
Les Terres de l’Est : une puissance qui se déchaîne
Il y a un an, nous vous parlions de Véridienne de Chloé Chevalier. Le premier volume des Récits du Demi-Loup, que j’avais mis dans ma musette des romans à suivre. Et l’essai a bel et bien été transformé.
L’histoire : Chaque princesse a désormais sa province, les Eponas pour Calvina, Véridienne pour Malvane. Les Suivantes, elles aussi, sont éclatées. Si Lufthilde et Nersès ont suivi chacune leur princesse, Cathelle et Aldemor essayent de survivre en cachant leur identité. Aldemor, prince déchu, ne doit pas être découvert. Mais la Preste Mort continue de faire des ravages, alors que l’Empire grignote toujours plus le Demi-Loup. Et il faut aussi survivre au jour le jour, aux histoires d’amour, aux volontés de changement, aux enfants, à la vie en fait.
Mon avis : Nous voilà toujours dans un roman, mélangeant échanges épistolaires, et extraits de journaux. Si d’habitude, de tels ouvrages peuvent sembler décousus, Les Terres de l’Est garde une régularité et un rythme qui nous entraînent d’un chapitre à l’autre. Il peut sembler difficile de reprendre les choses un an après la parution du premier livre. Pourtant, une ellipse temporelle bien placée permet de reprendre les choses deux ans plus tard et donc dans un nouveau contexte (une ficelle qui a fait ses preuves).
Cette fois, nous ne sommes plus face à des enfants mais bel et bien des adultes. Des mères, des amantes, des souveraines. Le propos se durcit et devient plus grave, plus important. Et quand le personnel se mêle au politique, les conditions peuvent être dramatiques. Pendant ce temps, le prince Aldemar se remémore son emprisonnement dans l’Empire, et ses sentiments ambivalents envers le Demi-Loup et les Terres de l’Est. Si le récit se décline au féminin, il se masculinise aussi de temps en temps. Il est surtout adulte, et passionnant. On voit plus en détails les mœurs, les vies des peuples du monde créé par Chloé Chevalier.
Le vrai plus est donc d’avoir un récit avec des personnages féminins forts mais aussi complexes, tout en nuances. Sans pour autant oublier les hommes, leurs faiblesses et leurs actes héroïques, la guerre des sexes tout comme celle des humains. C’est l’horreur des préparations militaires, des batailles, mais aussi de la fin d’un temps, d’un royaume peut-être. Tout cela par une multiplication d’erreurs personnelles, un château de cartes qui s’effondre petit à petit. Si c’est par ailleurs une histoire avec des femmes à la tête du récit, c’est un roman qui peut être aussi bien lu par des lecteurs de tous les sexes.
En effet, les thèmes recouverts restent, comme dans les bons romans, intimes et universels. Le journal, le courrier, permettent de couvrir ces deux thèmes, axés principalement sur la vie quotidienne, les bonheurs et malheurs des protagonistes, alors qu’en toile de fond, une angoisse sourde, les malheurs qui se préparent, les morts et la guerre. Un bel exercice d’équilibre, un récit qui se déguste d’une traite !
Si vous aimez : De la fantasy sans dragons ou magie. Des histoires dans un monde médiéval, qui existe par lui-même et sans artifice.
Autour du livre : jusqu’au 30 septembre, Les Moutons électriques propose aux internautes de voter pour leur couverture préférée de l’année 2016 : c’est ici.
Extrait : « Un mois à peine après le couronnement de la reine, Édeli partit en campagne le long de nos frontières avec l’Est. Il devait rester absent plusieurs mois afin de faire construire un certain nombre des postes de garde et de tourelles de guet dans les bourgs les plus stratégiques. En conséquence, Calvina et moi nous retrouvâmes soudainement – et beaucoup trop rapidement – toutes seules à la tête du domaine des Eponas, sans aucune expérience politique et presque sans connaissance de ces terres qui étaient les nôtres. Que faire quand tout paraissait possible, et tout à la fois, si peu compréhensible à nos jeunes yeux ? La liberté qu’impliquait pour nous cette nouvelle position était vertigineuse. Presque autant que les risques qui en découlaient. Pour la première fois – et non la dernière – je maudis la faiblesse de mon éducation qui, en plus de m’empêcher de tenir mon rôle de Suivante en conseillant correctement Calvina, m’interdisait tout bonnement toute perception claire de la situation, de ce que nous devions faire, pourquoi, et comment. Et pendant ce temps, les comtes attendaient de nous un geste, un changement, quel qu’il fût, qui symboliserait notre reprise en main du pouvoir royal.
Une seule certitude dans cette brume : ma reine tenait par-dessus tout, presque obsessionnellement, à affirmer sa position d’indépendance par rapport à Véridienne. Volonté politique pure ou attrait d’une sorte de vengeance envers Malvane ? Quand je n’eus plus de doute sur la question, il était trop tard pour faire demi-tour. »
Sortie : le 18 août, éditions Les Moutons électriques, 327 pages, 19,90 euros