Maudit sois-tu (t. 1) – Zaroff, de Philippe Pelaez et Carlos Puerta

Maudit sois-tu (t. 1) – Zaroff, de Philippe Pelaez et Carlos Puerta

Note de l'auteur

Proposition alléchante mais résultat décevant : le comte Zaroff fait pâle figure dans le 1er tome de Maudit sois-tu.

L’histoire : En 2017, un homme est retrouvé mort dans les égouts de Londres. L’enquête se dirige rapidement vers la petite amie du défunt, car leur liaison a été arrangée par leur employeur commun, Nicholas Zaroff. Ce mystérieux oligarque russe n’a en fait qu’un seul but : se venger de ceux qui, 170 ans auparavant, ont causé la perte de son aïeul. Pour y parvenir, il va réunir leurs quatre descendants et les traquer dans une vaste chasse à l’homme.

Mon avis : Tout débute avec une chasse dans les égouts de Londres. Une créature du Dr Moreau (descendant du légendaire scientifique) contre une flèche du comte Zaroff… et c’est la flèche qui l’emporte. L’artistocrate tente de consoler son ami : « Cela viendra, docteur. Vous êtes sur le point de réaliser le rêve de votre illustre aïeul. Vous allez disqualifier Dieu. »

Le côté grandiloquent de la narration est l’un des points faibles de ce premier tome d’une série qui en comptera trois (les deux autres s’attacheront aux personnages de Moreau et de Shelley). Une certaine ambition dans l’expression n’est évidemment pas un mal en soi, au contraire. Mais lorsqu’elle pèche par une certaine banalité, elle court-circuite largement l’intensité des situations. Notamment dès les premières cases, avec cette voix off qui plombe les images de la chasse à l’homme :

« Tu ne tueras point. Ou du moins… pas tout de suite. Laisse ta proie d’épuiser… Laisse-lui respirer l’odeur âcre de la peur qui suinte par les pores de sa peau ruisselante… Car il sait. L’animal n’a pas conscience de sa propre mort. L’homme, lui, sait qu’il va mourir. Il te tourne le dos, mais tu l’imagines hagard. Il te fuit et tu le devines terrorisé… Car il sait. Il sait qu’il est maudit. Dans l’œil de la bête, il y a l’innocence. Mais le regard de l’homme devenu proie révèle cette vérité : “Je suis… moribond.” Si l’animal meurt, l’homme, lui, périt. »

Le personnage de Nicholas Zaroff fait son apparition dans une nouvelle de l’écrivain et scénariste américain Richard Connell intitulée The Most Dangerous Game (1924). Elle est adaptée au cinéma par Ernest B. Schoedsack et Irving Pichel dès 1932 sous le même titre, qui sera traduit par La Chasse du comte Zaroff en français (avant de passer au pluriel : Les Chasses du compte Zaroff).

Il s’agit, souligne dans sa postface Philippe Pelaez, scénariste de la série chez Ankama, d’un « personnage pervers, à la sexualité stimulée par la traque, et qui n’a aucun scrupule à montrer à ses futures victimes sa salle des trophées où des têtes humaines sont accrochées au mur ou plongées dans du formol ».

Philippe Pelaez plonge le comte dans une histoire de vengeance transgénérationnelle de prime abord plutôt téléphonée. En effet, il veut réunir les descendants des quatre personnes qui ont sali le nom de son ancêtre, et les dézinguer après la chasse de rigueur dans sa propriété du Yorkshire. Du déjà-lu, déjà-vu. Le degré zéro de l’intrigue.

Instaurer un lien entre Zaroff, Shelley, Moreau et consorts, et l’exploiter dans un récit plutôt enlevé représente a priori une idée certes classique, mais potentiellement riche en ramifications et croisements thématiques. Dans ce premier tome, en revanche, elle se révèle d’une grande artificialité.

D’autant que cette dimension transgénérationnelle n’est pas pleinement maîtrisée : seuls deux des quatre personnages concernés affichent un lien direct avec leurs “ancêtres” supposément responsable de l’opprobre qui a frappé un précédent comte Zaroff. Si la ligne directe fonctionne avec Charles Darwin et Mary Shelley, elle se brise avec l’explorateur Richard Burton (dont la sœur incarne l’aïeule du docteur) et Emily Brontë (c’est bien son frère, Branwell, qui joue les ancêtres).

Comment, dans ces conditions, Zaroff peut-il dire : « Ma chère, vous descendez donc de Branwell Brontë, mais surtout de l’écrivain dont vous portez le même prénom : Emily Brontë… » ? On ne peut descendre d’un homme « mais surtout » de sa sœur, à moins qu’il ne s’agisse d’une relation incestueuse (ce qui n’est pas le cas ici). Et au passage, on notera la lourdeur de l’expression « dont vous portez le même prénom » : le « même » ici est superflu.

La narration n’est guère plus intelligente ou surprenante. Outre le style assez lourd déjà évoqué, les dialogues n’apportent rien en termes de naturel ou d’information. On ne croit pas une seconde aux échanges ni aux réactions des uns et des autres. On passe de « Espèce de connard. (…) Ce n’est pas parce que vous êtes flic que ça vous donne tous les droits » à une confession expresse. On a aussi droit à quelques “petites phrases” complètement ratées, du genre : « J’ai l’impression d’être dans un film… » « Oui, et j’espère qu’il est bon… Je pars toujours avant la fin de ceux qui sont mauvais. »

Certains ressorts “comiques” tombent totalement à plat, comme ce moment où le flic, parlant du comte Zaroff, dit : « Il organise peut-être des partouzes, le russkof ! » Pas de chance : le comte était juste derrière lui. Quelle surprise ! Et les deux invitées d’éclater de rire : « La gaffe… Ha ha ! » Horrible. Et ce qui aurait dû être le “grand final” – la chasse aux quatre invités – est expédié avec des motifs ultra-rabâchés.

Le dessin de Carlos Puerta sauve en partie l’affaire. Mêlant réalisme et expressionnisme, avec un choix de couleurs sourdes, il rend bien la dimension tellurique, viscérale du récit. Mais il ne peut faire de miracle. Il faudra bien entendu lire les deux tomes suivants pour se faire une image globale du projet de Philippe Pelaez et Carlos Puerta – à l’instar, notamment, du diptyque Dans la tête de Sherlock Holmes – mais ces 64 pages ne mènent à rien de vraiment emballant.

En accompagnement : revoir le film Les Chasses du comte Zaroff, bien sûr, avec Leslie Banks dans le rôle du comte et Fay Wray dans celui de la prisonnière. Et, pourquoi pas, King Kong – lire à ce sujet la postface de Philippe Pelaez, qui décrit les points communs unissant ces deux longs-métrages !

Si vous aimez : les œuvres tissant des liens nouveaux entre des personnages historiques ou fictionnels bien connus, en les jetant dans une arène inédite. Dans le genre, La Ligue des gentlemen extraordinaires et La Brigade chimérique sont des must-reads.

Maudit sois-tu (t. 1) – Zaroff
Écrit par
Philippe Pelaez
Dessiné par Carlos Puerta
Édité par Ankama

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