
Mad Men, la fin de quoi?
Hier soir (dimanche 17 mai), le dernier épisode de Mad Men était diffusé sur AMC. C’en est donc fini des frasques des mad – add – maddison men et de leurs flasques ; c’en est fini des cigarettes fumées à longueur de journée, des regards insatisfaits de Betty Francis, de ce générique en ombre chinoise, des locaux de Sterling-Cooper, des plaisanteries misogynes et des tenues vintage. Bref, c’en est fini de Mad Men.
Cet épisode final met un terme à huit années de diffusion (le premier épisode avait été diffusé le 19 juillet 2007), et 92 épisodes . Pendant tout ce temps, Mad Men aura marqué pour sa description impitoyable des années 1960, son style acéré, son sens de la répartie (s’il fallait n’en citer qu’une, pensons à Roger Sterling et sa boutade « when God closes a door, he opens a dress ». Avec cet ultime épisode, c’est ainsi la dernière pierre qui est posée à ce qui est aujourd’hui considéré de manière quasi-unanime comme un monument de télévision, tant Mad Men incarne ce « nouvel âge d’or » des séries télé qui aura tant fait parler de lui au début des années 2000, et tant elle représente cette « quality TV » défendue par Janet McCabe et Kim Akaas.
Avec cette fin se pose inévitablement la problématique, inhérente à toute fin de série et de surcroît une série culte, du bilan et de la postérité. Car si Mad Men a rencontré un succès critique absolu, ses audiences, elles, n’étaient pas tant au rendez-vous : seulement 2,3 millions de spectateurs pour le retour de la saison 7 (deuxième volet), là où le retour de Game of Thrones en avait réuni 8 millions. En effet, nombreux sont les spectateurs qui auront pu trouver le rythme de la série lassant, considérer que la narration pêche par un manque d’enjeu, au point peut-être d’en arrêter le visionnage en cours de route. C’est pourtant là que réside l’une des plus grande qualité de Mad Men, car comme Les Sopranos ou Six Feet Under avaient su le faire avant elle, son véritable sujet est moins la publicité, moins la société de consommation des années 60, et moins la vie sentimentale, familiale et professionnelle d’une poignée de personnages que le temps : ce qu’il provoque, ce qu’il distille, ce qu’il dévore. Épisode après épisode, de « Smoke gets in your Eyes » (S1E1) à « Person to Person » (S7E14), tout n’est que description de ce que cette durée fait aux personnages, et aux spectateurs.
Car de mars 1960 à 1971, Don, Ken, Peggy Joan et les autres auront assisté à une kyrielle d’événements qui ont petit à petit fait basculer l’époque dans le postmodernisme et le capitalisme effréné. On ne compte ainsi plus les épisodes qui auront rejoué ces grands épisodes de l’histoire américaine : c’est le match Kennedy-Nixon dans « Smoke Gets in your Eyes » (S1E1), l’assassinat de Kennedy dans « The Grown Ups » (S3E12), la crise des missiles de Cuba dans « The Suitcases » (S4E7), l’assassinat de Martin Luther King dans « The Flood » (S6E5), et ainsi de suite. Et à chaque fois, ce qui saute aux yeux, c’est le pouvoir fédérateur joué par la télévision. En mettant en scène son propre médium, Mad Men parvient alors à une réflexivité littérale : qui reflète, et qui donne à penser.
Si Mad Men parvient ainsi à raconter la grande histoire par la petite, à fonctionner comme une machine scopique à remonter le temps, c’est seulement grâce à ses références culturelles et stylistiques. Grâce notamment à la styliste Janie Bryant, les vêtements et les accessoires sont les meilleures indices d’un changement progressif de moeurs, et un régal constant pour les yeux. Ainsi le glissement du temps se fait-il sentir, dans les transitions entre Ray Orbison et les Rolling Stones, entre Psycho et La Planète des singes, entre Leave it to Beaver et Sesame Street. Et à cela s’ajoute ce qui fait bien sûr la patte la plus évidente de cette fresque sixties, les costumes et les décors. C’est avec tous ces éléments que Mad Men se veut une série ironiquement nostalgique, au charme fétichiste.
Au terme de toutes ces saisons, l’on comprend alors que Mad Men est l’une des rares séries vraiment capables de prendre leur temps. À l’inverse de la plupart des séries qui nous sont données à voir aujourd’hui, au rythme saccadé, à la forme précisément pensée pour une sérialité addictive et une fragmentation aguicheuse, Mad Men a toujours été une série lente, ennuyeuse pour certains, lancinante pour d’autres, et pour beaucoup sublime. Il n’y a donc pas forcément à attendre fébrilement la fin de Mad Men, à spéculer sur les rebondissements qu’amèneront sa conclusion, puisque l’on peut gager que le seul sentiment que la fin de Mad Men suscitera, c’est celui-là même que Matthew Weiner diffusait depuis le début, la mélancolie, de celle que seuls les chefs-d’œuvre peuvent susciter.
Un bel hommage à cette immense série, qui je m’en rends compte ces dernières semaines, est sans doute ma préférée de toutes.
Une très bonne série et très satisfait de cet ultime épisode. Elle va manquer …
Excellente série du début à la fin et qui, de part sa forme, est propice au revisionnage. Mad Men est finie mais c’est avec bonheur qu’on pourra remonter les pendules et se replonger en 1960 pour revivre le voyage.