste près de sa voiture, les yeux exorbités et la bouche ouverte. C. Thomas Howell réussit à fournir une prestation qui se rapproche de Jim Carrey dans Ace Ventura, l’excuse de la parodie en moins (de plus, Howell a un faux air de Carrey).

Rien ne sonne juste et on attend qu’une seule chose, qu’un vampire ait la décence de vider le corps de Kohanek de son sang pour le remplir de formol, le ranger dans une boite en bois très profond sous terre et qu’on n’en parle plus (2). Evidemment, ça n’est pas le seul défaut. La série a ses limites visuelles, plombée par des effets spéciaux très datés, mais inhérent à beaucoup de séries de l’époque (n’est pas X-Files qui veut). Mais si la pauvreté des effets spéciaux peut être mise rapidement de côté, le buddy movie bas de plafond qui se déroule devant nos yeux (oui, parce qu’en plus, Kohanek a un side-kick, le « aussi nul que dans Dexter » Erik King), lui, est difficile à évacuer.

Heureusement, il y a les vampires, la vraie richesse du show. La référence à True Blood n’est pas innocente. Le jeu de rôle la Masquarade est à l’origine d’un grand nombre de récit, et, même de façon indirecte, True Blood en est inspiré. La grande différence entre les deux (et qui devrait être à l’avantage de True Blood, mais en fait non), c’est le statut des vampires aux yeux des humains. Dans Kindred, ils se cachent, bien aidés en cela par le fait que, bien nourris, ils peuvent évoluer en plein jour.

Jeff Kober (punaise, qu’il est vilain…)

Si on excepte les caricatures Howell et King, tout le casting évolue à un bon niveau (avec Frankel au-dessus). Patrick Bauchau qui joue l’ancien prince de San Francisco, et quelque part le conseiller de Luna, est égal à lui-même, sans exubérance, jouant sur le timbre de sa voix, très agréable à entendre. Stacy Haiduk est assez hypnotisante, en plus d’être très belle. Jeff Kober (3) est tout simplement parfait, embrassant son rôle de Nosferatu à la perfection, offrant une version entre traditionalisme (issue des films expressionnistes) et modernité (son personnage a renié les anciennes coutumes du clan pour mieux s’allier avec les autres).

Kindred était une série complexe, plombée par les éléments qui devaient la rendre populaire (l’aspect policier), et qui reste dans les esprits pour tout le reste. Trop inclassable peut-être, pour la FOX, qui décida d’arrêter la diffusion de la série. Après coup, Spelling entra en négociations avec Showtime pour relancer le show. Showtime, c’était la promesse de plus de liberté, la fin de certaines concessions. Sûrement avec plus de vampires, peut-être avec un Frankel vraie star du show. Mais c’était sans compter sur la réalité.

Quelques temps après la diffusion du dernier épisode sur la FOX, Mark Frankel périt dans un accident de moto, dans la banlieue de Londres, à Chiswick. Au-delà de la tragédie de mourir à 34 ans en laissant derrière soi une femme et un enfant, ce décès arrêta tous projets concernant Kindred. La production, la nouvelle chaîne, tout le monde était conscient que sans Frankel, Kindred avait perdu ce qui la rendait spéciale.  Kindred est un cas très rare, où un comédien transcendait tout le reste, rendait extraordinaire ce qui semblait ordinaire. Frankel s’était rendu irremplaçable, comme un James Gandolfini pour les Sopranos, ou un Michael Chiklis pour The Shield.

Irremplaçable, tout simplement.

Mark Frankel (punaise, qu’il était bon…)

La série se termine en queue de poisson, laissant les personnages en suspens. Si le dernier épisode permet de comprendre les origines de Luna, et les conditions de son arrivée sur le fauteuil du prince, il introduit aussi un nouveau rival dans le clan des Brujahs, interprété par le toujours juste (sauf dans Sons of Anarchy avec son accent irlandais ridicule) Titus Welliver. Imaginer leur affrontement est une perspective alléchante, d’autant plus sur le câble.

Restent 8 épisodes, pas tous brillants, mais qui possèdent définitivement quelque chose de différent.

KINDRED, THE EMBRACED

8 épisodes diffusés sur la fox d’avril à mai 1996

Créée par Mark Reign-Hagen et John Leekley

Showrunnée par John Leekley

Avec : Mark Frankel (Julian Luna), C. Thomas Howell (Frank Kohanek), Stacy Haiduk (Lily), Channon Roe (Cash), Jeff Kober (Daedalus), Brigid Walsh (Sasha), Kelly Rutherford (Caitlin Byrne), Patrick Bauchau (Archon), Erik King (Sonny Toussaint)

(1) : Leekley a entre autre créé une autre série annulée très tôt, Wolf Lake, et travaillé en tant que scénariste sur la série animée Spawn adaptée du comics du même nom.

(2) : Les auteurs auront la présence d’esprit de faire de moins en moins appel à Howell. Ce dernier apparaît dans les épisodes très souvent après la 15e minute, et ses intrigues restent très secondaires.

(3): Le personnage, esthète, vit entouré de ses oeuvres d’art, qui étaient peintes par Kober lui-même.

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