Les soldats de l’ombre, The Heavy Water War (Présentation)

Les soldats de l’ombre, The Heavy Water War (Présentation)

Note de l'auteur

L’univers des séries aime à s’autoréférencer, parfois volontairement, mais le plus souvent involontairement. Ainsi, la minisérie norvégienne The Heavy Water War, dont Paris Première entame la diffusion ce dimanche, établit des parallèles logiques avec Manhattan (déjà diffusée chez nous sur OCS) et fera naître de nombreux sourires en coin chez les passionnés de Breaking Bad. Car si le récit est ici exclusivement européen, les protagonistes n’ignorent rien des intentions d’Openheimer (qui apparaît donc dans Manhattan) et surtout pas un certain Werner Heisenberg, ce physicien allemand dont le nom servira d’alias à Walter White dans la série de Vince Gilligan.
Voici pourquoi la bataille de “l’eau lourde” tient enfin le grand récit qu’elle mérite.

“Qu’est-ce qu’elle a de si important cette eau ?” La question est posée durant un préambule sous forme de flash forward. Elle trouve sa justification naturelle dès lors que l’on ne se passionne pas pour les disciplines de la physique et de la chimie.
L’eau lourde ou oxyde de deutérium (D2O) est un liquide qui trouve son petit nom du fait d’une densité plus importante que l’eau. À la fin des années 30 et durant la Seconde Guerre mondiale, seule l’usine de Vemork à Rjukan dans le Télémark (au sud de la Norvège) était en mesure d’en produire en Europe. Seulement voilà, plusieurs équipes de scientifiques commencent à s’intéresser de près à la fission de l’atome et l’eau lourde est nécessaire pour accompagner la réaction dont l’intense dégagement d’énergie intéresse au plus haut point.

Car à la veille du conflit, les applications de ce procédé pour l’armement séduisent évidemment les belligérants. Ce sont d’ailleurs les Français qui s’emparent les premiers des stocks d’eau lourde norvégiens si recherchés. Frédéric Joliot-Curie a pris de l’avance dans cette course à la fission, mais la défaite de la France, en 1940, l’empêchera de poursuivre ses expériences.
La même année (en avril), la Norvège est envahie et l’usine de Rjukan bascule sous le pavillon allemand. Elle étend alors sa production pour satisfaire les besoins d’une autre équipe de physiciens dirigés par Werner Heisenberg.

Des destins bouleversés. The Heavy Water War s’intéresse essentiellement à trois personnages historiques impliqués dans la batailles de l’eau lourde. On fait tout d’abord connaissance avec Heisenberg (Christoph Bach) alors qu’on vient de lui décerner le prix Nobel de physique en 1933. Cinq ans plus tard, il échappe de peu aux griffes des SS qui lui reprochent de citer notamment Einstein et Shrödinger dans ses écrits, ces deux derniers ayant critiqué le régime nazi dans leurs exils respectifs. A contrario, Heisenberg ignore tout de la politique et considère qu’il n’y a que la science qui compte. L’état major allemand des armées ne peut pas se permettre de se priver d’un tel talent et va faire les yeux doux au physicien.

Vient ensuite Leif Tronstad (Espen Klouman Høiner). Ce professeur de chimie norvégien est à l’origine de la conception d’abord, puis de la production ensuite, de l’eau lourde sur le site de Vemork. Lorsque les allemands manifeste de l’intérêt pour cette ressource, Tronstad prend les devants et rejoint le Royaume-Uni pour en informer les forces alliées. Progressivement, il va s’imposer au centre des opérations menées pour saboter la production d’eau lourde à destination du programme nucléaire allemand. Il est aidé en cela par le capitaine Julie Smith. Si on retrouve ici avec plaisir l’actrice Anna Friel (Pushing Daisies), son personnage – totalement fictif – parvient difficilement à justifier sa présence dans le récit.

Enfin, Bjørn Henriksen (Dennis Storhøi) est bombardé directeur de l’usine de Vemork dès l’invasion allemande. La société Hydro – qui gère le site – pense avoir trouver avec lui la personne idéale qui saura diriger d’une main de fer l’établissement. En réalité, Henriksen (dont le personnage est lui aussi inspiré de son équivalent historique) n’est pas forcément le collaborateur que les Allemands espéraient…

Christoph BACH (Heisenberg), Peri BAUMEISTER, Andreas DOHLER et Robert HUNGER-BUHLER

Christoph BACH, Peri BAUMEISTER, Andreas DOHLER, Robert HUNGER-BUHLER

La nuance des enjeux. La bataille de l’eau lourde n’a sans doute pas la reconnaissance médiatique qu’elle mérite, du moins en dehors des frontières norvégiennes. Elle avait pourtant fait l’objet de deux films. Le premier qui date de 1948 fut confectionné par Jean Dréville à partir d’images d’archives et de scènes reconstituées. Plus notablement, le second intitulé Les Héros de Télémark avait été tourné par Anthony Mann en 1965 avec Kirk Douglas dans le rôle principal (Paris Première diffuse judicieusement ce long métrage après les deux premiers épisodes de cette minisérie).

Avec The Heavy Water War, non seulement le récit peut se permettre de détailler la succession des cinq missions autour du contrôle de l’eau lourde, mais il offre également une variété de points de vue qui faisait défaut aux deux œuvres précédentes.
À ce titre, le parcours d’Heisenberg constitue le point culminant de l’intérêt de ces six épisodes. Le personnage semble de prime abord très nonchalant dans le contexte nazi. Comment peut-il ignorer que le parti d’Hitler chasse ses confrères juifs qu’il estime pourtant au plus haut point ?
C’est tout le mystère d’une personnalité dont on ne sait pas exactement le degré d’implication qu’il a réellement manifesté envers le régime du troisième Reich. Mais si ses motivations restent impénétrables, The Heavy Water War parvient à souligner intelligemment les enjeux éthiques qui s’imposent à lui. Le scientifique doit-il s’impliquer sur le plan politique ? Où se trouve la frontière entre solidarité et compétitivité avec le reste de la communauté scientifique ? Quelle part de responsabilité pour un scientifique qui travaille sur une technologie pouvant servir à l’armement ?

Ces questions traversent une minisérie bien maîtrisée dans son ensemble. Si, d’une manière générale, l’interprétation ne fait pas d’étincelles, cela n’en retire rien à la valeur d’un récit passionnant et nécessaire.

The Heavy Water War, les Soldats de l’ombre.
Titre original (NRK) : Kampen Om Tungtvannet.
Minisérie en 6 parties (45 minutes) diffusée sur Paris Première dès le 20 mars (2 ép. / soirée)
Créée par : Petter S. Rosenlund
Coproduite par : Filmkameratene AS et NRK pour la Norvège, Sebasto Film pour le Danemark, Headline Pictures pour l’Angleterre, ainsi que SF Film pour la Suède.
Réalisée par : Per-Olav Sørensen
Écrite par : Petter Rosenlund, Mette Bølstad.
Photographie : John Christian Rosenlund
Avec : Espen Klouman Høiner, Christoph Bach, Dennis Storhøi, Anna Friel et Pip Torrens.
Musique originale : Kristian Eidnes Andersen

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Sortie en DVD & BR chez Wild Side le 6 avril.
Visuels : Wilde Side films

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