L’Étrange Festival 2013 : Jour 1

L’Étrange Festival 2013 : Jour 1

Et c’est parti pour cette 19ème édition de l’Étrange Festival dont la séance d’ouverture a eu lieu hier soir au Forum des Images en présence de deux invitées d’honneur : Martine Beswick (Un million d’années avant J.C., Bons baisers de Russie, El Chuncho) et Caroline Munro (L’espion qui m’aimait, Maniac, Le voyage fantastique de Sinbad). Était également présent lors de cette projection de The Agent réalisé par Seung-Wan Ryoo, un des deux acteurs principaux du film, le très charismatique Seung-beom Ryu. Une sympathique inauguration comme à l’accoutumée peu cérémonieuse et vite expédiée, 100% dans l’esprit d’un festival laissant la part belle au cinéma au détriment des ronds de jambes et de l’autocongratulation.

Nous commençons donc les hostilités avec le court métrage A pretty funny story, réalisé par le Canadien Evan Morgan. L’histoire d’un père de famille à la recherche d’une bonne vanne à raconter à ses collègues de bureau se trouvant coincé dans un combat silencieux et hilarant avec un voisin totalement siphonné. Très bonne surprise, cette comédie noire extrêmement bien écrite donne le ton et correspond très exactement au mélange des genres cher à l’étrange. Entre satire sociale et thriller psychologique, un timing comique précis et un montage intelligent propulsent cette histoire absurde et surréaliste. Toujours sur la corde raide entre drama et burlesque, A pretty funny story ne tombe jamais dans la facilité et exploite parfaitement son concept malin jusqu’à la 19ème minute. Un bon début.

Place au plat de résistance de la soirée : The Agent, réalisé par le jeune Seung-Wan Ryoo, qui nous avait déjà étonné avec City of Violence et The Unjust. Oscillant constamment entre espionnage austère plutôt politisé et actionner couillu, The Agent est un film qui, bien que formellement maîtrisé de bout en bout, semble toujours à la recherche de sa véritable identité. Un petit problème de ton qui n’empêche pas l’entreprise d’atteindre à quelques reprises de beaux sommets de tensions, que ce soit lors de gunfights dantesques joliment chorégraphiés et très lisibles ou lors de scène de dialogues tendues mettant en avant le scénario labyrinthique de cette histoire de contre-espionnage alambiquée.

Pyo Jong Suk est un agent double nord-coréen coincé entre le marteau et l’enclume. Utilisé comme un simple pion dans la sempiternelle guerre froide opposant Corée du nord et Corée du sud, il pâtit des tensions crées par la passation de pouvoir bordélique entre Kim Jong-il et Kim Jong-Un. S’en suit une fuite en avant Berlinoise mettant en scène Pyo et sa femme luttant pour leur survie sous une pluie de mandales et de balles.

The Agent peut être perçu comme un thriller politique Coréen assez complexe délocalisé en Allemagne. Un terrain de jeu où se croisent pêle-mêle agents du Mossad, de la CIA, des rebelles Arabes, des agents secrets de Corée du nord et du sud. Et c’est bien là que se trouve le talon d’Achille de ce film. A vouloir donner trop d’épaisseur à son univers, Seung-Wan Ryoo pèche par excès d’ambition. Introduisant beaucoup trop de personnages dans un laps de temps réduit, il étouffe le spectateur sous une montagne de détails et empêche une bonne compréhension de l’histoire durant les trente premières minutes du film. Et ce n’est pas l’utilisation des arrêts sur images avec surimposition des noms de personnages lors de leur première apparition qui vient palier à cette embarrassante profusion. Cette méthode, héritée des Yakuza Eiga des années 60/70 et censée clarifier ces  films chorals ne fait ici qu’alourdir la mise en scène sans expliciter l’histoire et ne fait aucunement décoller l’affaire.

Dommage, car The Agent témoigne du réel savoir-faire de Seung-Wan Ryoo. Sa réalisation nerveuse et précise, utilisant une caméra extrêmement mobile pour communiquer l’urgence de la situation, est appuyée par une très belle photographie atteignant dans le dernier tiers du film des sommets de sophistication. Sa direction d’acteur est également très convaincante et chacun des 98 personnages semble doté d’une personnalité et d’une histoire propre justifiant sa présence dans ce labyrinthe. Au final, l’histoire touffue de The Agent aurait peut-être bénéficié à être diluée sur deux films, ce qui lui aurait permis de respirer et de nous laisser respirer. Reste l’impression d’avoir vu un film solide et intéressant malgré ses défauts. Une aventure tortueuse au rythme bancal mais finalement assez plaisante dans son ensemble grâce à une approche technique irréprochable et une interprétation globale solide.

Le deuxième long de cette première journée, Found réalisé par Scott Schirmer, est un film conçu avec trois bouts de ficelle. Tourné avec un budget de 10000 dollars, cette histoire aussi violente qu’étrangement poétique, souffre parfois de ce manque de moyen (l’image très « home movie », le son à l’arrache et le casting inégal) mais cela ne vient jamais réellement parasiter la progression de ce surprenant métrage. En effet, Schrimer trouve constamment de jolies idées de réalisation afin de palier à cette disette technique, préférant travailler ses cadres, exploiter intelligemment des sources de lumières naturelles, de beaux décors réels et investir son budget dans des effets spéciaux gores réussis.

En substance, Found suit le parcours du jeune Marty. Brimé par ses camarades de classe, timide et plutôt fragile, il préfère se réfugier dans son propre monde et fuir la réalité. Passionné de films d’horreur et de bd, sa curiosité maladive le poussera à dévoiler la véritable identité de son frère suite à la découverte d’une tête humaine planquée dans son placard.

Found est un film bourré de bonnes idées. Parfois maladroit ou grossier dans son approche, il n’en demeure pas moins une expérience hypnotisante, notamment grâce à une atmosphère unique entre mélancolie et noirceur imposée par une violence sous-jacente. Car, malgré un postulat plutôt inoffensif de premier abord, ce film radical est traversé de moments gores ahurissants et ne recul devant aucune compromission morale. Une approche réellement courageuse que Scott Schirmer assumera jusqu’au bout de son film lors d’un final incroyable de nihilisme qui laissera à coup sûr le spectateur bouche bée.

Un premier film très prometteur donc, pour un réalisateur qui avec plus de moyens pourrait très bien explorer les territoires sensibles de l’enfance, trop peu visités dans le film d’horreur et ainsi imposer un univers à contre-courant. Found est une oeuvre fragile, peu accessible, assez dérangeante mais cette excentricité est aussi ce qui forge son identité et ce qui ralliera bien des fans de cinéma barré à sa cause.

l’Étrange festival, jusqu’au 15 septembre au Forum des Images de Paris – Plus d’infos sur le site de l’Étrange festival.

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