
Luke Cage, le destin d’une femme (Bilan S.1)
Luke Cage, c’est cette série arrivée en début de mois sur Netflix. Et si elle reprend l’histoire du super-héros éponyme, noir et résident de Harlem, Luke Cage raconte surtout l’histoire d’une femme, Mariah Dillard, interprétée par Alfre Woodard.
Spoiler alert !
Alors, certes, l’idée de départ est certainement plus d’avoir l’histoire d’une rédemption, celle d’un passage à la lumière avec un message très Black Lives Matter, où le super-héros résiste aux balles et se promène en sweat à capuche. Le message politique, qui est visible dans les interviews comme ici sur le site Télérama, semble pourtant légèrement un effet de manche, tellement les masculinités noires en prennent un coup dans la série.
Masculinités noires et subversivité
Car oui, les représentations de l’homme noir sont tout sauf subversives dans le récit. En tout cas, pendant la première moitié qui voit Luke Cage/Carl Lucas affronter Cottonmouth/Cornell Stokes. Luke Cage a non seulement les muscles, il a aussi le charme. En moins de deux secondes, bref, en une moitié d’épisode, le voilà qui emballe une jolie femme, qui se révélera être inspectrice de police, Mercedes/Misty Knight. Scène torride s’il en faut, où il la soulève presque à un bras. Ouf, Luke Cage est peut-être un gentil, un doux, c’est avant tout un homme. Et un homme, ça a des femmes. En face de lui, Cornell semble presque plus mou, plus nonchalant. Il se salit les mains, certes, mais sur un enfant. Il aurait pu être musicien, il avait l’âme d’un poète. Mais jamais, jamais nous ne le verrons avec une femme. Les seuls sous-entendus émaillant la série feront état de relations plus tarifées, et avec des femmes relativement jeunes. Cornell n’a pas sa place comme homme de la situation, comme « vrai mec ». Il est méchant, car il a été castré par sa grand-mère, obligé de tuer et de se battre dès son plus jeune âge, pour protéger sa famille. Même si c’est cette dernière qui causera sa perte.
La subversivité dont se targue la série est donc à l’inverse légèrement rétrograde et stéréotypée. L’homme, le vrai, il est quand même hyper balèze (bon, O.K., ça, c’est surtout la caractéristique « superhéroïque » de Luke Cage) et avec un sex-appeal de fou. D’ailleurs, il arrive à draguer avec des phrases tellement clichées qu’on espère n’avoir jamais à les entendre dans la rue. Il est doux, juste et dragueur invétéré (mais pas du tout « Jessica Jones in love »). Son ennemi se doit donc d’être plus fin, et surtout, suspicieusement mieux habillé. Presque trop. Ce goût de la mode et de la mise en scène, dans son bar ou dans sa vie, en deviendrait d’autant plus suspect qu’aucune femme ne s’affichera jamais au bras de Cornell. Il en sort affaibli.
Black Lives Matter. La série sort en plein débat aux États-Unis, alors que le taux de mortalité de jeunes noirs atteint des sommets dans des confrontations avec la police. Un mouvement civique est en place pour combattre ce racisme incarné dans les instances policières et les préjugés mortifères issus de l’esclavagisme. Dans ce contexte, faire d’une femme noire élue, Mariah Dillard, la porte-parole cynique d’une communauté afro-américaine qui en profite pour vendre des armes encore plus mortelles aux policiers, est un retournement de situation particulièrement révoltant. Surtout lorsqu’on a une base, un super-héros noir à capuche, qui aurait permis une vraie posture héroïque : celle de dénoncer une situation politique. C’est un véritable échec, où l’on a l’impression que le mouvement Black Lives Matter a été créé de toutes pièces par des personnalités afro-américaines, notamment Diamondback, dans un but purement capitaliste.
Un destin de femme
C’est d’autant plus dommage que nous avons en la personne de Mariah Dillard une méchante des plus passionnantes. Le point faible de Cornell, son cousin, en plus de sa mort en milieu de saison, est sans doute une caractérisation un peu tardive. Le rendre sympathique, ou du moins plus nuancé, en cours de saison aurait permis de lui donner une densité qu’on obtient quelque temps avant qu’il se fasse éclater la tête. Dommage aussi, car la scène est d’une force et d’une violence rare, non seulement à l’écran, mais aussi dans l’histoire plus personnelle qu’entretiennent Mariah et Cornell. Mariah, victime de viol, qui reprend le pouvoir sur son cousin, qui le tue dans un accès de colère en hurlant qu’elle ne l’a pas cherché. Mariah qui réalise un acte qui la libère, aussi bien en tant que femme, qu’en tant que méchante. Elle l’a toujours été, elle l’a toujours bridé. Elle l’est maintenant.
La série Luke Cage possède donc un personnage avec une trajectoire inverse à celle de Carl Lucas. Ce n’est pas Diamondback, ce demi-frère haineux. Ce n’est pas Cornell, pourtant bien parti, mais détrôné par sa cousine. C’est bien elle, Mariah, qui cherche sa place, à s’éloigner de sa famille tout en restant dans une trajectoire parallèle, à réussir à garder Harlem noire tout en touchant l’argent issu du trafic de drogue, du racket des commerçants, qui perd sa respectabilité dans un moment torturé, face à un cousin qui l’a finalement toujours enviée. Elle aurait pu partir de ce milieu, elle y est revenue. Il aurait aimé le quitter, il n’a jamais réussi. Tous les deux étaient coincés par une grand-mère tyrannique, Mama Mabel, et des liens presque maternels.
Alors, certes, c’est un homme, Shades, qui révèle Mariah. Qui l’aide, la soutient. Mais s’il devient le « roi », il reste pourtant dans son ombre. On peut saluer là un certain retournement de stéréotype. Alfre Woodard, qui incarne Mariah, est l’aînée de 20 ans de Theo Rossi, l’interprète de Shades. Et non seulement elle explose la tête de quiconque dit qu’elle l’a bien cherché, mais en plus, elle prend en main son destin, choisissant comme prince consort un homme plus jeune. Luke Cage a donc surtout réussi à créer le destin d’une femme d’exception. Une méchante qui promet pour la saison 2 et qui, dans un mouvement de colère, se libère des carcans de la société. Mais rentre dans le giron de la famille.