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L’Étrange Festival 2013 : Jour 5 ( Parents, Miss Zombie, English Revolution, Why don’t you play in Hell ?)

L’Étrange Festival 2013 : Jour 5 ( Parents, Miss Zombie, English Revolution, Why don’t you play in Hell ?)

Cinquième jour passionnant d’un festival toujours riche en belles surprises avec Parents, Miss Zombie, English Revolution ( A Field in England) et la dernière folie de Sono Sion, l’extraordinaire Why don’t you play in Hell ?
 

PARENTS, DE BOB BALABAN

Comédie noire ayant pour décor une carte postale surannée du rêve américain des années 50, Parents n’est pas sans rappeler l’univers lisse et idéalisé de Blue Velvet, dissimulant sous son mince vernis un foisonnement de violence et de perversion. La reconstitution de l’époque est d’ailleurs en tous points remarquable et les images technicolor aux tons acidulés semblent parfois tirées d’un vieux catalogue Macy’s.

Michael vit avec ses parents dans un pavillon cossu de banlieue. Enfant timide et réservé hanté par des cauchemars sanglants, il pose sur son père et sa mère un regard méfiant, les suspectant de cannibalisme.

Acteur déjà vu dans Rencontres du troisième type, Alice ou plus récemment Moonrise Kingdom, Bob Balaban réalise ici un film entièrement porté par ses acteurs. Au centre de l’intrigue, ce couple sans aspérités trop parfait pour être honnête, très justement incarné par Randy Quaid et Mary Beth Hurt, capte l’attention grâce à un jeu de duettiste aussi malsain que maîtrisé. Parvenant très bien à nous faire ressentir la monstruosité sommeillant dans les cerveaux malades de ces deux parents modèles, leur jeu caricatural tout à fait adapté à la situation représente le point fort du métrage.

Les deux enfants omniprésents dans Parents, Michael et sa meilleure amie, son également extrêmement bien dirigés et toujours crédibles malgré l’exagération des situations dans lesquels ils se trouvent plongés. Leur maturité et leur lucidité très terre à terre contrastent agréablement avec l’excès ambiant, offrant ainsi un peu d’humanité à ce film peut-être trop artificiel et froid dans son exécution malgré de grosses qualités.

Car au-delà d’un concept très séduisant et d’une toile de fond soigneusement présentée, Parents nous entraîne difficilement dans son histoire, la faute à un scénario trop linéaire au rythme assez monotone. Plombé par une introduction excessivement roborative et un développement disproportionné, le film prend beaucoup trop de temps pour réellement décoller et perd le spectateur en chemin. Il ne se réveillera que durant le dernier acte du film, plus condensé et trépidant. Un résultat mitigé donc pour un métrage audacieux qui malgré tout se laisse regarder sans déplaisir à défaut de réellement réussir à nous immerger dans son univers pourtant séduisant.


 

MISS ZOMBIE, DE HIROYUKI TANAKA

Relecture poétique et mélancolique de la figure du Zombie, Miss Zombie dépeint grâce à un très beau noir et blanc, un monde dans lequel ces créatures sont désormais totalement intégrées et considérées comme un mélange entre animal de compagnie et esclave décérébré. Film austère au rythme lancinant, Miss Zombie présente le mort-vivant comme un martyr, souffre douleur subissant la vindicte d’une société lâche. Une figure pitoyable très humanisée finalement plus proche du monstre de Frankenstein que de la ghoul monstrueuse et grimaçante.

Lorsque Teramoto, sa femme Shizuko et leur fils Ken-Ichi accueillent chez eux une jeune fille zombie, leur idée et de s’en servir comme d’un simple outil afin de récurer leur terrasse en travaux. Prénommée Sara, la créature se révèle être bien plus qu’un simple cadavre ambulant et provoque malgré elle un cataclysme affectif.

Exploité ici comme un miroir grossissant renvoyant à notre société une image peu flatteuse, le zombie est le catalyseur des vices soigneusement cachés, le révélateur de notre monstruosité. Passive, traversant le cadre comme une enveloppe désincarnée, Sara n’en ai pas moins plus sensible et humaine que les autres personnages de cette triste histoire. Petit à petit elle reconstruit sa mémoire dégradée, semble reconquérir son identité tandis que ceux qui l’entoure semblent se perdre et régresser. Pudique, parfois mélodramatique mais jamais grossier, le film d’Hiroyuki Tanaka dresse avec beaucoup de soin et de patience le portrait d’une famille à la dérive et impose une vision à la fois macabre et touchante.

Miss Zombie n’en reste pas moins un film peu accessible fonctionnant sur un rythme cyclique délibéré pouvant rebuter le spectateur. Mais cette structure en cercles concentriques porte véritablement l’histoire et fait sens au fur et à mesure que l’intrigue évolue. Loin du simple effet de style, ce choix courageux sert complètement le propos du film pour décrire la trajectoire dramatique des protagonistes et fonctionne comme un processus hypnotique en spirale nous plongeant véritablement dans cet univers pessimiste quelque peu plombant. Fable lugubre d’une noirceur insondable, Miss Zombie est un très beau film, une expérience intéressante assez hermétique qui, au-delà de son ascétisme, ne manquera pas d’envoûter le spectateur réceptif.


 

ENGLISH REVOLUTION (A FIELD IN ENGLAND), DE BEN WHEATLEY

Après seulement quatre longs métrages, le jeune réalisateur Ben Wheatley s’impose naturellement comme l’une des voix les plus originales du nouveau cinéma de genre anglais aux cotés de metteurs en scène de talent comme Peter Strickland (Berberian Sound Studio), Joe Cornish (Attack the Block), Gareth Evans (The Raid) ou Gareth Edwards (Monsters). Son univers radical, imprégné d’humour noir et traversé par des éclats de violence sans concession, frappe par son incroyable originalité, construisant déjà un joli canevas thématique dont beaucoup de metteurs en scène aimeraient pouvoir se targuer au bout de 20 ans de carrière. Avec A Field in England il démontre encore l’assurance de son approche et propose un film à petit budget à la fois humble, ambitieux et totalement barré. Certainement son film le moins accessible, peut-être son plus grand.

Au XVIIème siècle, l’Angleterre est ravagée par une guerre civile au cours de laquelle s’affrontent les soldats fidèles au Roi et les troupes de Cromwell. Dans ce contexte chaotique, un groupe de déserteurs est capturé par un puissant alchimiste les obligeant à chercher un trésor caché dans un champ où poussent des champignons hallucinogènes. Magie noire, substances psychédéliques et paranoïa se mélangent dans une descente aux enfers en forme de “bad trip” et le sang commence à couler.

Audacieux, visionnaire, expérimental, A Field in England n’est pas un film traditionnel accompagnant le spectateur du point A au point B, loin de là. Tout ici est vaporeux, brumeux, nimbé de mystère, tel un rêve psychédélique induit par une quelconque substance hallucinogène. Même si nos personnages, tous admirablement interprétés (mention spéciale à Reece Shearsmith, possédé), sont ancrés dans une certaine réalité et leurs comportements plausibles, certaines scènes surréalistes et hautement symboliques demanderont au spectateur de lâcher prise pour être appréciées à leur juste valeur. En ce sens, ce film est assez proche du mythique El Topo de Jodorowsky dans sa volonté de marier structure dramatique traditionnelle et considérations métaphysiques à la limite du mystique.

Une approche courageuse qui porte ici ses fruits et impose sans mal un univers original au charme indéniable. Expérience unique et rafraîchissante, A Field in England est l’exemple même de ce que peut accomplir un auteur avec peu de moyens mais beaucoup d’idées et un réel désir d’explorer des territoires inconnus. Un OVNI cinématographique brutal et sanglant, assez peu accessible, mais terriblement jouissif pour ceux qui sauront se perdre dans ces méandres hallucinés.

Lire l’intégralité de cette critique publiée sur Daily Mars en Juillet >


 

WHY DON’T YOU PLAY IN HELL ?, DE SONO SION

Après avoir réalisé deux films plus sobres suite au séisme du 11 mars 2011 et à l’accident nucléaire de Fukushima : le mélodrame Himizu et la chronique familiale douce-amère The Land of Hope, Sono Sion revient à ses premières amours avec cet extraordinaire film en forme de déclaration d’amour au cinéma. En effet, plus proche de la veine neo-punk de ses œuvres les plus barrées comme Love Exposure, Cold Fish ou dans une moindre mesure Strange Circus, Why don’t you play in hell est un film excessif et débridé cherchant avant tout à divertir.

Boss Muto et Boss Ikegami dirigent deux clans yakuza en guerre perpétuelle. Alors que le premier cherche à satisfaire sa femme en faisant de sa fille une superstar, le second est un fan inconditionnel de cette dernière depuis son apparation dans une publicité pour un dentifrice alors qu’elle était encore enfant. En parallèle, une équipe de cinéphile se faisant appeler les Fuck Bombers essaye sans succès depuis plus de dix ans de tourner un long métrage en 35mm. Les trajectoires de ces personnages diamétralement opposés vont pourtant se croiser dans le chaos le plus total.

Splendide hommage au jidai-geki traditionnel et surtout au cinéma populaire japonais des années 70, cette fresque hilarante et ultra violente cite fréquemment les Yakuza Eiga de Kinji Fukasaku et plus particulièrement son film de 1973, Qui sera le boss à Hiroshima ?, deuxième itération de la série Combat sans code d’honneur dont Sono Sion reprend, de la plus jouissive des manières, le raid épique au katana entre clans yakuza. Appuyant le clin d’oeil, on remarquera également l’utilisation de la même musique lors de la scène d’introduction et le recyclage d’une marque de fabrique ultime des films de yakuza de l’époque produits par la Toei : l’arrêt sur image avec titre rouge occupant tout l’écran. Un vrai régal pour les amateurs.

Mais Why don’t you play in hell apparaît également comme une géniale agrégation de figures omniprésentes dans le cinéma de Sono Sion. On y retrouve donc pêle-mêle la chanson récurrente à la Suicide Club, les faux affrontements entre gangs et les truands sensibles de Hazard, le “monsieur tout le monde” coincé dans une situation inextricable de Cold Fish et les archétypes de héros obsédé par son rêve et d’héroïne badass de Love Exposure. On peut même considérer les Fuck Bombers et leur énergie communicative comme un hommage au groupe Tokyo Gagaga, mouvement artistico-guerilla-punk fondé par Sion dans sa jeunesse. Harmonieusement combinés dans un film foisonnant admirablement monté au rythme hallucinant, ces clins d’oeil constant et ces influences parfaitement digérées font de cette oeuvre une bonne porte d’entrée dans la filmographie pour le moins éclectique de Sono Sion.

Requiem en l’honneur du 35mm, Why don’t you play in hell fixe son regard sur l’avenir et célèbre le processus de création des films et l’amour du cinéma avant tout. Jamais nostalgique mais toujours conscient du passif hérité de la longue l’histoire du cinéma, le réalisateur livre avec cette petite bombe une ode euphorisante à l’enthousiasme, à la créativité et à l’envie. Une oeuvre jubilatoire décomplexée ne se refusant aucun excès pour communiquer sa passion et inoculer le virus de la cinéphilie grâce à un emballage à la fois pop et auteurisant, parfaite continuation du travail d’un autre cinéaste marquant du cinéma japonais : le grand Masahiro Shinoda. A voir absolument.

L’Étrange festival : jusqu’au 15 septembre au Forum des Images de Paris – Plus d’infos sur le site de l’Étrange festival.

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