
Mars à l’ombre (13 Reasons Why s3 / Netflix)
Transformer une série sur le deuil et la recherche de vérité (et de réconciliation avec ses fantômes) en un whodunit rappelant – en nettement moins bien – Veronica Mars ? C’est l’idée désastreuse de Brian Yorkey pour cette 3e saison de 13 Reasons Why. La saison de trop… alors même qu’on nous en promet une 4e et (heureusement) dernière. [Spoilers Alert]
Comment faire quand on veut prolonger une série qui n’a plus rien à dire ? En faisant apparaître un nouveau personnage venu d’ailleurs, bien sûr. Ici, c’est Amorowat Anysia “Ani” Achola, venue d’Angleterre, qui, avec son délicieux accent british et son talent revendiqué pour capter les gens d’un regard, mène l’enquête. Avec ou sans Clay à son côté.
Le personnage d’Ani est très significatif de tout ce qui cloche dans cette 3e saison de 13 Reasons Why. Trop artificiel, il semble inséré de force dans le petit théâtre de Liberty High. Problème : la greffe ne prend pas. Tout le monde semble trouver normal de se confier à elle sans méfiance. Après une nanoseconde de sa présence, c’est le grand déballage. Elle interroge comme une flic, elle soupçonne tout le monde, elle pointe les incohérences, fait part de ses doutes, tout en menant une sorte de double vie : fille modèle devant maman, lycéenne geek et libérée parmi ses amis.
Veronica Mars, sur le mode “enquête au lycée”, fonctionnait à merveille – la comparaison est d’ailleurs accentuée par la présence du “bad guy latino-mais-gentil-quand-même”, entre autres. Mais la comparaison s’arrête là. Transformer 13 Reasons Why en whodunit n’a aucun sens. Tout fonctionne comme un “Hercule Poirot chez les ados” : les scénaristes prennent des siècles pour consciencieusement nous faire comprendre que chacun.e des acteurs et actrices du début a à la fois un mobile et la possibilité physique d’avoir tué Bryce Walker durant la nuit du Homecoming.
On comprend cela en quelques minutes. Pour le reste des quasi 13 heures que dure cette (inter)minable saison, on attend. Rien à ressentir ici : tout ce qui faisait le charme et l’intensité de la 1ère saison est passé aux oubliettes. On regrette surtout la voix de Hannah, comme murmurée dans l’oreille du spectateur, ce qui créait une belle identification au protagoniste, Clay, sorte de chevalier blanc de la jeune suicidée.
Quel choix étrange que d’avoir opté pour une nouvelle “voix off” dans cette saison. L’accent anglais amplifie la dimension “extérieure au groupe” d’Ani. Une étrangeté qui est rappelée en permanence et qui casse largement la proximité qui s’instaurait entre le spectateur et le groupe/les événements des deux saisons précédentes. Sans parler du côté omniscient de la narratrice, qui laisse au spectateur une impression d’être en décalage avec le récit, là où la saison 1 l’incarnait en Clay découvrant l’histoire en écoutant (et nous avec lui) en temps réel les cassettes laissées par Hannah.
On peut regretter un double morcellement : un morcellement des points de vue (celui d’Ani unit nettement moins la narration que celui de Clay dans les deux saisons précédentes) et un morcellement géographique. Bryce et Chloe ont quitté Liberty High, Ani habite chez la famille de Bryce, là où, en suivant Clay à la trace, on restait auparavant dans une certaine unité/cohérence de lieu. Ajouté au balancement passé/présent moins maîtrisé que dans les deux premières saisons, cela complique pas mal le visionnage et affaiblit la qualité du spectacle.
Le personnage d’Ani finit par franchement énerver : à la fois dedans et dehors, victime présumée de Bryce et actrice du changement, moteur narratif (elle relance souvent les autres personnages) et regard (voire juge) extérieur. Cela fait beaucoup pour un seul perso. Le ressort narratif est par trop évident.
À plusieurs reprises, Ani et/ou Clay semblent convaincus de certaines choses et se plantent dans les grandes largeurs. Ce qui ne les empêche pas de recommencer la fois suivante… Pire encore, les scénaristes recourent à des quiproquos franchement risibles. Comme ce moment où Clay et Ani pensent que Jess a recouché avec Bryce et que Justin a tué ce dernier à cause de cela. Cela vous paraît incroyable ? À nous aussi. Mais pas à Ani et Clay, apparemment… Leur talent pour débusquer la vérité derrière les mensonges et les non-dits bute régulièrement sur les illusions pourtant les plus évidentes.
Au rayon des clichés, citons aussi certains moments de “tension” ultra-téléphonés. Tel Clay seul dans la chambre de Tyler, qui la fouille à la recherche d’un flingue, alors que Tyler pourrait revenir à tout moment…
D’autres personnages s’en sortent un peu mieux. Tyler, par exemple, a gagné en épaisseur. L’organisation de ses amis pour qu’il aille mieux est intéressante… mais ne justifie pas une nouvelle saison pour autant.
Bryce Walker, surtout, demeure le grand abandonné de 13 Reasons Why. Les scénaristes passent beaucoup de temps à le complexifier, à montrer que oui, il a agi en monstre, mais qu’il a ses failles et qu’il tente de changer. La série, en se centrant réellement sur lui, en collant à ses basques comme on a collé à celles de Clay durant deux saisons, aurait pu développer un discours neuf sur la monstruosité. Et explorer notre rapport, en tant que spectateur/voyeur/récipiendaire involontaire des confidences d’autrui, avec Bryce en tant que violeur à répétition, dealer de drogue, homme qui tente de s’amender mais que la société repousse sans cesse dans les bras de ses démons… Mais non.
Pire, sa mort permet d’opérer un beau retour vers le statu quo (a)moral. Oui, le monstre reste un monstre. Et oui, cela justifie le meurtre. Et encore oui, sa monstruosité justifie que l’on mente pour protéger ses amis et que l’on fasse accuser un innocent – mais dans la mesure où celui-ci a violé un garçon et qu’il vient inopinément de mourir dans sa cellule, tout est permis. Un retour à la morale, mais une morale distordue. Quelque chose s’est définitivement perdu en chemin.
Ce qui manque principalement par rapport à la saison 1, c’est l’émotionnel. Il n’y a plus une once d’émotion dans cette série. Tout devient mou, à tel point qu’on devient soi-même insensible. Même quand Tyler révèle à Clay ce qui s’est passé avec Monty, on ne sent rien. Quand Justin révèle les viols subis quand il avait cinq ans, on ne sent rien. Tout cela est d’une banalité déprimante, jusqu’à une fin de saison ridicule sous ses atours de “happy ending” forcé, avec les “indices de menace” de rigueur pour préparer la saison suivante. Au secours. Et adieu.
13 Reasons Why saison 3 en 13 épisodes,
diffusée sur Netflix le 23 août 2019
Série créée par Brian Yorkey
D’après le roman éponyme de Jay Asher
Épisodes écrits par Brian Yorkey, Allen MacDonald, Hayley Tyler, Thomas Higgins, Trevor Marti Smith, Mfoniso Udofia, Julia Bicknell, Felischa Marye, M. K. Malone, Helen Shang et Rohit Kumar
Épisodes réalisés par Michael Morris, Jessica Yu, Bronwen Hughes, Kevin Dowling, Aurora Guerrero et John T. Kretchmer
Avec Dylan Minnette, Grace Saif, Christian Navarro, Alisha Boe, Brandon Flynn, Justin Prentice, Kate Walsh, etc.
Cela fait à peu près 6 mois que je lis des critiques sur cette série mais jamais au point de m’y intéresser (Je n’ai jamais été non plus très « client » de « Veronica Mars »). Cependant, comme une amie m’en parlait souvent, j’ai voulu, par curiosité, voir ce qu’elle avait dans le ventre (la série, pas mon amie…). En plus d’apporter de l’eau à ton moulin, disons d’emblée que les séries contemporaines estampillées « teenage » (même avec des problématiques très sombres) sur Netflix ou ailleurs ont furieusement tendance à me courir sur le haricot. Pourquoi ? Peut-être parce que le monde des « Millennials » (lisez Génération Y) me semble être d’une insondable vacuité; peut-être aussi l’effet « vieux con » joue-t-il sur mon présent état d’esprit. En effet, difficile de regarder ces historiettes avec indulgence lorsque l’on a connu le cinéma de John Hughes (voir le vibrant hommage de Philippe Guedj à ce dernier, lors de sa mort, sur le DailyMars).
Ceci étant, tu sembles avoir aimé la première saison; moi, je me suis surtout demandé à quoi peut bien rimer une série qui tourne autour d’un drame, certes tragique puisque l’actualité s’en fait parfois l’écho, mais qui reste bien maigre eu égard aux moyens mis en oeuvre pour étirer en longueur le récit du suicide d’une jeune fille (dont l’histoire passe à la trappe par la suite). Même si je n’étais pas le public visé lors de la diffusion de V. Mars, il m’a semblé que cette dernière avait un ton plus léger. Comme tu le notes, il y a effectivement une mécanique à la « whodunit » mais j’ai eu un certain mal à en percevoir le procédé effectif.
– « Tout fonctionne comme un “Hercule Poirot chez les ados”
Pas mal vu. Mais l’analogie avec Poirot risque de prêter à la série un prestige qu’elle n’a assurément pas; optons plutôt pour un « Desperate Housewives chez les ados », la sempiternelle voix off venant renforcer cette impression…
– « Bryce Walker, surtout, demeure le grand abandonné de 13 Reasons Why. Les scénaristes passent beaucoup de temps à le complexifier, à montrer que oui, il a agi en monstre, mais qu’il a ses failles et qu’il tente de changer. La série, en se centrant réellement sur lui, en collant à ses basques comme on a collé à celles de Clay durant deux saisons, aurait pu développer un discours neuf sur la monstruosité. Et explorer notre rapport, en tant que spectateur/voyeur/récipiendaire involontaire des confidences d’autrui, avec Bryce en tant que violeur à répétition, dealer de drogue, homme qui tente de s’amender mais que la société repousse sans cesse dans les bras de ses démons… Mais non. »
C’est marrant, c’est aussi ce que je me suis dit même si je n’avais guère d’appétence pour cette perspective mais elle aurait conféré aux auteurs une certaine hauteur de vue.
– « Ce qui manque principalement par rapport à la saison 1, c’est l’émotionnel. Il n’y a plus une once d’émotion dans cette série. Tout devient mou, à tel point qu’on devient soi-même insensible. Même quand Tyler révèle à Clay ce qui s’est passé avec Monty, on ne sent rien. Quand Justin révèle les viols subis quand il avait cinq ans, on ne sent rien. Tout cela est d’une banalité déprimante »
J’oserais presque dire que c’est ce qui manque à un grand nombre de séries contemporaines. L’émotion est probablement ce que l’on surjoue le plus chez les acteurs/actrices aujourd’hui.
– « Au secours. Et adieu. »
Pour moi aussi, mais j’avais déjà donné mon préavis à la saison 2…