
« Loin de la foule déchaînée » : une femme, trois hommes, des possibilités
L’histoire : Bathsheba est une jeune fille un peu insouciante. Mais surtout, une jeune fille qui veut être libre dans cette campagne anglaise de l’époque victorienne. Elle veut diriger elle-même sa ferme et ne se marier qu’une fois amoureuse. Jeune, libre et belle, trois hommes tombent sous le charme : le droit berger Gabriel Oak, le riche et taciturne fermier Mr. Boldwood et le charmeur et charmant Sergent Troy.
Mon avis : Roman d’amour et de passion, écrit en 1874 par Thomas Hardy, de nombreuses voix s’élèvent pour narrer cette histoire. Celle de Gabriel ouvre le récit et ce sont ses yeux qui vont conditionner la personnalité de coquette de Bathsheba. Cette dernière n’est pas oubliée et permet de donner plus d’humanité et de profondeur à un personnage avant-gardiste. Boldwood et Troy ne sont pas oubliés non plus, et grâce à cela, se noue le drame dans toute sa complexité.
L’histoire est avant tout celle de Bathsheba, le roman d’une jeune fille qui devient une femme, qui souhaite découvrir l’amour, se laisse aller par un beau jeune homme, ne sait pas dire non, souhaite dire non, et puis pourquoi pas. Un roman plus grave à cette époque, où il ne faut pas se tromper sur son cœur, sous peine de se retrouver avec un bien mauvais mari.
Alors oui, le personnage est plutôt avant-gardiste : une femme qui souhaite être à la tête de sa propre exploitation et négocier elle-même le prix de ses produits. Et à quel point peut-on comprendre comment cette femme-enfant doit jouer à l’amour et à l’hasard. Mais cela peut sembler quelque peu fastidieux. Quelques scandales, et le brave Gabriel Oak, croyant et juste, qui la regarde de loin. En gros, un triptyque se dessine entre l’honnête homme (totalement friendzoné), le vieux creep et le bel homme joli cœur. Qui notre douce va-t-elle choisir ?
Le roman décrit bien l’atmosphère puritaine et les travaux aux champs de l’Angleterre victorienne. Bathsheba est agaçante, souvent, mais nous rappelle parfois qui nous sommes. Un regret, celui d’avoir moins un roman d’atmosphère, type sœurs Brontë, qu’un véritable roman d’amour. Et dans ce cas, il peut sembler parfois légèrement longuet.
Si vous aimez : les histoires d’amour d’époque et dramatiques, bien entendu. Avec, en fond sonore, les envolées lyriques d’Autant en emporte le vent.
Autour du livre : Il vient tout juste d’être adapté en film, avec dans le rôle principal, Carey Mulligan. Elle succède à Julie Christie, qui l’avait interprété dans un film de 1967 de John Schlesinger. Cette édition du livre comprend d’ailleurs une petite postface sur la vision du réalisateur, Thomas Vinterberg.
Extrait : « Cette nuit-là, Gabriel Oak, dans la maison de Coggan, vit, sous le voile de ses paupières fermées, s’agiter mille visions fantastiques et animées, comme un fleuve qui coule rapidement sous une couche de glace. Pendant la nuit, l’image de sa Bathsheba lui apparaissait toujours plus nette qu’au milieu de ses occupations, et il la contemplait tendrement durant ces longues heures d’obscurité. Les plaisirs de l’imagination compensent rarement les tourments de l’insomnie ; mais ce fait se produisait cependant pour Oak, car le bonheur de voir celle qu’il aimait effaçait presque la distance qui le séparait de celui de la posséder ».
Sortie : depuis le 13 mai, éditions Archipoche, 470 pages, 7,65 euros.