
Mad Max Fury Road – Black & Chrome : Witness !
Un an et demi après la sortie des aventures de Max le dingue, George Miller propose une nouvelle version de son chef-d’œuvre viscéral et frénétique : en noir et blanc ! Loin d’être un gadget ou un caprice, c’est peut-être la meilleure version pour (re)voir ce classique instantané.
Mad Max Fury Road était probablement le meilleur film de 2015. Et il risque également de devenir le meilleur de 2016. Hein, quoi, pourquoi, comment, dans quel état j’erre ? Parce que le Blu-ray que sort ces jours-ci la Warner est loin d’être un coup marketing, après les versions DVD, 3D et 4K avec ses couleurs vraiment shiny. Habilement intitulée Black & Chrome, cette nouvelle version est en fait celle que George Miller himself voulait sortir en salle à l’origine. Une version noir et blanc, avec des noirs sombres, profonds, une image hyper saturée, tranchante comme l’acier. Mais revenons un peu en arrière dans le temps…
Pendant une vingtaine d’années, George Miller a tenté de mettre en scène un quatrième Mad Max. À chaque fois, le projet capotait : manque d’argent, scénario à la traîne, Mel Gibson vieillissant, le 11 septembre qui donne un coup d’arrêt à la production, problèmes météos… En 2012, tous les feux sont verts et l’Australien de 67 ans se lance dans la course. Il décide alors de revenir aux racines du 7e art et de faire un film noir et blanc, la forme la plus pure du cinéma. Oui, oui ! Car comme me déclarait William Friedkin il y a 20 ans, à l’occasion de la sortie de Jade, « les scènes de poursuites de voitures sont purement cinématographiques, elles appartiennent seulement au cinéma. Vous ne pouvez pas les vivre au théâtre, en musique, en peinture, à la radio ou en photo. Il n’y a qu’un seul médium pour cela : le cinéma. C’est la scène de cinéma par excellence. Je n’en ai réalisé que trois alors que j’ai fait quatorze ou quinze films. J’en ferais tout le temps si je le pouvais. Je filmerais des poursuites comme Cézanne quand il peint la Montagne Sainte-Victoire, à savoir aussi souvent que possible. »
Sauf qu’il est hors de question pour la Warner (ou n’importe quel autre producteur) de sortir un prototype de 100 millions en noir et blanc. Finalement, George Miller obtiendra son financement, mais devra renoncer au noir et blanc. Mais, Miller, fidèle à son idée de départ, accumulera les scènes d’action légèrement accélérées, donnant au film un aspect étrange, un look très cinéma muet, entre Buster Keaton et Harold Lloyd, et réduira au maximum les dialogues, les personnages ne s’exprimant qu’avec leurs corps dans un maelström d’action.
De fait, le concept de George Miller avec Fury Road, c’est de faire du cinéma total, un objet de pur objet de mise en scène. Il filme les étendues désertiques comme John Ford filmait Monument Valley, accélère constamment le rythme de ses scènes d’action et fait exploser les formes et les couleurs comme Jackson Pollock en pleine séance de dripping. C’est exactement cela Fury Road, des éjaculations de couleurs lancées frénétiquement sur un écran-toile.
À l’arrivée, George Miller réalise un miracle, crée du mythe sur celluloïd, et fracasse son spectateur, mi-extatique, mi-épuisé par un ride sauvage de 120 minutes, un des uppercuts les plus puissants jamais infligés sur grand écran, un déluge d’inventions esthétiques et formelles.
Un an et demi après la projection à Cannes et le triomphe en salles, Max revient pour un petit tour de piste. Au sommet du monde, George Miller a pu imposer sa vision et enfin sortir sa version Black & Chrome. J’ai eu la chance de la découvrir en salle. Je connais par cœur le chef-d’œuvre de George Miller, et pourtant, j’ai eu l’impression de le découvrir lors de cette projection unique. Le trip viscéral et frénétique se métamorphose en un classique, traversé par les influences de John Ford, Akira Kurosawa, les films de monstres de la Universal des années 30 ou le Métropolis de Fritz Lang. Je sais, il y a pire comme références…
Débarrassé des éjaculations de couleurs (lumière ocre ou bleutée lors des séquences nocturnes) du génial chef opérateur australien John Seale (Hitcher, Le Patient anglais), Mad Max Black & Chrome n’est que mouvement et géométrie : des véhicules-particules qui tracent vers l’infini, s’envolent, explosent dans un déferlement de feu et d’acier, des lignes de fuite sur l’horizon. Le noir et blanc fluidifie au maximum l’action, toujours parfaitement lisible même quand elle se déroule à 200 km/heure. La caméra s’envole, tourbillonne, panoramique pour cadrer au mieux cet enfer mécanique et Miller accélère jusqu’à la fin pour un déluge apocalyptique d’acier, de sang et de cambouis. Les acteurs deviennent des figures totémiques, les ombres d’une œuvre expressionniste du IIIe millénaire : Max, Furiosa, Immortan Joe, les War Boys… Avec le noir et blanc, les images sensiblement accélérées, le rêve de film muet de George Miller prend vie. Et la musique, qui me semblait un élément secondaire, prend un incroyable relief.
Plus immersif, plus mythologique, Black & Chrome ressemble à un haïku, à la fois épuré et profond. Il ne reste plus que l’essentiel, l’os : une route verticale qui déchire un espace infini horizontal, secoué par la rage destructrice de Miller qui repousse l’horizon, grâce à sa science du découpage et de l’ellipse.
Avec cette version, j’avais l’impression d’être propulsé dans le film, de vivre l’action 24 fois par seconde, crucifié à mon fauteuil, comme dans une transe hypnotique. Frénétique, dément, objet de sidération, Black & Chrome est un classique instantané, le point de rencontre entre les chefs-d’œuvre du muet et le cinéma digital de demain.
Simplement essentiel !
Mad Max Fury Road : Black & Chrome de George Miller avec Tom Hardy et Charlize Theron.
Coffret Blu-ray chez Warner