
Les Séries Trop Courtes : Miracles, le cœur du fantastique
Depuis le milieu des années 90, les X-Files-like ont été nombreux à la télévision américaine, avec plus ou moins de succès. La série de Chris Carter, très riche et protéiforme, se prêtait bien à des démontages en kit. Au milieu de tout cela, on trouve Miracles, une petite série dotée d’une voix propre, intime et riche en émotion.
Tout a commencé avec un script de long-métrage (écrit par Michael Petroni) que le producteur Spyglass a souhaité réorienter pour en faire une série télévisée, un ‘‘X-Files spirituel’’. Pour cela, Spyglass engage Richard Hatem, scénariste ayant jusque là travaillé pour le cinéma (Piège à Grande Vitesse et La prophétie des Ombres). Il faut notamment faire évoluer le matériel original, pour le détacher de l’église Catholique, au sein de laquelle se passait l’intégralité du long-métrage.
Le pitch d’Hatem est simple : il va reprendre l’idée d’un personnage élevé dans les traditions et la Foi Catholique, à qui on a appris que tout événement surnaturel serait forcément soit un signe de Dieu, soit un signe du Diable, et qui se retrouve soudain propulsé dans un monde d’ambigüités, face à des événements qui franchissent ces frontières et ne peuvent pas être facilement classifiés comme bons ou mauvais.
Paul Callan (Skeet Ulrich, très impliqué) a été élevé dans un orphelinat Catholique. Il est resté proche de celui qui le dirigeait, le Père Calero, qui une figure paternelle dans sa vie. Depuis six mois, Paul travaille pour l’église, au diocèse de Boston, en tant qu’enquêteur chargé d’authentifier des miracles supposés. Mais aucun miracle n’a jamais résisté à son expertise : toutes ses enquêtes l’ont conduit à trouver une explication rationnelle. Aujourd’hui, Paul doute de sa Foi et prend un congé sabbatique de quelques semaines. Un coup de téléphone l’amène à s’intéresser au cas de Tommy Ferguson, un garçon de dix ans qui serait capable de guérir par imposition des mains. Troublé, Paul se trouve face à un phénomène inexplicable, mais qui a un coût : à chaque fois qu’il soigne, Tommy s’affaiblit. Sa mère, qui ne peut plus le supporter, décide de s’enfuir avec Tommy. Paul les suit mais sa voiture est percutée par un train. Alors qu’il agonise dans les débris, il voit son sang qui s’écoule former des mots : GOD IS NOW HERE, Dieu est là désormais. Paul est sauvé par Tommy, qui se sacrifie pour lui.
Paul présente son premier cas de miracle authentifié. Mais la hiérarchie Catholique refuse de suivre son rapport, arguant d’un manque de preuves. Paul Callan démissionne sur le champ. Il est approché par un homme qui le suivait en secret, Alva Keel (Angus MacFadyen). Celui-ci a fondé une organisation qui enquête sur le type de phénomènes auxquels Paul vient d’être confronté, Sodalidas Quaerito. Keel explique à Paul que depuis vingt ans, six autres personnes ont vu s’inscrire un message en lettres de sang, mais que ce message présentait une différence significative avec celui de Paul : GOD IS NOWHERE, Dieu n’est nulle part.
Persuadé que tous ces phénomènes ont un sens, et que Paul à un rôle à y jouer, Alva Keel le recrute. Ensemble, et avec Evelyn Santos (Marisa Ramirez), une ancienne policière, ils enquêtent sur différents phénomènes paranormaux.
Le Pilote de Miracles reste à ce jour un des meilleurs que j’ai jamais vu, en particulier dans le genre fantastique. Le script de Richard Hatem pour « The Ferguson Syndrome » est malin, contournant l’inconvénient d’avoir à écrire un premise Pilot. En effet, le cadre de la série n’est mis en place qu’au terme de cet histoire, et seul le personnage de Paul est réellement présenté : Alva Keel n’a qu’une scène, et Evelyn ne fait qu’une apparition quasi-silencieuse. Mais en revanche, le ton et le type d’affaires qu’on retrouvera à chaque épisode sont parfaitement exposés.
A la réalisation, on retrouve Matt Reeves, collègue de promo de Richard Hatem à UCLA (qui a depuis réalisé Cloverfield au cinéma). Reeves fait un travail exemplaire, soignant la photo et la bande-son, et donne à cet épisode une ambiance angoissante qui fonctionne parfaitement : on partage pleinement la perte de repères de Paul Callan.
Mais les budgets et délais de tournage des pilotes ne sont pas tout à fait ceux des autres épisodes, et par la suite Miracles ne se révèlera plus tout à fait à la hauteur de cette véritable claque visuelle et scénaristique. Elle restera néanmoins de très bonne facture.
Sur le papier, nous sommes dans un territoire très proche de X-Files. Mais dans les faits Miracles est assez différente. Richard Hatem n’ayant pas d’expérience à la télévision, on lui adjoint comme le veut l’usage un showrunner extérieur : David Greenwalt, qui venait plus ou mois de se faire virer d’Angel, qu’il avait co-créée. Surtout, Greenwalt était passé, brièvement, dans l’équipe scénaristique de X-Files, pendant la deuxième moitié de la quatrième saison. Le bilan tiré par Greenwalt de cette expérience ? ‘‘J’ai échoué misérablement’’.
C’est qu’X-Files avait une écriture très particulière des personnages mais aussi de l’émotion, laissée quasi-systématiquement non-dite, dans le sous-texte. Une approche assez unique à la télévision américaine, dont Miracles prend le contre-pied — quand à l’inverse elle s’aventure trop dans le territoire de X-Files, cela donne « The Bone Scatterer », ce qui est sans doute son épisode le plus faible.
Les histoires de Miracles sont inscrites dans le quotidien, dans des environnements communs, des familles ressemblant à celles des téléspectateurs. Elles font la part belle aux sentiments, chez les personnages guests mais aussi et surtout chez les trois principaux, qu’elles impliquent émotionnellement autant que possible.
De plus, là où X-Files était très visuelle, Miracles est davantage verbale, comme l’illustre le deuxième épisode, « The Friendly Skies », peut-être le meilleur en dehors du Pilote, dans lequel nos personnages recueillent les témoignages des passagers qui ont vécu une expérience extraordinaire lorsque leur avion a disparu des écrans radars pendant 64 secondes. L’histoire aboutit à une conclusion bouleversante, dans lequel Paul transmet un message d’amour très particulier.
Au rayon des autres épisodes indépendants mémorables, on citera aussi le très joli « The Battle at Shadow Ridge » dans lequel une petite ville voit s’ouvrir une brèche temporelle avec l’époque de la guerre civile ou « Saint Debbie », cas unique d’épisode sans véritable élément surnaturel.
Enfin, signalons qu’il n’y a pas de sceptiques parmi les personnages de Miracles. Le surnaturel est un acquis, la question de savoir ce qu’on en fait, et surtout comment on l’interprète.
Paul Callan et Alva Keel forment un duo de personnages assez fascinants. Deux solitaires, vaguement dépressifs, qui tentent d’interpréter des signes mystérieux et contradictoires. Ils tentent de se comprendre l’un et l’autre, mais les nombreux secrets que cachent Keel rend difficile l’établissement d’une véritable relation de confiance entre eux. Le personnage d’Evelyn est un peu trop en retrait — on sent que la chaîne ou bien le studio a réclamé l’ajout d’une femme — mais c’est une autre figure de vie déraillée par des événements extraordinaires.
Keel travaillait sur sa thèse à Harvard, qui portait sur la communication des oiseaux. Il analysait des heures de chants quand il entendit soudain la voix de sa mère décédée prononçant son nom, enregistrée sur la bande magnétique. Evelyn, l’ancienne policière, a été touchée par une balle en service, et a survécu par miracle. La balle est toujours logée dans son cerveau.
Malgré son annulation rapide, Miracles a pu tourner une tourner une saison complète de treize épisodes, car elle n’a été lancée qu’en mi-saison. Cela a aussi laissé la possibilité au Network ABC de mettre son nez dans les épisodes produits. L’ordre de diffusion comparé à l’ordre de production (1, 3, 7, 10, 11, 8, 9, 6, 4, 12, 2, 5, 13) laisse facilement deviner une série malade dès le départ, à cause d’un manque de confiance de son diffuseur.
Néanmoins, ce nouvel ordre ayant été anticipé, des scènes ont été modifiées ou retournées, si bien que c’est effectivement ainsi que la série doit être regardée, malgré quelques inconvénients — toutes les apparitions du Père Calero après le pilote sont enfilées à la suite en fin de saison (ABC avait peur que l’évocation de l’église Catholique nourrisse la controverse), l’épisode « The Ghost » aurait clairement du être diffusé parmi les premiers épisodes, et la mythologie disparait quasi-totalement de l’épisode 6 jusqu’au season finale.
On notera enfin qu’on découvre pour la première fois le fils d’Evelyn au détour d’un plan issu d’une scène coupée dans un previously. Bref, s’ils ne sont pas gênants, les signes de certaines difficultés artistiques sont visibles.
Paul Callan est particulièrement ambigu, et c’était là le cœur de la mythologie, assez intéressante, de Miracles. Dans « The Hand of God », Paul Callan rencontre un jeune homme qui a vu le même message que lui, God is now here. Or celui-ci est un assassin qui prétend entendre des voix qui lui ont ordonné d’éliminer tous ceux qui ont vu le ‘‘mauvais’’ message, assurant qu’ils sont au service de The Dark, l’entité maléfique dont les scénaristes esquissaient les contours. Qui a raison ? Où est le Bien ? Qui est manipulé par The Dark ? Paul est-il destiné au Mal ? (des questions de même nature que celles posées par une autre série trop courte d’ABC qui aurait eu sa place ici, le remake de Night Stalker conçu par Frank Spotnitz).
Dans l’épisode « You Are My Sunshine », une maison fait ressortir tous les aspects négatifs de la personnalité de Paul. Jaloux, violent, le héros de la série frappe son ex et la menotte à un radiateur ! Pas étonnant que le Network ait été dérangé par une production qui avait envie de pousser si loin l’exploration de la zone grise entre le Bien et le Mal. Le plan final de la saison laissant clairement apparaître le discours de la série : les deux aspects sont en chacun de nous. Nous sommes maîtres de notre destin et de choisir ‘‘notre camp’’.
Miracles s’est terminée sans apporter de résolution à ses mystères et à ses prophéties. Nous ne rencontrerons pas le père de Paul, une figure mystérieuse et probablement maléfique, et nous ne connaîtrons pas le but de The Dark et la nature exacte du message qu’a vu Paul. Richard Hatem admet sans détour que lui et David Greenwalt n’en savaient guère plus. Pour eux, la mythologie n’était qu’un moyen d’explorer les personnages, et elle était malléable à l’infini dans ce dessein.
Reste donc treize histoires surnaturelles de très bonne facture, parmi lesquelles quelques véritables pépites qui restent ancrées dans ma mémoire de sériephile.
MIRACLES
13 épisodes diffusés en 2003 sur ABC (épisodes 1 à 6) puis Vision TV au Canada entre janvier et décembre 2003.
Créé par Richard Hatem et Michael Petroni. Showrunné par David Greenwalt et Richard Hatem.
Avec Skeet Ulrich (Paul Callan), Angus MacFadyen (Alva Keel), Marisa Ramirez (Evelyn Santos).
Tiens à propos de Skeet Ulrich, Jericho c’est une série trop courte ou une série juste ratée? J’ai jamais réussi à trancher.
Merci de ce topic sur cette série que j ai visionné en anglais sur YouTube. Dommage qu’ elle n a pas était diffusée en France sur une grande chaîne. Skeet Ulrich est un brillant acteur mais mal connu du grand public.