
L’heure des monstres (Legion saison 3 / FX / OCS)
Le temps est un piège mortel, et ce n’est pas Switch, nouveau personnage et voyageuse dans le temps, qui nous contredira. Le premier épisode de cette troisième et ultime saison de Legion est somptueux à tous points de vue.
Après deux saisons plutôt étourdissantes (lire nos critiques de la saison 1 et de la saison 2), Dan Stevens (Downton Abbey) endosse pour la troisième et dernière fois le costume de David Haller. Un costume proto-hippie, cette fois – du moins dans le premier épisode de cette ultime saison, diffusé le 24 juin.
Après un panneau très rétro, le propos est posé d’emblée : Noah Hawley, le showrunner de la série adaptée d’un perso Marvel, va jouer au Boggle avec nos neurones. Il va nous secouer, l’envers deviendra l’endroit et le temps se confondra avec l’espace, retourné comme un gant et mis sens dessus dessous.
Vision d’un antique téléviseur à l’envers, d’une jeune femme écoutant au casque un livre audio. Quelque chose de très new-age intitulé “Lessons in time travel”. Le titre du chapitre 13 ? “All past is future.” On pense à Donnie Darko et à ces extraits du livre The Philosophy of Time Travel qui parsèment le long métrage de Richard Kelly.
Dans un mouvement rappelant la démentielle chorégraphie du premier épisode de la saison 2, celle qui sera rebaptisée Switch un peu plus tard dans l’épisode – et qui est, on s’en doute, une voyageuse du temps – suit le fil d’une chasse au trésor en décor urbain. Tout en elle fait de Switch un personnage à part dans la ville où elle évolue : vêtue d’habits très colorés quand tous ceux qu’elle croise ont opté pour des dégradés de beige et de gris ; le casque rouge éternellement vissé aux oreilles, même pendant les cours à la fac.
Switch communique avec son père (?) par l’intermédiaire du vieux téléviseur. Un anachronisme habituel dans Legion, et qui réinstalle rapidement les fondamentaux d’une série assise sur une certaine représentation/déstructuration du temps. Une diffraction de la conscience (saison 1). Une danse dans le labyrinthe (saison 2). Et à présent un jeu de zig-zag entre présent (conçu comme davantage qu’une date : une sensation) et passé afin de modifier/sauver le futur.
Et là est le paradoxe de Switch dans les premières minutes de l’épisode : une voyageuse du temps trop parfaite. Elle dit exceller dans toutes les matières qu’elle étudie, « parfaite en tout » dit-elle, « comme toujours ». Figée dans sa perfection, parce qu’il n’y a qu’une façon d’être parfaite ; une seule manière d’être la meilleure (lire à ce sujet la nouvelle Slumming de Chuck Palahniuk).
D’étranges flyers sont fixés un peu partout dans la ville, attirant son attention sous des questions comme « Are you indivisible ? ». Qui est cette « vierge enceinte » ? Quelles sont ces fleurs bleues qui couinent quand on les écrase ? Des formulations bizarres la font entrer dans un nouveau monde.
Son audiolivre l’enjoint à ne pas succomber à la nostalgie. Car le passé est un piège – surtout pour une “time traveler”. « Time is not a river. Time is a jungle filled with monsters. » Et c’est sur une fréquence radio précise, écoutée sur un vieux poste retrouvé au fond d’un placard, que Switch en apprend davantage. On pense à Videodrome, de David Cronenberg, et à ce programme très snuff détourné par Max Renn.
Tout l’épisode est ainsi construit comme une chasse au trésor, un jeu de l’oie parsemé d’indices plus ou moins déroutants, tel ce bus jaune qu’elle doit suivre, et qui se révèle un bus rouge avec « yellow bus » inscrit à l’arrière. Toujours ce jeu du chat et de la souris avec le personnage… et le spectateur. Lorsque Switch pénètre dans un bâtiment marqué du sceau de la « vierge enceinte », un autre jeu, excessivement théâtral et chorégraphié, prend place. Une jeune fille au visage neutre derrière un comptoir, escamotée en permanence par des portants débordant de vêtements dès que Switch s’approche d’elle, crée l’étrangeté d’un lieu. Un procédé inventif, simple et efficace en diable.
On n’en dira pas plus, pour ne rien divulgâcher. Et puis, il faudrait des milliers de signes pour explorer et détailler ce que les scénaristes de cet épisode (un seul épisode !), Noah Hawley et Nathaniel Halpern, ont mis en place. Sachez simplement que le danger du voyage dans le temps est exprimé en termes clairs : pour changer un événement, il faut aller suffisamment loin en arrière, mais si l’on va trop loin, « on risque de réveiller le démon ». L’horizontal se transforme souplement en vertical, la mise en scène et l’enchaînement des espaces sont toujours aussi somptueux. Et Aubrey Plaza toujours aussi intense. Bref, on est déjà conquis.
LEGION (FX) Saison 3 en 8 épisodes,
diffusée sur FX du 24 juin au 12 août 2019, et sur OCS en US+24.
Série créée par Noah Hawley.
Saison écrite par Noah Hawley et Nathaniel Halpern, notamment.
Avec Dan Stevens, Rachel Keller, Aubrey Plaza et Lauren Tsai, entre autres.