
L’Étrange Festival 2013 : Jour 9 (That’s sexploitation, Tik Tik – The Aswang chronicles, The Major)
Programme éclectique pour ce neuvième et antépénultième jour à l’Etrange Festival. Au menu aujourd’hui : de la fesse américaine, de la dent philippine et du flingue russe. Allons-y !
THAT’S SEXPLOITATION, DE FRANK HENENLOTTER
Vouloir raconter 40 ans de sexe dans le cinéma américain des années 30 au années 70 était une intention louable. Des films de nudistes aux « cuties » en passant par les bobines inspirées des spectacles burlesques jusqu’aux films psychédéliques, il y avait de quoi raconter une belle histoire. Seulement voilà, en l’état That’s sexploitation ne raconte pas grand chose et se présente d’avantage comme une simple compilation d’extraits triés sur le volet. Évidement ces morceaux choisis, instantanés du passé, font parfois sourire et même rire par leur innocence, mais cela ne suffit pas pour un documentaire dont la durée dépasse les deux heures.
L’omniprésence tout au long du film du légendaire producteur David Frank Friedman (Blood Feast, Ilsa: She-Wolf of the SS), n’arrange rien à l’affaire. Son témoignage face caméra représente le fil du conducteur du film, et même si la vitalité de cet homme de 87 ans est remarquable et ses anecdotes savoureuses, That’s sexploitation aurait vraiment bénéficié d’un montage plus dynamique et d’un “storytelling” plus rythmé. En l’état, l’entreprise est plombée par une narration factuelle peu passionnante dénuée de véritable structure engageant le spectateur.
Des films comme Not Quite Hollywood: The Wild, Untold Story of Ozploitation ! ou Machete Maidens Unleashed ont démontré que réaliser des documentaires sur l’histoire chaotique et foutraque de l’exploitation nécessitait de mettre de coté certains détails pour raconter une véritable histoire. Dégrossir le bloc d’informations existantes, sélectionner les extraits servant le propos et s’en tenir à une ligne directrice rigoureuse pour maintenir l’attention du spectateur. That’s sexploitation prend le chemin inverse et se rend indigeste à force de vouloir accumuler les détails, parvenant à rendre monotone un pan de l’histoire du cinéma qu’on imagine pourtant passionnant entre d’autres mains.
TIK TIK – THE ASWANG CHRONICLES, D’ERIK MATTI
Nous l’attendions tous avec impatience, nous pensions finalement ne jamais le voir. Mais il est pourtant arrivé, dépassant toutes nos attentes. C’est le nanar cosmique de cet Étrange Festival ! Vendu comme un pastiche burlesque, afin d’adoucir l’impact Z de cet objet improbable, Tik Tik – The Aswang chronicles conte l’histoire d’une famille philippine attaquée par une horde d’aswangs voraces (un mix entre vampire et loup-Garou imberbe) cherchant à venger la mort d’un des leurs.
Dés le début du film, le doute s’installe. Tournage 100% en studio avec surabondance de fonds verts, utilisation nawak du splitscreen, éclairage au néon, étalonnage daltonien, interprétation cartoon. Tik Tik – The Aswang chronicles sent bon le naufrage dés les premiers plans. Et nous ne serons pas déçus, loin de là. Entrés en salle avec l’intention de voir une comédie fantastique, nous nous trouvons finalement devant un film très premier degré abordant son sujet avec beaucoup de sérieux, excepté dans de rares moments de lucidité durant lesquels le réalisateur semble prendre un peu de recul sur sa chose.
Car heureusement, le film parvient parfois à toucher du doigt le célèbre “So Bad It’s Good” lorsqu’il assume enfin son coté cheap et arrête d’essayer d’être ce qu’il ne sera jamais : un vrai bon film fantastique. Et grand bien lui en prend, car avec ses FX faisant passer les créatures The Asylum pour des productions WETA, sa tension totalement inexistante, son accumulation ahurissante de clichés et son final en carton, Tik Tik – The Aswang chronicles gagne vraiment à être plus modeste. Car un film dans lequel des gâteaux apéro à l’ail utilisés comme projectiles font exploser les monstres ne devrait pas trop se prendre au sérieux.
THE MAJOR, DE YURY BYKOV
Le commandant de police Sergey Sobolev fonce au volant de sa voiture vers l’hôpital où sa femme s’apprête à accoucher. Un enfant traverse la route. Sergey essaye de l’éviter mais perd de contrôle de son véhicule. Le petit meurt à la suite de l’accident. Aidé par ses collègues, le commandant va étouffer l’affaire, mais rongé par la culpabilité il se retrouve impliqué dans une machination politicienne, considéré comme un élément gênant à abattre.
Encore un très beau polar âpre et électrique présenté dans la sélection de cet Étrange Festival. S’attaquant à un sujet délicat avec beaucoup de retenue et une pudeur incroyable, le talentueux Yury Bykov – ici réalisateur, scénariste, monteur, acteur et compositeur – livre une vision très noir et pessimiste de la Russie moderne. Un pays manifestement rongé par la corruption et les petits arrangements plombant les institutions politiques, policières et judiciaires. The Major présente ainsi un monde sombre et impitoyable où les petits sont écrasés par le pouvoir et l’ambition démesurée de ceux qui les gouverne et sont censés les protéger.
Dans cet environnement hostile, Sergey Sobolev semble enfin se réveiller, prendre conscience de la cruauté qui l’entoure, et décide de casser cette dynamique néfaste à son petit niveau. Coincé dans une mécanique bien huilée, grain de sable grippant les rouages du système, il fait tache et doit être nettoyé. Ce film montre également un pays fonctionnant en castes, en factions hermétiques et solidaires. Des “familles professionnelles” en vase clos, comme ce commissariat régit par la violence et la peur, où la loi n’a pas lieu d’être. Et c’est bien là que réside une des grandes qualités de ce film : parvenir, malgré la censure accablant la plupart des productions russes, à tenir un vrai discours courageux sur les maux gangrenant un pays à bout de souffle.
Mais au-delà de ce discours responsable, The Major fonctionne très bien entant que polar percutant de très bonne facture. Réalisé entièrement caméra à l’épaule, ce film extrêmement bien photographié par Kirill Klepalov arbore une belle mise en scène très dynamique mettant parfaitement en valeur le décor de western glacé de Ryazan. Magnifiquement porté par les performances intenses et sensibles d’Irina Nizina et Denis Shvedov, cette seconde réalisation de Yury Bykov, confirme après son premier essai To Live, l’émergence d’une voix forte dans le paysage cinématographique russe à suivre de très près.
L’Étrange festival : jusqu’au 15 septembre au Forum des Images de Paris – Plus d’infos sur le site de l’Étrange festival.