Les séries trop courtes : Undeclared, entre drame et comédie

Avant Girls et avant 40 ans toujours puceau, Judd Apatow était connu entre autres pour deux faits d’armes télévisuels : Freaks and Geeks et la moins connue mais tout aussi charmante Undeclared.

Undeclared ou les Années Campus en France raconte l’histoire de Steven lors de son entrée à l’université. Steven (Jay Baruchel) est un jeune homme normal. Il n’a pas l’intelligence d’un Rusty de Greeks, ni le charme de Ben dans Felicity. C’est un adolescent un peu timide, qui veut croire qu’à l’université commence une nouvelle vie. Autour de lui dans ce nouvel univers, il y a ses camarades de chambre et ses voisines de l’étage, dont une tellement mignonne qu’il couchera avec elle dès le premier épisode. Tout ce petit monde va donc vivre ses premiers pas à l’université ensemble avec les fêtes, le sexe, les parents et les examens.

Là où d’autres séries vont chercher des éléments déclencheurs forts comme point de départ pour leur série (je suis une tueuse de vampire/ j’intègre une confrérie/ j’ai couché avec mon boss sans le savoir), Judd Apatow se contente de parler du quotidien de ces jeunes adultes qui doivent faire face à des défis normaux. Comment gérer la venue du copain de la fille avec qui on a couché la veille ? Comment faire face à son père qui vient squatter dans sa chambre ? Comment gérer le retour d’un vieux pote de lycée ? Dans d’autres séries, on peut rapidement tomber dans la démesure (Coucou les filles qui ne portent jamais deux fois le même t-shirt dans Gossip Girl) ou dans l’improbabilité (Salut le loft-appartement sans parent au lycée, les copains d’Hartley Coeurs à Vif), dans Undeclared, les histoires restent toujours ancrées dans une réalité un peu loufoque pour en explorer les aspects les plus anodins.

Cette banalité des enjeux donne un charme fou à la série et nous permet vraiment de nous projeter dans chaque personnage. Judd Apatow, s’il aime sa série, avouait en regretter certains aspects. Undeclared fut diffusée de l’automne 2001 au printemps 2002 sur la FOX. Or le créateur de la série a reconnu dans une interview au LA Times en 2006 que cette série n’aurait pas dû être sur un network : « Si le genre de la ‘sitcom de fac’ est en train de mourir, c’est qu’il est impossible de montrer honnêtement ce qui se passe à la fac à la télévision, sur un network ou le câble sans abonnement. Le portrait que l’on ferait de la vie d’un jeune sur un campus serait forcément biaisé. Dans la vraie vie, les gamins se défoncent, boivent et baisent. »

Les programmateurs de l’époque tueront dans l’oeuf cette série réaliste et trop sage en la plaçant face à Buffy contre le vampires, la reine des séries pour ados de l’époque et Gilmore Girls, un autre gros succès de cette cible démographique. D’ailleurs plutôt que de lui trouver une autre place, la FOX a préféré la laisser mourir tranquillement en la réduisant finalement à 17 épisodes au lieu de 22. Les épisodes de 20 minutes n’auront jamais vraiment laissé le temps de creuser tous les personnages ni toutes les intrigues lancées au cours de la saison (Rachel et Nesbitt finiront-ils ensemble ?). Cette unique saison se terminera d’ailleurs sur un des rares arcs qui fut pleinement exploité à chaque épisode : le triangle amoureux entre Steven, Lizzie et Eric. Au moment de tourner l’épisode, l’équipe ne savait pas encore que ce serait le dernier. Eric (joué par un Jason Segel au top), l’ex-petite amie de Lizzie, sort enfin de son rôle d’ex obsédé par sa belle pour gagner en profondeur et arrêter de répugner les téléspectateurs. On redécouvre au passage son magasin de photocopies, son beau-père (joué par Ben Stiller) et son meilleur ami (joué par David Krumholtz).

C’est là une des autres forces de la série : le casting. Pour ceux qui la regarderont aujourd’hui pour la première fois, il est d’autant plus impressionnant : Ben Stiller, Seth Rogen, Amy Poelher, Will Ferrell, Busy Phillips, Tom Welling (oui, oui, Superman aussi), Sam Levine, Monica Keena, Jason Segel et le jeune Jay Baruchel. Même Adam Sandler (ancien colocataire d’Apatow) et sa bande, viendront dans la série jouer leur propre rôle. Judd Apatow recrute de tels talents, qu’ils sont tous rapidement engagés sur d’autres projets : : Amy Poelher commence au Saturday Night Live après avoir tourné dans le pilote, Kevin Rankin sera embauché sur un programme de la WB en milieu d’année. Par conséquent, il ne pourra jamais vraiment explorer toutes les possibilités de ses personnages, mais il garde leur présence à l’écran en fonction du temps que les acteurs peuvent donner.

La série est desservie par ces problèmes, mais les acteurs sont tous servis par la liberté que Judd Apatow leur laisse. Ce dernier confiera dans une interview au site Television Without Pity que de nombreux épisodes étaient improvisés en fonction des acteurs présents, ce qui faisaient évoluer les scènes dans d’autres directions que celles prévues au départ. Cette liberté donnée aux acteurs donne lieu à des séquences mémorables : la séquence où Hillary séduit et couche avec le père d’Eric, le dialogue d’Adam Sandler et son équipe dans l’ascenseur, la dispute sur les pickles entre Taint et Books, la soirée devant un clip particulièrement suggestif dans la salle commune… Cette liberté contribue aussi à donner à la série le sentiment de regarder une famille, une bande d’amis soudés dont on ne sait jamais lequel va nous préparer une surprise à chaque épisode.

« Undeclared » en anglais, c’est l’expression donnée aux étudiants qui n’ont pas choisi dans quelle majeur ou matière principale, ils seront diplômés à l’université. Ce titre est aussi à l’image de la série oscillant perpétuellement entre des enjeux dramatiques et un cadre comique. Après cette série, Judd Apatow qui était pourtant resté très sobre pendant cette année, aura des mots très durs à l’égard des networks. La rumeur veut qu’il ait envoyé une lettre à des responsables de la FOX demandant comment « il pouvait l’enculer ainsi alors que son pénis était toujours là depuis la dernière fois ». Ce sentimental se détournera de la télévision pour un long moment et se consacrera aux films qui ont fait son succès, dans un contexte beaucoup plus libre qu’à la télévision. Il emmènera avec lui dans son succès la plupart des acteurs de la série. Mais son humour teinté de réalisme et parfois de tristesse est omniprésent dans cette série. C’est l’oeuvre inachevée par excellence, sans fin, ni gloire. Mais les erreurs de celle-ci lui auront permis de revenir à la télévision qu’avec une liberté totale. On comprend alors beaucoup mieux son rôle d’adjudant auprès de Lena Dunham dans la série Girls, une série où la réalité n’est pas brimée, elle y est exprimée pleinement.

UNDECLARED

17 épisodes diffusés sur la FOX entre 2001 et 2002

Créée et showrunnée par Judd Apatow

Avec : Steven Karp (Jay Baruchel), Lizzie Exley (Carla Gallo), Lloyd Haythe (Charlie Hunnam), Rachel Lindquist (Monica Keena), Tina Ellroy (Christina Payano), Ron Garner (Seth Rogen), Marshall Nesbitt (Timm Sharp), Hal Karp (Loudon Wainwright III)