
L’Étrange Festival 2013 : Jour 4
Seulement deux films au programme de ce quatrième jour d’Etrange Festival pour votre serviteur, mais quels films ! Commençons d’abord avec le très âpre We are what we are de Jim Mickle avant d’embrayer sur un gros morceau qui fascinera assurément les amateurs de science-fiction lors de sa sortie en salle le 30 Octobre : Le Transperceneige, réalisé par le génial Bong Joon Ho.
WE ARE WHAT WE ARE, DE JIM MICKLE
Ça commence par une pluie diluvienne. Des trombes d’eau tombées du ciel comme pour laver les péchés d’êtres humains à la dérive. Puis survient la mort brutale d’une femme apparemment innocente, une mère de famille américaine bien sous tous rapports telle qu’on se l’imagine. Petit à petit, en prenant son temps, Jim Mickle introduit soigneusement la famille touchée par ce deuil tombé sur eux comme une malédiction précipitant leur déchéance.
De prime abord, ce père et ses trois enfants ne se distinguent pas réellement des traditionnelles cellules familiales chrétiennes intégristes vues et revues dans d’autres films. Pourtant, les Parker perpétuent entre les murs de leur modeste maison un rituel séculaire pratiqué par un petit groupe de colons ayant fondé leur communauté sur une base sauvage : le cannibalisme à la gloire de dieu.
Adaptation détournée du film Ne nous jugez pas réalisé par le mexicain Jorge Michel Grau, We are what we are présente une vision nouvelle, plus proche du cinéma d’horreur gothique et réimplante avec brio cette histoire à la fois brutale et sensible, dans un contexte social 100% américain. Il parvient ainsi à concevoir avec beaucoup de tact et d’empathie, une oeuvre d’une beauté froide implacable. Chronique macabre extrêmement maîtrisée, autant dans sa confection visuelle que dans son rythme hypnotique, cette histoire est ahurissante de justesse. Parfaitement rythmé, dans cette lente dégradation effrayante d’un patriarche monolithique ayant depuis longtemps laissé sa part d’ombre dévorer sa compassion pour autrui, le film ne dénonce pas pour autant une famille de monstres caricaturaux et tente de nous faire comprendre ses personnages abîmés.
Étonnante parabole horrifique analysant métaphoriquement les dérives inhumaines causées par les extrémismes religieux, ce long emploi donc la répulsion et la peur comme des armes contondantes forçant le spectateur à la réflexion. Ne se complaisant jamais dans la facilité ou les effets évidents, We are what we are nous questionne sur la nature profonde de ce que nous considérons comme normal ou admissible au nom de notre culture et de notre éducation. Alliant harmonieusement violence graphique et sentiments pures (la tendresse naissante d’un flic pour une jeune fille, l’amour d’un chef de famille pour ses enfants, la fidélité affective d’un père toujours à la recherche de sa fille disparue), ce film rare et difficile montre s’il en était encore besoin que le cinéma d’horreur est capable de traiter les sujets les plus profonds et livrer une réflexion mature. Le premier vrai coup de cœur de cet Étrange Festival 2013.
LE TRANSPERCENEIGE, DE BONG JOON-HO
Présenté par Bong Joon-ho lui-même dans une salle pleine à craquer, Le Transperceneige fait figure de grand événement de cette 19ème édition de l’Etrange Festival. Attendue comme le messie par toute une armée de cinéphiles passionnés de science-fiction, cette adaptation de la bande dessinée créée par Jacques Lob et Jean-Marc Rochette, ne déçoit pas. Bien au contraire, elle parvient même à surprendre par sa grande maîtrise du langage cinématographique, la radicalité de son approche et son ambition thématique.
Après l’échec d’une expérience pour lutter contre le réchauffement climatique, le monde se trouve plongé dans une nouvelle ère glaciaire. Les seuls survivants de la planète sont les habitants du Transperceneige, un train qui voyage autour de la terre, propulsé par un moteur à mouvement perpétuel. Un système de castes règne au sein du train, mais la révolte gronde.
Film d’anticipation post-apocalyptique en huis clos, Le Transperceneige nous projette dans un micro-monde embouteillé prêt à imploser. Un condensé symbolisant parfaitement notre monde et ses différents paliers d’injustices communément admises par tous pour le bien de la “société”. Traité simplement mais avec doigté, sans jamais trop appuyer le trait, cette dynamique sociale artificielle censée régir le microcosme prisonnier de ce train est le moteur propulsant admirablement l’histoire. Une toile de fond parfaitement exploitée impliquant constamment le spectateur dans ce récit enlevé.
Parvenant à être inventif et exploitant remarquablement la topologie de son sublime décor fourmillant de détails, Bong Joon-ho livre un film plastiquement irréprochable. Employant avec maestria différentes focales pour jouer sur la profondeur de champs et les proportions afin de rompre une certaine monotonie, soignant la composition de ses cadres pour améliorer la lisibilité de chaque scène, le réalisateur démontre dans chaque plan son extraordinaire savoir-faire. Une rigueur essentielle dans un environnement si exiguë exigeant une grande créativité afin d’être convenablement exploité. Car jamais aucune scène ne semble visuellement recyclée ou banale, et le réalisateur semble présenter une nouvelle idée visuelle à un rythme régulier pendant les deux heures du métrage.
Une performance technique donc pour ce metteur en scène qu’on savait virtuose et qui se révèle ici parfaitement maître de son décor et de son sujet. Combats frénétiques filmés caméra à l’épaule, scènes de foule épiques mises en valeur par des travellings ahurissants, moments calmes gérés avec classe et soin, Bong Joon-ho sort incontestablement le grand jeu. Mais au delà de ces considérations esthétiques, Le Transperceneige est également extrêmement bien rythmé. Exploitant à merveille son terrain de jeu, le film impose à chaque nouveau wagon traversé une nouvelle ambiance, une nouvelle cadence. Il fonctionne ainsi grâce à un jeu sur les ruptures de ton et une certaine irrégularité rythmique ayant pour effet de maintenir une tension perpétuelle captivant le spectateur.
Impossible de ne pas mentionner la direction artistiques très cohérente est fouillée du Transperceneige. Du design des différents wagons aux costumes en passant par les sublimes panoramas glacés dans lesquels évolue le train, ce film est un festin artistique d’une grande cohérence. Un parfait écrin superbement photographié donc pour un groupe d’acteurs totalement investis dans cette histoire et bien dirigés, parvenant à nous “vendre” cette histoire improbable semblant pourtant plausible grâce à leur interprétation tout à fait crédible. Mention spéciale à Tilda Swinton pour son rôle de mégère psychotique parfaitement campé et à Chris Evans, livrant ici une performance solide prouvant sa capacité à diversifier son jeu.
Brillante aventure donc que ce film étonnamment violent et sombre, satisfaisant du début à la fin et explorant un monde fascinant comme on en voit de plus en plus rarement dans une science-fiction cinématographique sclérosée par la surenchère de moyens et le manque d’ambition l’entraînant souvent dans les territoires nauséabonds de la médiocrité.
L’Étrange festival : jusqu’au 15 septembre au Forum des Images de Paris – Plus d’infos sur le site de l’Étrange festival.
Quel plume Maestro!
Mais merci beaucoup, ça fait extrêmement plaisir !