Merci Johnson ! (critique de Looper, de Rian Johnson)

Merci Johnson ! (critique de Looper, de Rian Johnson)

Looper est-il le chef-d’œuvre annoncé à tue tête depuis sa projection au festival de Toronto et sur une partie de la blogosphère ? Je dis non ! Mais malgré ses scories, ce « petit » thriller SF hyper malin et formellement renversant met sans mal à l’amende un paquet de blockbusters paresseux et autres faiseurs minables, bien obligés de la boucler.

En 2074, la mafia s’est appropriée l’invention du voyage dans le temps pour en faire l’arme ultime dans l’élimination de ses victimes : les cibles sont kidnappées, envoyées vivantes 30 ans dans le passé en pleine cambrousse et, à peine arrivées, sont fusillées sur le champs (jeu de mot, hi hi !) par des tueurs à gages qui ont fait le poireau (et je double !) sur place. En 2044, à Kansas City, Joe vit très confortablement de ce sinistre métier, jusqu’à ce que ses employeurs lui envoient depuis le futur sa prochaine cible : lui-même. Rien d’extraordinaire : les loopers savent que, tôt ou tard, ils doivent contenter leurs patrons ultra parano en éliminant leur propre moi du futur, bouclant ainsi leur propre boucle. Sauf qu’in extremis, le Joe de 2074 échappe au Joe de 2044 et ce pour une très bonne raison…

Pas vu Brick (dans lequel il dirigeait déjà Joseph Gordon-Levitt) ni Une arnaque presque parfaite, les deux précédents films de Rian Johnson. Mais une chose est sûre : avec Looper, ce jeune et humble réalisateur de 38 ans originaire du Maryland vient définitivement de se faire remarquer des fans de SF, comme son homologue britton Duncan Jones le fit en 2008 avec Moon. Looper aurait coûté 30 millions de dollars et lorsque démarre le film, on a peine à croire que la facture ne soit pas trois ou quatre fois plus élevée devant tant de richesse visuelle. Tordant le cou au passage à la fatalité de « l’absence-d’un-cinéma-de-genre-du-milieu » (en terme de budget), le cinéaste dévoile dés les premières minutes un univers urbain totalement immersif, au design et à l’ambiance à mi chemin entre Blade Runner et Les Fils de l’homme.

Très vite, une évidence : on va en prendre plein la poire. Qu’il s’agisse des décors hallucinants ou du binome mise en scène/montage « dans ta gueule » hyper ludique façon Danny Boyle, Sam Raimi, Marin Scorsese ou les frères Coen à leurs débuts, Looper a une sacrée gueule. Un travail particulier sur les basses dans la bande sonore achève de vous violenter les sens, tandis que la caméra s’amuse à défier les lois de la pesanteur via des cadres ou des plans séquence renversants au sens propre. Un traitement agressif – mais toujours lisible et original, pas de « shaky cam » assommante ni de bullet time débile – parfaitement justifié par le quotidien urbain violent et dégénéré dans lequel évolue Joe jeune (Joseph Gordon-Levitt). Sans être un champ de ruines apocalyptique, le futur chez Rian Johnson n’inspire guère l’optimisme : le réalisateur décrit une société en progressive déliquescence, où le gouffre se creuse de plus en plus entre une élite nantie minoritaire et un quart monde persécuté. Un lent basculement vers des lendemains qui déchanteront encore plus en 2074, où les Etats corrompus seront définitivement tombés aux mains des mafias sanguinaires. A ce stade, soit une bonne première moitié du film, Looper réalise un parcours non seulement formellement sidérant mais en plus blindé d’idées de scénario géniales, comme le principe de connexion mentale entre le Joe de 2044 et son double venu de 2074 (Bruce Willis). Ou bien la scarification en guise de SMS pour contacter instantanément et donner rendez-vous à son moi futur… Vous avez du mal à suivre ? Allez voir le film, ce sera plus simple.

Malheureusement, parti d’un créneau de science-fiction/action/anticipation pure et dure, Looper s’engage à mi parcours sur une voie plus fantastique et ne gère pas au mieux cette rupture de ton. A la frénésie du début succède une brusque baisse de tension, l’empilement de nouveaux personnages, de longues plages de dialogue dans le cadre d’une ferme et une ambiance franchement pas raccord avec ce qui a précédé. D’aucuns ont apprécié cette mutation de Looper vers… autre chose, ce n’est hélas pas l’avis de votre serviteur qui a presque flirté avec l’ennui durant un fâcheux ventre mou, avant que la tension ne reprenne in extremis. On passe donc à côté d’une réussite intégrale mais la gratitude l’emporte au final. Violent, méchant, régulièrement surprenant et festin esthétique inscrit au rayon 100% frais malgré le brassage de références (Blade Runner et Les Fils de l’homme donc, mais aussi Terminator, L’armée des 12 singesAkira et toute une iconographie du western), Looper apporte un vrai bol d’air pur dans le cinéma de genre US vicié par la redite, l’édulcoration et l’abêtissement généralisés. Evidemment, c’est une production indépendante.

Le geek il comblera par son entrelac de paradoxes temporels embrassés sans complexe et propices à tous les débats post-projection. Les féministes il ravira par un discours désignant la femme comme garde fou essentiel à la survie d’un monde rongé par la furie mâle. Accessoirement, le nostalgique des eighties il affolera en recrédibilisant Bruce Willis avec flingue en pogne, icônisé dans Looper presque autant qu’à la grande époque des Die Hard de Mc Tiernan. Sauf qu’ici il n’a rien, mais alors rien du tout d’un héros. Et rien que pour cela, Rian Johnson mérite des louanges en boucle. Futur petit classique en vue, moi je dis !

PS : seule une poignée de vioques percutera peut-être le consternant clin d’oeil à une vieille pub’ télé dans le titre de cet article. Nous prions notre aimable clientèle de bien vouloir nous excuser pour cette interruption momentanée de l’inspiration.

 

LOOPER, de Rian Johnson (1h50). Sortie nationale le 31 octobre.

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