On a vu… le document perdu de Lost

On a vu… le document perdu de Lost

« Comment vendre le concept d’une série sans effrayer les exécutifs d’un network », aux éditions Ecran de fumée.

Le 20 septembre, Slashfilm.com a publié un article passionnant consacré à une note d’intention rédigée en 2004 pour la chaîne ABC, après le tournage du pilote de Lost et avant que la chaîne ne commande la saison 1. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la série a changé en cours de route.

Une série qui ne serait pas feuilletonnante. Une série qui ne serait pas rattachée à un genre et emprunterait tout à la fois au character drama, au cop show ou à la série médicale. Une série dans laquelle le « mystère du monstre de fumée » serait résolu dans les tous premiers épisodes. Et surtout, une série où tout aurait une explication rationnelle.

En se procurant un document de 27 pages rédigé pour la chaîne ABC, et dans lequel on peut lire une présentation de ce que sera la série Lost, le site américain Slashfilm.com a réalisé un très joli coup. Pour les fans du show mais aussi pour tout ceux qui s’intéressent à la télé américaine et son industrie.

L’épisode 1.02, centré sur Kate, suit assez bien la note d’intention…

Daté du 5 mai 2004, avec le logo de la série et les noms de JJ Abrams et Damon Lindelof (les créateurs du show avec Jeffrey Lieber, qui est le premier à avoir planché sur le concept) en première page, le document est une mine d’or pour expliquer comment les scénaristes-producteurs ont vendu leur concept au network.

Il explique notamment que  chaque épisode devait s’ouvrir sur une énigme centrale et que ces énigmes pourraient parfois sous-tendre un débat éthique (comment punir un crime ? Sayid a bien la réponse…)…

« Clairement, peut-on lire à la fin de la page 7, ce sont des histoires que vous pouvez voir dans n’importe quelle autre série, mais racontées dans un cadre étrange. Et c’est tout ce que vous ne verrez pas dans Survivor. Des meurtres. Des transfusions de sang. Une histoire d’amour. Un procès. Et tout ça loin de la civilisation… »

Brrr…

Lost Writers Guide by Nicorobert

Décrite comme un « Adventure show » plus qu’une série de genre, Lost est aussi présentée comme une création proche de l’univers du romancier Michael Crichton. « Si nous faisons les choses bien (une expression qui revient de très nombreuses fois dans le document, NDLR), tout ce qui est paranormal aura une explication logique, pour rappeler au public que tout ceci se déroule dans le monde réel ».

… le 1.03, centré sur Locke, beaucoup moins.

Le document parle aussi d’une mythologie compartimentée et qui raconte l’histoire de l’île sur plusieurs siècles (ce qui va être la réalité, globalement), d’une histoire centrée sur 14 survivants (mais ça, c’était avant Ana Lucia) et… de la problématique des décors.

Eh oui : vendre une série qui se déroule en décor extérieur, ce n’est pas la chose la plus facile à faire. Même à la télé américaine. Voilà pourquoi les auteurs de la note indiquent qu’un déménagement des survivants est prévu. Pour qu’ils s’installent dans la jungle, et construisent une base qui serait leur « Melrose Place primitif ».

Si la formule vous fait rire, elle est en page 10.

Interrogé sur la fuite de ce document, Damon Lindelof n’a pas trouvé ça très drôle. Après avoir expliqué qu’il aurait préféré que cette note ne ressorte pas, il a confié à Slashfilm.com que ce n’est pas lui qui avait écrit ces 27 pages (même si son nom est dessus) mais un groupe d’auteurs chargés de rassurer la chaîne avant qu’elle ne commande la saison 1.

Leurs noms ? Javier Grillo-Marxuach, Paul Dini, Jennifer Johnson et Christian Taylor. Quatre scénaristes enrôlés sur l’écriture de la première saison et dont la mission, selon Lindelof, était de rassurer le network, visiblement inquiet d’avoir deux Alias à l’antenne (en clair, deux séries très feuilletonnantes qui ne cartonnent pas en audience).

« C’est encore loin, Melrose Place ? »

« Voilà pourquoi nous avons fait un effort spécifique pour dire que notre projet ne serait ni trop genré ni trop feuilletonnant. De sorte que même si nous étions décidés à faire le contraire, nous avions besoin de ce document » pour rassurer le network.

Malin, Damon. Beaucoup plus malin que de dire : « Non mais en fait, tout le bazar qui a suivi, c’est la faute à Carlton Cuse (l’autre showrunner, NDLR) ».

La suite, on la connaît : le succès du pilote (18,65 millions de téléspectateurs) a donné aux producteurs une sacrée liberté de mouvement pour faire ce qu’ils voulaient ensuite. Et ils se sont assis bien comme il faut sur les explications rationnelles. Pour créer un des monuments télé des années 2000.

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