Mensonges, le procédural venu du Québec

Mensonges, le procédural venu du Québec

Note de l'auteur

Notre rendez-vous mensuel québécois s’accorde avec le Mois du Polar. Mensonges confirme l’universalité du polar et montre combien la série québécoise est capable de rivaliser avec l’industrie américaine.

Julie Beauchemin dirige une équipe du service des homicides de Montréal. Spécialisée dans l’exercice difficile de l’interrogatoire, elle lit dans les suspects comme dans un livre ouvert…

Éric Bruneau, Pierre Verville, Fanny Mallette et Sylvain Marcel, les comédiens principaux de "Mensonges" - © addikTV

Éric Bruneau, Pierre Verville, Fanny Mallette et Sylvain Marcel, les comédiens principaux de « Mensonges » – © addikTV

Un procédural classique… mais diablement efficace.

Procédural moderne, Mensonges repose sur une architecture éculée : une intrigue fermée à chaque épisode et un fil rouge sur la saison. Mais si cette dynamique est aujourd’hui reproduite industriellement dans les séries, encore faut-il réussir à l’incarner et à la tenir sur la longueur. La série de Gilles Desjardins décline fort heureusement cette formule avec maîtrise, sans fausses notes mais aussi sans écart bienvenu, en restant très exactement dans les clous de ce qu’on attend d’une série policière. D’où cet indéniable goût d’efficacité. Sur ce plan-là, la québécoise Mensonges n’a pas à rougir de la comparaison avec ses cousines américaines, qu’elles se nomment The Closer ou Elementary.

Comme attendu également, en marge d’enquêtes graduellement de plus en plus « spectaculaires », les histoires intimes forcément tourmentées des personnages principaux servent à nourrir (ou gripper) la machine policière et à créer l’empathie du téléspectateur (de nos jours, le procédural ne peut plus se permettre de ne reposer que sur un policier n’étant qu’une « fonction »). Et, encore une fois sans surprise au vu du « classicisme moderne » de l’entreprise, la saison « doit » se terminer avec un cliffhanger directement lié au fil rouge déployé depuis le début. Ou plutôt à l’un des deux fils rouges, Mensonges se permettant la petite fantaisie risquée de clôturer (un peu trop facilement d’ailleurs, une des seules réelles faiblesses d’écriture de cette première saison) le fil rouge dédié à Julie Beauchemin à la mi-saison…

Bref : vous avez déjà vu des séries ressemblant à Mensonges. Mais, ayant su parfaitement digérer les codes essentiels du procédural moderne, elle est un redoutable divertissement. Re-bref : si vous aimez le genre, c’est de la bombe.

La salle d’interrogatoire comme lieu unique mais multiple.

L’originalité, toute relative sur le papier, de Mensonges tient au fait que la majeure partie de son action se déroule en salle d’interrogatoire, là où les preuves prennent sens, là où les affaires sordides reprennent fort justement une dimension humaine, là où les suspects et les coupables se découvrent à travers la stratégie généralement brillante de l’enquêtrice Julie Beauchemin.

La salle d'interrogatoire, lieu principal de l'action de "Mensonges" © addikTV

La salle d’interrogatoire, lieu principal de l’action de « Mensonges » © addikTV

Dans le genre policier, l’interrogatoire est une vraie gageure. A la fois chapitre de tension par excellence, ultime embranchement de la résolution et casse-tête de mise en scène. Pour la tension, outre la nature de l’affaire exploitée, c’est souvent aux comédiens de transcender, par le jeu et les enjeux, cette situation cruciale. A eux de jouer de finesse et de cohérence tout en faisant monter la pression scénaristique. Tous les mérites de la réussite de Mensonges dans ce domaine en reviennent à une écriture intelligente, évitant l’écueil de la mécanique pataude et prévisible – un rebondissement n’est, ainsi, jamais artificiel – et à l’interprétation de Fanny Mallette, laquelle apporte un charme désarçonnant et une humanité limpide à « sa » Julie Beauchemin, sorte de cousine de Brenda Leigh Johnson de The Closer, Cal Lightman de Lie to Me et Ed Exley de L.A. Confidential. Ne refusant jamais le combat, cette lectrice hors pair des comportements humains joue, sans perversité, avec son interlocuteur, ne dévoilant jamais son jeu, y compris au téléspectateur, toujours surpris par une stratégie intellectuelle solide qui n’a rien de la poudre aux yeux

Surtout, le dernier point fort de cette mécanique de l’interrogatoire, au cœur de Mensonges, tient à la conception de la salle d’interrogatoire même. Les quatre murs de la salle sont traversés par de longues lignes formées par des miroirs, ayant pour effet instantané de démultiplier la salle, les suspects, les révélations…, d’offrir des lignes géométriques fortes et d’ouvrir sur le repère où se trouvent les inspecteurs assistant « de l’autre côté » à l’interrogatoire. Ce décor particulièrement stylisé et régulièrement signifiant devient libérateur pour la mise en scène par les multiples possibilités offertes pour le fond et par la forme, permettant notamment de jouer sur les cadrages (et décadrages) et la symbolique des lignes, insufflant une dynamique visuelle bienvenue à un exercice – l’interrogatoire – parfois trop souvent rigide. Une vraie réussite. Et sa quasi absence dans les deux derniers épisodes de la saison 1 a justement tendance à renvoyer Mensonges à sa nature « quelconque » de procédural policier…

Extrêmement prometteuse, Mensonges revient le 4 mai prochain sur la chaîne québécoise addikTV pour la seconde saison de la confirmation… ou non. Je serai là pour le savoir.

Mensonges (Québec – 2014)

Série de Gilles Desjardins

Avec Fanny Mallette, Eric Bruneau, Sylvain Marcel…

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