
Lointaine justice (The Night Of, minisérie / HBO / OCS)
Que peut-on bien programmer après le Game of Thrones, en période estivale ? Pour HBO (et sur OCS le lendemain), la solution consiste à sauter du coq à l’âne avec une minisérie judiciaire pour le moins sombre. Bien qu’il s’agisse d’un remake – de l’anglaise Criminal Justice* –, The Night Of est une immersion lente et pertinente au plus près d’une enquête à charge.
On regrettera peut-être l’engagement et la prise de position d’un John Ridley (American Crime), mais cette adaptation est en tout point remarquable.
Nasir Khan est un jeune étudiant d’origine pakistanaise qui habite le Queens à New York. Alors qu’il est invité à une soirée du côté de Manhattan et que son ami qui devait l’accompagner se désiste, Naz’ emprunte discrètement le taxi de son père pour s’y rendre. Parce qu’il cherche son chemin et qu’il ne sait pas comment débrancher le témoin lumineux sur le toit de la voiture (indiquant qu’il est en service), une jeune femme monte à l’arrière du véhicule. La rencontre impromptue qui s’ensuit désarçonne le chauffeur de taxi d’un soir. Une soirée totalement débridée les attend mais lorsque Nasir se réveille chez elle en pleine nuit, il retrouve la jeune femme sauvagement lardée de nombreux coups de couteaux dans son lit…
The Night Of est un projet de longue date chez HBO. Lorsqu’un premier pilote est tourné en 2013, la future série adaptée par Richard Price (The Wire) et réalisée par Steven Zaillian (La Liste de Schindler) n’est pas une production comme les autres. L’acteur emblématique de la chaîne câblée, James Gandolfini (Tony dans Les Soprano) doit y faire son retour sur le petit écran. Il tourne alors les quelques séquences de son personnage (qui n’apparaît qu’en toute fin du premier épisode) mais décédera avant que la suite ne puisse être filmée.
Logiquement, la production stagne ensuite. C’est presque devenu une marque de fabrique chez HBO (cf Westworld). La chaîne continue malgré tout de croire en cette adaptation et le rôle laissé vacant par Gandolfini est un temps proposé à Robert De Niro, qui décline (pour cause de calendrier trop chargé). Il n’est pas simple de prendre la suite de noms si prestigieux, mais The Night Of va trouver chaussure (ou plutôt une sandale) à son pied en la personne de John Turturro.
À son sujet, le critique américain Matt Zoller Seitz (Vulture) évalue l’acteur comme un trésor national, un qualificatif à la hauteur d’un comédien extraordinaire, pourtant rarement dans le premier rôle. Très rare à la télévision, il illumine ce récit en offrant un fantastique contrepoint dans ce drame loin d’être rose.
À ses côtés et dans le rôle central, Riz Ahmed (The Road to Guantánamo, Night Call) peine à exister en comparaison, mais son personnage très mutique laisse néanmoins apercevoir tout le talent de l’acteur.

Jack Stone (John Turturro)
Le duo est au centre d’une symétrie fascinante qui porte littéralement la minisérie. Alors que Naz’ (Ahmed) est envoyé à la prison de Rikers, il trouve un mentor ambigu du nom de Freddy sur lequel s’appuyer (le toujours brillant Michael K. Williams). Parallèlement, Jack Stone (Turturro), ce commis d’office à qui on ne la fait plus, va prendre sous son aile la jeune avocate (l’anglaise Amara Karan) en charge de défendre Nasir Khan.
Cette thématique de l’initiation et de l’apprentissage séduit par sa générosité et embarque le téléspectateur avec un procédé d’identification efficace. En substance, elle vient même proposer une idée de la filiation en dehors du cadre familial.
Mais The Night Of reste à bonne distance. Au contraire d’une American Crime, elle se garde bien de pointer du doigt une éducation déficiente. Lors de la saison 1 de cette dernière, Ridley démontrait de manière implacable combien la responsabilité des parents est cruciale pour inculquer les bons réflexes aux jeunes générations dans un récit, finalement, assez similaire.
De manière générale, c’est toute l’approche de Price et Zaillian qui est ici très lointaine. En pointant le déficit d’effectifs policiers, ils soulèvent à raison le caractère aléatoire de l’action des forces de l’ordre. Mais c’est amené de façon si légère que l’on n’y prête pas l’attention qu’elle mérite.
Et puis, il y a cette scène où l’on assiste à la fouille d’enfants venus rendre visite à leurs pères incarcérés. La séquence est forte mais vaine. L’émotion suscitée devrait conduire à une interrogation sur le système d’emprisonnement actuel ou, tout du moins, ses conséquences sociales. Mais il n’en est rien.
Pourtant, il y avait la place. Les épisodes de The Night Of prennent le temps d’explorer méticuleusement chaque détail, chaque geste et chaque regard. La mise en scène de Zaillian (qui signe presque toute la minisérie) est très sensorielle et s’appuie sur une gestion sonore impressionnante.
Dans une période charnière pour HBO, cette adaptation d’un format anglais offre paradoxalement une vraie bouffée d’air frais. À la manière d’une London Spy, The Night Of évolue au rythme de ces épisodes. D’abord thriller, elle devient ensuite policière avant d’embrasser totalement le registre judiciaire et de le faire, à chaque étape, plus que bien.
Au final, nous serions à la place des nouveaux responsables de la chaîne, la possibilité de prolonger The Night Of comme son matériau anglais d’origine nous titillerait sérieusement l’échine !
THE NIGHT OF (HBO) Minisérie en 8 parties,
diffusée dès le lundi 11 juillet à 20h40 en US+24 sur OCS City.
Écrite par : Richard Price et Steven Zaillian.
D’après une œuvre originale de : Peter Moffat.
Réalisée par : James Marsh (ép. 4) et Steven Zaillian (le reste, soit 7 ép. ainsi qu’un pilote non diffusé).
Photographie par : Robert Elswit.
Avec : Riz Ahmed, John Turturro, Sofia Black D’Elia, Bill Camp, Amara Karan, Michael K. Williams, Paul Sparks, Peyman Moaadi, Poorna Jagannathan et Jeannie Berlin.
Musique originale de : Jeff Russo.
*: Criminal Justice est une anthologie saisonnière qui connut deux saisons (2008, 2009) soit bien avant American Crime ou bien encore American Horror Story. Écrite par Peter Moffat – qui fût Barrister avant de connaître la carrière de scénariste que l’on sait – la série s’intéresse au parcours d’un suspect juste avant le crime puis durant l’enquête et son procès. Les deux saisons sont à voir ne serait-ce que pour la perfection des castings assemblés. Ben Whishaw, Pete Postlethwaite, Ruth Negga et l’excellent Con O’Neill pour la première, celle qui est déclinée ici pour The Night Of. Maxine Peake, Matthew Macfadyen, Eddie Marsan et la sublime Sophie Okonedo pour la suivante.
Visuels : The Night Of / Craig Blankenhorn © 2016 Home Box Office, Inc. All rights reserved. HBO ® and all related programs are the property of Home Box Office, Inc.