MA-GIS-TRALE (Bilan de la saison 5b de Breaking Bad)

MA-GIS-TRALE (Bilan de la saison 5b de Breaking Bad)

Note de l'auteur

C’est terminé. C’était l’événement télévisuel de ce début de saison. Et dans les faits, il a éclipsé les pilotes. Breaking Bad, série marquante dans l’histoire de la télévision, vient de tirer sa révérence, dans la nuit de dimanche à lundi.

Du point de vue de la construction, cette seconde partie de 5e saison est l’ultime acte de l’aventure de Walter White au pays des méthamphétamines. Tout part de la découverte par Hank d’un détail. Deux petites lettres griffonnées dans un livre anodin. Une révélation dans des toilettes. À qui cela n’est-il pas arrivé ? Sauf que la révélation de Hank va bouleverser sa vie. Complètement. D’un seul coup, il est retourné, déboussolé. Cet homme qu’il aime, qu’il considère comme faisant partie de sa famille, est en fait le plus gros dealer de l’histoire du Nouveau-Mexique.

Le choc est violent pour Hank, et au départ, il ne sait pas comment le gérer. Il veut faire tomber Walter, coûte que coûte. Hank, c’est la droiture, l’honnêteté absolue. Se compromettre pour protéger sa famille ? Impossible. Laisser Walter mourir de maladie avec son secret ? Impensable. Jusqu’au-boutiste, il va même s’allier avec une autre victime des trahisons de Walter, Jesse.

Qu’il soit acoquiné avec Walter White ou allié à Hank Schrader, Jesse n’aura été qu’un outil dans leurs mains. Il passe d’un père de substitution abusif à un autre père de substitution abusif. Walter aura pourri son existence, l’aura empêché de connaître la rédemption à cause de son besoin de tout contrôler. Hank le garde en laisse dans le seul but de faire tomber White, même s’il doit, pour ça, mettre sa vie en danger.

Souvenez-vous : le but de Walter White, au début de la série, était soit-disant d’amasser assez d’argent pour aider sa famille. Pour leur offrir assez afin de subvenir à leurs besoins quand il serait parti. Ce choix va provoquer un effet domino qui va mettre tous ceux qui croisent ou ont croisé la route de White en danger. Sa famille. Jesse. L’entourage de Jesse. Les révélations de Hank vont pousser la situation à son paroxysme.

Plutôt que de finir la série sur une révélation suivie d’une traque et d’une arrestation, l’ultime épisode se sert de ces éléments pour continuer son récit. Dans sa plus pure tradition (action mène à conséquence), les révélations de Hank ne sont pas à proprement parler ce qui sonne le glas de l’histoire. Mais elles mènent à sa dernière ligne droite.

Sans spoiler, PERSONNE ne sort indemne de cette fin de saison. Torture, souffrance, mort, déception, trahison, drame humain, massacres… de ce choix qui semblait à l’époque vertueux et sacrificiel (je prend tous les risques pour ma famille), naît une suite de conséquences qui plongent la petite ville d’Albuquerque dans un enfer absolu.

Il n’y a pas une once de gras dans cette saison, menée tambours battants. Les détracteurs de la série s’en prennent à son rythme, souvent lent. Mais ils confondent lenteur et ennui. La lenteur supposée de Breaking Bad a permis ce final aujourd’hui. Elle a imposé une esthétique, permis au spectateur de s’immerger dans son ambiance, dans son récit. Et quand elle a haussé le rythme, elle a créé des moments mémorables, qui scotchent, dont on se souviendra toute notre vie.

Tout le monde en a déjà parlé en long, en large et en travers, mais la saison a connu son pic lors de son antépénultième épisode, « Ozymandias ». Un épisode qui restera dans les annales comme l’une des heures les plus denses, intenses et furieuses de la télévision américaine. En ouvrant sur un flashback du temps de Walter, le gentil dealer innocent (1), et de Jesse, le gentil crétin, l’épisode nous permet de mesurer le chemin parcouru. Et c’est vertigineux.

En 5 saisons (presque 6, si on chipote) et deux ans de vie pour les personnages, la série aura  tout broyé autour d’elle. La compromission de Walter, d’une naïveté absolue, aura eu un résultat qui ne peut même pas être appelé échec. C’est un désastre. Un champ de bataille jonché de cadavres et de blessures incurables.

À la fin de la saison, on veut un Emmy pour tout le monde. Aaron Paul est encore une fois désarmant, touchant. Dean Norris y donne sa plus belle prestation, intense et digne (2). Anna Gunn est magistrale, dans la foulée de sa première partie de saison, à essayer de se débattre entre la complicité et son sens moral. Betsy Brandt remue les tripes, et s’affirme en femme décidée, qui veut que Walter crève. RJ Mitte fout une boule dans la gorge, lui qui idolâtrait son père (3).

Et Bryan Cranston est fabuleux. Heisenberg a bouffé Walter White. Comme un second cancer. Cette identité secrète qui lui permettait d’être enfin lui-même (on y reviendra plus tard) a tout saccagé sur son passage. Jusqu’au bout, il restera convaincu de son action. Ces paroles qui font froid dans le dos , »que je n’ai pas fait ça pour rien », reviendront souvent, formulées différemment. Mais en gardant l’esprit. Offrir sa fortune à ses enfants, telle est son ultime volonté. Tant pis pour le reste du moment qu’il y arrive.

Dimanche soir, ce fut le temps des adieux. Un peu en dessous d' »Ozymandias », hélas. Pas indigent du tout, dans la moyenne haute de la série (ce qui le situe très haut). Malgré tout (et c’est ici qu’on va vous SPOILER), cette fin était peut-être celle qui était la plus attendue. Si les 15 premières minutes sont surprenantes, glaçantes, même, la suite coule de source. On s’attend depuis l’épisode précédent à cette fin. Et elle arrive, inexorablement.

Sans surprise et malgré tout regorgeant de scènes importantes. Encore une fois, le début de l’épisode est magistral. Le dernier face-à-face entre Walt et sa famille est juste poignant, premier instant de franchise de la part de White depuis si longtemps… Les dernières minutes n’auront pas été surprenantes, c’est ce qu’on peut leur reprocher. Mais dans son approche méthodique, Vince Gilligan nous offre une fin cohérente, logique. Deux composantes de la réussite de Breaking Bad. Les auteurs l’avouent eux-mêmes, ils se sont laissés porter par les personnages et par leurs choix. Les rares fois où ils se sont détournés de cette façon de faire, ils se sont plantés.

Comme pour Lost, le héros se retrouve seul à la fin, après avoir libéré quelqu’un. Comme dans Les Sopranos, tout se termine en chanson avec un titre vieillot, daté. Si le final n’a pas été à la hauteur des attentes (était-ce possible ? Vince Gilligan avait dit lui-même que la série ne serait jamais meilleure que lors de l’épisode « Ozymandias »), il n’a trahi personne. Il ne jette pas un voile sur le reste d’une saison brillante. (Fin du SPOILER)

Breaking Bad, c’est terminé. Son univers restera vivace le temps que Better Call Saul, son spin-off, sera à l’antenne. Et ce, même si le ton de la série s’annonce très différent (4). Breaking Bad, c’est l’éloge de la cohérence, du méthodique. Une série qui mettait les personnages avant l’intrigue. Qui aura fait de Bryan Cranston et Aaron Paul des stars. Et de Vince Gilligan un nom qui compte dans l’histoire de la télévision.

Dans leur quête constante d’absolu, il y en aura certains pour affirmer que Breaking Bad est la meilleure série de l’histoire. Comme il y en a pour le prétendre des Sopranos ou de The Wire. Une notion très vaine. Comme Les Sopranos, comme The Wire, comme d’autres avant elles, Breaking Bad aura été une très grande série. Et ce fut une très grande saison. Et quand viendra le temps des analyses sociologiques, philosophiques, soulignant le sous-texte de la série, n’oublions pas une chose : Breaking Bad était une œuvre brillante et d’une richesse incroyable, certes. Mais elle était aussi et surtout divertissante.

(1) : cough-cough
(2) : SPOILER : même dans ses derniers instants, la gueule dans le sable, un flingue pointé sur lui.
(3) : SPOILER : et qui au final souhaitera le voir mort, dans une scène qui n’a rien d’une réaction stupide d’ado.
(4) : Et heureusement.

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